Colloque “Répercussions de la crise sécuritaire au Sahel sur les pays du Maghreb Arabe
Colloque
“Répercussions de la crise sécuritaire au Sahel sur les pays du Maghreb Arabe”
Colloque
“Répercussions de la crise sécuritaire au Sahel sur les pays du Maghreb Arabe”
Introduction
Les pays de la région du Maghreb Arabe font face, depuis des décennies, à des défis structurels profonds et multidimensionnels liés à l’instabilité politique, économique, sociale et sécuritaire suite à la dépendance de ces pays de l’étranger et à l’échec de leur intégration régionale en raison du blocage continu du processus d’édification du Maghreb Arabe.
Ces défis se sont exacerbés avec le temps augmentant les risques à l’issue des grandes transformations politiques et sociales accompagnant ce qui est communément appelé «le printemps arabe».
Dans cette situation la région vit une difficile période de changement ayant ouvert la porte à toutes les éventualités et l’a préparée, plus que par le passé, à recevoir les contrecoups négatifs de l’environnement régional et international en particulier les répercussions de la crise sécuritaire dans le Sahel africain que nous avons vécue au cours des décennies écoulées. Il s’en suivit des crises successives dont le rythme s’est accéléré au cours des dernières années au point de donner aux mouvements « jihadistes » l’occasion d’établir des bases et des centres de recrutement, de planification, d’entrainement et de lancement. Les réseaux du crime organisé, sous toutes les formes, ont pu s’implanter dans cette région, la transformant en points de passages sûrs pour l’exercice de leurs activités.
L’incapacité de l’Etat à protéger ses frontières et à faire face aux vagues d’immigrants et de trafiquants d’armes ont fait de cette zone un environnement propice au crime organisé et facilité pour les bandes armées la concentration de leurs forces et de leurs activités à partir de cette zone, notamment les trafiquants de stupéfiants et les organisations terroristes.
Ainsi la cette zone est devenue le théâtre des opérations de trafic en tous genres : un point de transit de la drogue, un centre d’accueil de tous les dissidents, des hors -la -loi de trafiquants de cigarettes mais aussi de la contre façon commerciale, de la fraude financière, des crimes de la haute technologie, du commerce des armes, de la prostitution organisée transfrontalière, du blanchiment d’argent. Cet environnement favorable a permis à ces bandes de faire une alliance sacrée et d’inter changer les rôles loin de tout contrôle des pays de la région et des parties prenantes internationales influentes.
Une telle situation a eu pour effet l’écroulement de certains pays de la région comme c’est le cas en République du Mali qui a ouvert la voie à l’intervention étrangère dans la région de façon patente, ce qui a eu pour cause d’approfondir la crise dans d’autres pays comme le Niger, le Tchad et le Burkina Faso entrainant par la même occasion des risques et défis sécuritaires dans tous les pays de la zones en particulier la Mauritanie.
Et cette crise sécuritaire exacerbée dans la zone du Sahel africain n’est en fait que la répercussion des crises politique, économique, sociale et culturelle persistantes de la région accumulées depuis des décennies et se manifestant de manière -on ne peut plus claire – dans l’instabilité politique et l’échec de l’Etat national dans la réalisation des objectifs de développement et d’émergence d’une identité nationale homogène et intégrée.
Dr. Didi Ould Saleck
La crise de l’intégration de l’Etat national et la crise sécuritaire au Sahel: quelle relation?
Dr. Didi Ould Saleck
Professeur d’université, Président du centre
maghrébin d’études stratégiques
Note introductive au Forum : « les répercussions de la crise sécuritaire au Sahel sur les pays du Maghreb Arabe » organisé à Nouakchott les 6 et 7 novembre 2013.
La région du Sahel africain connait des crises qui se sont exacerbées. Certaines ont accompagné la création de l’Etat national depuis l’indépendance, d’autres son évolution. Mais la plupart de ces crises sont devenues structurelles menaçant même l’existence de l’Etat national dans cette région du monde comme c’est le cas au Soudan dont la partition en deux Etats a été consacrée. La dernière crise malienne, qui a menacé l’existence de ce pays et réintroduit, de manière ostentatoire, l’intervention étrangère dans la région, avec les répercussions qui vont en découler, en est un autre exemple.
Un tel état de choses est de nature à compromettre la paix et la sécurité dans le monde à travers la menace directe de la stabilité dans les zones géographiques avoisinantes s’interpénétrant avec la zone du Sahel : les régions du Maghreb Arabe, ouest africaine et l’Afrique au sud du Sahara.
Le Sahel, en tant que concept politique et aire géographique déterminée dans le continent africain galvaudé par les medias, créé dans le cadre des stratégies internationales qui cherchent à façonner la carte de la région, est la bande géographique qui va des côtes de Nouakchott à l’ouest sur l’Océan Atlantique vers Port Soudan sur la mer rouge à l’est. Cette province s’étire sur une distance de 2400 miles de long et de plusieurs centaines à 1000 kilomètres de large couvrant environ 3.053.200 kilomètres carrés.
Cette région se caractérise par un climat rude et quasi aride et se trouve au sud du grand Sahara. C’est dire qu’au plan géographique, elle vient après l’Afrique du Nord et dispose de spécificités géographiques et environnementales similaires. Il y habite des groupes humains qui ne changent pas beaucoup d’un pays à l’autre tant en ce qui concerne le mode et le niveau de vie que la cohabitation entre les tribus et les relations des populations avec l’Etat central. Elle regroupe outre la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, le Soudan et l’Erythrée. Il convient de noter que la Région du Sahel, en tant qu’espace géographique, se rétrécit et s’étend suivant les besoins des promoteurs des stratégies internationales qui l’ont créée au préalable et suivant les usages, parfois ambigus, qu’on en fait en politique et dans les médias souvent par des personnes non spécialisées, ce qui entraîne dans la plupart des cas une imprécision au niveau des limites de cette zone et une confusion dans sa signification politique.
Les racines de la crise d’intégration de l’Etat national en Afrique en général et dans la région du Sahel en particulier remontent à la formation de cet Etat, à la manière dont cette formation a été opérée, aux politiques coloniales l’ayant inspirées qui n’ont pas pris en compte, dans la fondation de cet Etat, les données objectives géographiques et humaines mais qui ont divisé cette région pour servir leur stratégie à long terme et leurs intérêts du moment. Aussi ont-ils opéré le découpage des nationalités entre ces pays les émiettant en différentes entités sociales, ce qui a engendré des conflits permanents au sein de ces pays et entre eux.
Les politiques coloniales ont axé, dans les modestes infrastructures et services réalisés, sur les capitales de ces pays laissant derrière elles de grands vides géographiques et des déséquilibres démographiques entre les diverses zones d’un même pays. C’est que leur action s’est concentrée sur le sud du pays exception faite pour le Soudan. Ces déséquilibres structurels qui ont accompagné la mise en place de l’Etat national dans la région du Sahel ont constitué des obstacles essentiels s’érigeant devant l’édification du projet d’un Etat national moderne et apte à promouvoir sa croissance et à se développer, ce qui a conduit à son échec dans la réalisation des objectifs de développement et par voie de conséquence à son échec dans la formation d’une identité culturelle nationale homogène de nature à aider le pouvoir en place à se consacrer à la bataille du développement. Ces pays ont été également incapables de construire des identités politiques propres pouvant contribuer à construire leur projet national et leur éviter les dérapages des querelles et guerres intestines qui les ont minés des décennies durant.
C’est dire que la crise sécuritaire exacerbée dans la zone du Sahel n’est qu’une manifestation et une des expressions de la crise d’intégration de l’Etat national dans cette région. L’incapacité de réaliser l’intégration et l’harmonie culturelle est à l’origine des conflits ethniques provoqués par des réflexes identitaires. Quant à l’échec dans la réalisation des objectifs du développement, il est le résultat de la propagation de la gabegie politique, administrative et financière qui a, à son tour, aiguisé les problèmes socioéconomiques comme la pauvreté, le chômage et le sentiment de privation, autant de facteurs qui nourrissent les conflits en raison du sentiment éprouvé par la majorité d’être écrasée par la minorité. Mais il est aussi la conséquence de l’échec dans l’édification d’une identité politique nationale de nature à favoriser un consensus national sur les principales références requises par le contrat social en vue construire l’Etat de la citoyenneté. Il s’agit là d’un facteur décisif en ce qu’il constitue l’arrière- plan « background » de toutes ces crises. En effet, la vacance de l’espace géographique a aidé l’infiltration dans la région des mouvements « jihadistes » et favorisé le développement et le transit des bandes du crime organisé que l’état de déliquescence consécutif à la gabegie administrative et financière a aidé à prendre pied et à exercer ses activités lui trouvant le refuge social qui a stimulé son développement et créé, en outre, l’environnement psychologique et politique des conflits raciaux et des guerres civiles.
Nous tenterons d’approfondir toutes ces questions à travers les axes suivants :
Axe 1 : Racines et background : La crise de l’intégration de l’Etat national au Sahel
La naissance de l’Etat national au sahel africain n’a pas été une naissance naturelle mais est le produit de politiques coloniales en Afrique au cours des années 50 et 60 du siècle dernier. C’est ainsi que le colonialisme a créé ces entités dans le cadre de sa politique et de sa stratégie en Afrique et entrepris une division artificielle de ce continent conformément à ses plans ainsi qu’aux résultats de la conférence de Berlin 1884 – 1885. Par conséquent ce qui est arrivé à la région du Sahel est le résultat normal des politiques de cette époque.
Premièrement : les répercussions des séquelles de la politique coloniale
Les politiques coloniales ont créé l’entité de l’Etat dans la région du Sahel sans tenir compte des données humaines objectives qui prennent en charge l’harmonie culturelle et ethnique et les données géographiques au niveau des ressources et la possibilité de les exploiter.
Tout cela a fait que les pays africains en général sont apparus en tant qu’entités artificielles souffrant de nombreux problèmes structurels, les pays du Sahel en sont un exemple. Une telle situation a empêché leur intégration et leur développement ces dernières décennies et les a exposés à l’instabilité et à des crises successives. Avec le temps, ces crises se sont exacerbées pour arriver à menacer l’existence même de tous les Etats de cette région sahélienne qui est restée longtemps en proie aux querelles intestines et aux guerres civiles.
Le pari, lancé par les puissances coloniales pendant leur domination dans la région du Sahel, de nourrir les conflits raciaux et la division sociale vaut pour la période de l’après indépendance. Ces puissances ont nourri de nombreuses querelles intestines et guerres civiles qui ont éclaté dans certains Etats et œuvré à la poursuite de ces conflits au Soudan, au Tchad, au Niger et au Mali.
D’ailleurs un des axes de la politique du colon était fondé sur la devise « diviser pour régner » en semant partout les ingrédients des conflits tribaux, de la guerre civile entre les diverses composantes autochtones des populations du pays et en s’attelant à approfondir ces différends et conflits pour assurer leur pérennité après son départ aux fins de les exploiter pour la poursuite de son influence dans ces pays.
Les politiques coloniales n’ont pas également tenu compte, au cours de leur répartition du gâteau africain, des prolongements humains des groupes ethniques ni de leur répartition naturelle au plan géographique.
Elles se sont limitées à dresser les cartes des pays sans se préoccuper des hommes qui vivent sur ces terres. Nous n’en voulons pour meilleure preuve que la situation des Touareg qui sont répartis entre 5 pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest : Mali, Niger, Burkina Faso, Algérie et Libye. Cela en plus de groupes réduits qui existent au Maroc et d’autres qui nomadisent entre le Mali et la Mauritanie, ce qui a eu pour effet de les marginaliser, victimes qu’ils sont de privation et d’exclusion.
Les Touareg vivent aujourd’hui dans ces pays de nombreux problèmes : les zones les abritant ne font pas l’objet de préoccupation des gouvernements et ne sont pas développées, c’est pourquoi ils sont en constante rébellion tant au Niger qu’au Mali. Ce sont les mêmes raisons qui ont conduit à des conflits politiques et sociaux dans tous les pays de la région pouvant parfois arriver au point de faire éclater la guerre civile permanente comme au Soudan et au Tchad.
Et au lieu de voir la communauté internationale (l’organisme régional africain concerné directement par la question), s’atteler au traitement des séquelles de la politique coloniale au sein du continent africain aux fins d’atténuer les conflits ethniques, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a, juste après sa fondation au début des années 60 du siècle dernier, et pour préserver la stabilité dans les pays du continent, décidé dans sa Charte, de consacrer le système dit de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation c’est-à-dire le statut quo.
La pluralité ethnique et culturelle ajoutée à la précarité des fondements de l’Etat a mené directement à l’échec de l’Etat national à absorber les différences entre les groupes le composant en raison notamment de l’absence de l’état de droit, de citoyenneté et de la souveraineté de l’Etat unitaire. Cela a conduit ces groupes à se replier sur eux-mêmes faisant appel à leurs origines, c’est à dire au cadre tribal et à se protéger par leur appartenance ethnique et sectaire au détriment de leur citoyenneté et donc de leur appartenance à l’Etat national. Il s’ensuivit l’émergence de nouvelles aspirations de la part des groupes ethniques à se doter d’un Etat propre. Un tel état de choses ne pouvait aboutir qu’à l’émiettement et à la partition du Soudan en deux Etats, à l’effondrement de l’Etat au Mali, ce qui a «nécessité l’intervention militaire directe de la France pour sauver son existence. Et tous les pays de la région sont aptes à subir le même destin tant que la question de la cohabitation ethnique n’est pas traitée convenablement et tant que l’état de droit n’est pas mis en place consacrant l’Etat de la citoyenneté face à l’Etat unitaire.
2 Emira Mohamed Abdel Halim, l’intervention internationale au Mali : les causes et les opportunités, Centre Al Ahram pour les études et la stratégie, Le Caire 2012 – page 2;
3 Ali Al Ansari, les Touareg, le Sahel dangereux voir site :http ://www.tawalt.com
- L’instabilité politique :
La région du Sahel est caractérisée par l’instabilité politique permanente non seulement en raison de la crise socioéconomique difficile en l’absence de fondements réels de l’Etat mais encore en raison de la multiplicité des putschs militaires qui ont frappé cette région du monde. Certains pays ont enregistré des chiffres record comme la Mauritanie où le record de 15 coups d’Etat (entre réussi et échoué) a été battu. Le dernier en date a été le coup d’Etat du 6 août 2008 suivi du putsch de 2012 au Mali. Il est établi aujourd’hui que les coups d’Etat militaires sont parmi les plus importants facteurs d’instabilité, ce qui représente le plus de risques pour le développement car il met fin à la continuité de l’Etat, des institutions, ainsi qu’aux expériences accumulées en matière d’expertises.
De même, le climat qui accompagne en général les coups d’Etat a pour effet de faire émigrer les capitaux nationaux vers l’extérieur, d’arrêter les flux d’investissements étrangers, de faire partir les cerveaux sinon d’arrêter ou de ralentir dans un contexte marqué par la peur et le manque de libertés.
Tous ces facteurs, ajoutés à la gabegie financière et administrative qui accompagne en général le pouvoir militaire dans le monde, font que les coups d’Etat sont la première entrave au développement.
Le rapport des experts de la Banque Mondiale de l’année 1989 a révélé que la crise de développement en Afrique est une crise de gouvernance et que la gabegie financière et administrative est le facteur qui influe le plus sur le processus du développement du continent.
Il convient de noter que les coups d’Etat militaires dans les pays du Sahel n’ont pas un caractère ethnique et ne sont pas toujours mus par des considérations raciales mais sont une manifestation de l’échec de l’Etat en Afrique en général et dans la région du Sahel en particulier dans la réalisation des objectifs du développement. A cela s’ajoute l’échec dans la concrétisation de l’intégration nationale, la reconnaissance des droits des minorités, la consécration des valeurs de la citoyenneté, de l’équité et de l’égalité des chances. C’est ainsi que cet Etat a vécu et continue de vivre des crises profondes aiguës qui touchent à toutes ses structures et institutions politiques et civiles.
Ces crises à répercussions négatives n’influent pas seulement sur les performances de l’Etat (à légitimité douteuse) mais encore sur la réalité de sa propre existence. Aussi, beaucoup de questions interpellent l’observateur : l’Etat dans la région du Sahel est-il une réalité en tant qu’institution socio- politique ou s’agit-il d’une entreprise imaginaire sans aucun rapport avec la réalité sociale ? Ou trouve –t- il d’autres moyens pour s’exprimer compte tenu de ses conditions et de ses institutions propres ? Cet environnement en crise économique, sociale et culturelle est naturellement propice aux coups d’Etat militaires porteurs d’instabilité politique.
- La poursuite de la dépendance de l’étranger et de l’intervention extérieure
Il était naturel que les pays du Sahel continuent à dépendre de l’extérieur car ces pays sont le fruit de la volonté du colonisateur comme relevé plus haut. C’est ce qui fait que ce dernier a la haute main sur leurs politiques, sur leurs choix et les oriente au gré de ses intérêts.
L’incapacité de ces pays à élaborer des politiques nationales en comptant sur leurs propres efforts et conformément à une vision qui sert leurs intérêts et qui leur permet d’axer sur les fondements de l’Etat en leur sein, qui réalise le développement et l’intégration nationale, consacre l’identité nationale et renforce l’appartenance au pays, loin de la volonté de l’Etat colonisateur et de ses politiques.
Paradoxalement, au lieu que ces pays œuvrent à renforcer leur indépendance nationale et la coopération entre eux, leur dépendance de l’extérieur s’est accentuée car ils sont incapables d’édifier une économie nationale productive pouvant constituer un fondement pour la coopération sud-sud. Pire, les différents types de dépendance de l’extérieur se sont approfondis au cours des dernières décennies partant de la dépendance alimentaire à la dépendance culturelle et politique. La crise de la dette extérieure qui a explosé au cours des années 80 du siècle dernier n’est que la meilleure preuve de l’importance de cette dépendance de l’extérieur.
Non seulement la décision des pays est tributaire des politiques internationales mais encore leur politique n’est que la manifestation de la volonté extérieure et en exécution d’agendas de puissances influentes au plan international. La dernière intervention française au Mali n’est que l’expression de cette dépendance et de l’incapacité constante de pouvoir défendre les intérêts nationaux et la perte de la souveraineté dans ses manifestations les plus claires, de sorte que l’Etat s’est transformé dans la plupart des cas au Sahel en courtier entre l’intérieur et l’extérieur plutôt qu’un acteur positif au service de l’unité nationale et qui œuvre à réaliser les objectifs de développement.
4 Publication des travaux du forum : la question de la gouvernance locale, site http://janoubpress.com
5 Choukri : la crise de l’Etat en Afrique, site Al Ahram, http : ahramonline.org.eg
6 Voir Pierre Kipré, la crise de l’Etat nation en Afrique de l’ouest, outre – terre n°11 2005/2 – pages 19 à 32
7 Nabila Ben Youssef, les causes historiques des crises sécuritaires dans le Sahel africain, revue africaine des sciences politiques, site http://www.bchaib.net
- Le défi de la géographie face à l’intégration nationale :
Parmi les nombreuses particularités que partagent les pays de la région du Sahel figurent l’immensité de leur superficie et le nombre limité de leurs habitants, exception faite du Soudan, caractérisé par une vaste étendue géographique et une densité relativement élevée de population. Ce pays est suivi par la Mauritanie au plan superficie mais s’en différencie par la faiblesse de la population au demeurant concentrée dans des zones limitées de l’espace géographique.
Le caractère général qui prévaut au niveau de la plupart des pays de cette région est que l’essentiel de sa superficie est saharienne constituée de terres arides (Mauritanie, Mali et Niger) surtout, ce qui fait que la majorité des habitants se concentre dans des zones précises limitées de la superficie de l’Etat. Par conséquent la plupart des superficies de ces pays sont restées quasiment inhabitées, une situation qui a compliqué la mission des Etats africains en général, et ceux su Sahel en particulier.
L’éparpillement des habitants dans des zones éloignées et isolées les unes des autres a empêché l’intensification des contacts humains en tant que facteur d’intégration socio- culturelle de nature à aider à la cohabitation et à l’harmonie sociale. Un tel état de fait a représenté également un défi pour les politiques de développement car l’étendue de l’espace géographique est un facteur d’augmentation des coûts des projets d’infrastructures de base voire un obstacle majeur dans un contexte de modicité des moyens économiques et de manque d’expertises.
La mission des gouvernements œuvrant au développement de ces pays et à leur intégration a été rendue encore plus difficile par les actions entreprises par le colonisateur pendant la longue période d’occupation de la région à travers son établissement de la capitale et des principales villes au sud du pays. Par conséquent, tous les projets d’infrastructures et de construction se sont concentrés au sud de ces pays. Dès lors, il est naturel que la vie politique et l’activité économique soit concentrée sur la capitale ce qui a contribué à vider les autres villes. L’exode vers les grandes villes a fait le reste, aggravant ainsi les problèmes structurels dont souffrent déjà ces pays. Il s’ensuivit l’anéantissement de l’économie rurale qui était l’épine dorsale des économies de ces pays et la mise au chômage de sa force de travail désormais aux dépens des cités, ce qui a favorisé nombre de problèmes et de crises sociales constituant un environnement propice à l’existence et au développement du crime organisé.
Axe 2 : La crise identitaire : une manifestation pour consacrer l’intégration de l’Etat national au Sahel
Le colonisateur a créé une entité qui est l’Etat national dans la région du Sahel sans prendre en compte aucune donnée humaine ou géographique comme nous l’avons dit plus haut. Autrement dit, cet Etat a été fondé sur une vision prenant en compte les intérêts de ses fils et répondant à leurs besoins et préoccupations pour que cela puisse constituer un facteur stimulant pour construire une nation homogène dont les citoyens peuvent vivre dans un pays auquel ils appartiennent effectivement et dans lequel ils partagent un passé commun et aspirent à un même avenir qui leur garantit dignité et sentiment de sécurité.
Ainsi l’absence de volonté au moment de la fondation de l’Etat et l’absence de vision et d’exemples à suivre ont fait que cet Etat est incapable de construire une identité que ce soit dans sa dimension culturelle et sociale ou dans sa dimension politique. Faute de construire cette identité pluridimensionnelle, l’Etat national dans le Sahel a échoué dans la réalisation de l’intégration entre les différentes composantes ethniques et raciales mais aussi les autres franges sociales favorisant ainsi un Etat faible au sein duquel les tribus et les groupes ethniques sont les unités de base des structures politiques et sociales organisant toutes les interactions. Cela a conduit à confiner l’idée de l’Etat dans les limites d’un pouvoir personnel qui exerce et assure le monopole de la violence organisée, répartit les rendements de l’Etat et distribue à ses alliés les fonds publics.
Max Weber définit l’Etat comme « l’autorité d’un pouvoir exercé sur un territoire donné avec le monopole de la violence légitime » mais l’existence d’un Etat, au sens de ce concept classique, ne garantit pas l’avènement d’un Etat national apte à assurer sa pérennité et qui dispose des conditions nécessaires pour promouvoir et édifier une identité propre de nature à encourager l’harmonie et la cohabitation commune bien qu’une société qui n’a pas de problème identitaire n’existe pas si bien que la différence entre les pays à ce niveau est plus une différence de degré.
La question identitaire est toujours présente dans toutes les étapes de l’existence des sociétés et des Etats nouvellement créés de par le monde en ce qu’elle est un phénomène lié aux entités politiques, sociales et culturelles de création récente.
Elle fait partie des tiraillements entre les différents courants politiques sur la destinée finale qui représente la stabilité relative de l’entité à laquelle elle appartient (10) surtout dans une zone géographique qui n’a connu l’Etat à travers l’histoire que de manière entrecoupée surtout que l’Etat national qui y a été érigé était le fruit de la volonté du colonisateur, les fils du pays n’ayant eu aucun rôle dans l’édification de cet Etat.
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8 Ahmed Mahfoudh Ould Menah, «Mirath Essayba » (l’héritage de la période d’anarchie), une étude de l’histoire de la culture politique du Bilad Chinguitt- Mauritanie Imprimerie Nationale 1994 Nouakchott, page134.
9 Voir Ikram Adneni, sociologie de la religion et de la politique chez Max Weber, Forum des connaissances, Beyrouth, 2013, page 112.
Si la matérialisation de cette identité commune est le garant essentiel de la pérennité du groupe et au-delà, de l’Etat, et du groupe censé protéger et défendre son entité, particulièrement son identité politique, l’Etat national dans la zone du Sahel a échoué dans l’établissement de cette identité. Cette identité est au demeurant vue en tant qu’ensemble d’éléments qui donnent à l’Homme en tant qu’individu, et la société en tant que groupe partageant un ensemble de relations, le sentiment d’exister et d’appartenir à une même communauté et à un destin commun (11).
Ce sentiment garantit la pérennité du groupe et défend son existence et lorsque ce sentiment disparait le groupe s’expose à la menace de la division et de l’émiettement (ce qui est conforme à la définition faite par Max Weber lorsqu’il parle de groupe ayant le sentiment d’origine commune).
Les études sociologiques axent généralement sur les types d’identité suivants : l’identité socio- politique et culturelle en ce qu’elle influe plus que les autres sur le processus d’évolution de l’Etat et les possibilités de son développement. Mais le plus grave est l’absence d’identité politique qui se trouve être la garante de la pérennité de l’Etat. La plupart des pays du monde ont une population multiraciale, multiethnique et religieuse, toutefois cela n’a pas été à l’origine de leur morcellement. Par conséquent, le phénomène pluriracial et ethnique n’est pas propre au continent africain ni au Sahel en particulier même s’il y apparaît davantage qu’ailleurs en raison de la précarité de l’Etat national, ce qui implique que la faiblesse de l’Etat national et la précarité de son existence ainsi que son échec ne sont pas dus à sa pluralité ethnique et culturelle. Mais, dans le contexte de la faiblesse de l’Etat et de sa mollesse apparait le phénomène des conflits raciaux et ethniques comme expression de l’effondrement de l’Etat et de sa fragmentation.
Après l’accession de l’Etat national à son indépendance dans le Sahel, une crise identitaire multidimensionnelle a éclaté dans la plupart des pays de cette région en raison de la diversité des langues parlées par les populations et de leur pluralité ethnique. Aussi la langue nationale a pris les devants de la crise identitaire : chaque partie s’en tenant à sa langue et voulant l’imposer à l’autre. Il était naturel dès lors que la majorité tentât d’imposer sa langues aux minorités mais l’intervention du colonisateur qui a décrété officielle sa propre langue et exclu les langues nationales et notamment celle qui est la plus répandue et qui joue un rôle influent au plan civilisationnel – comme la langue arabe – a changé la donne. La situation s’est compliquée toutefois lorsque certaines minorités ont pris fait et cause pour la langue du colon. La question de la langue revêtit alors le caractère d’une crise identitaire multidimensionnelle dont le premier aspect est l’imposition par le colon de sa langue écrasant toutes les autres langues nationales. C’est notamment le cas des pays qui ont adopté la langue française comme langue nationale officielle. Quant à l’autre aspect de la crise, il réside dans le rejet par les minorités ethniques de la langue de la majorité pour prendre parti pour la langue du colonisateur, ce qui a entrainé de nombreux conflits dans les pays du Sahel.
Et l’absence d’accord sur la langue officielle a nourri une crise identitaire dans ces pays qui perdure depuis des décennies.
L’identité culturelle et sociale qui nous intéresse ici est celle qui a des dimensions collectives et comporte des expériences communes, un système de valeurs et des critères représentant des exemples d’orientation du groupe. L’existence de cette identité sociale communautaire est susceptible de favoriser la cohésion de l’Etat et lui permettre de s’occuper des questions de développement. Tout comme elle renforce l’immunité du pays face aux attaques extérieures. En effet, sous le prétexte de les défendre, les puissances occidentales ont bien souvent recouru à l’utilisation des minorités pour les exploiter à des fins politiques dans leur propre intérêt et ces minorités ont aussi fait appel à ces puissances pour affronter la majorité.
Là réside toute l’importance de l’harmonie sociale et ethnique pour l’unité de l’Etat et sa cohésion intérieure et pour le prémunir contre l’intervention extérieure.
L’identité sociale/ communautaire dans certaines de ses manifestations étant l’existence matérielle et conceptuelle claire de toute entité socio politique existante, cela veut dire qu’elle soit un partenaire véritable dans l’existence effective de l’Etat ce qui implique qu’i dispose d’une situation, d’une position et d’une mission au service de cet Etat dans ce cas, l’identité sociale /communautaire est positive et efficace pour l’Etat national.
Mais le plus grave pour l’Etat national est d’échouer dans l’édification d’une identité politique claire reposant sur des références communes représentant un consensus entre toutes les franges, communautés et ethnies formant cet Etat. Généralement, cette identité politique est claire et précise notamment si elle est fondée sur un contrat social, c’est-à-dire une constitution consensuelle référence pour tous, de façon à exprimer la volonté du peuple dans toutes ses composantes loin de toute pression ou coercition.
Cette constitution aura fixé, de manière claire, les grandes questions comme le système de gouvernement, la relation entre les pouvoirs, le respect de la pluralité ethnique, culturelle et religieuse. Chaque citoyen doit se retrouver dans cette constitution et tout ce qui est de nature à garantir ses droits et lui permet d’assumer ses devoirs en toute responsabilité et en toute liberté ainsi que la participation à la vie publique de la manière qui lui convient. Là réside l’intérêt de l’identité politique dont la réalisation signifie l’élimination de toutes les formes d’oppression sociale, de conflits raciaux conduisant à l’extrémisme et au dérapage. C’est que l’exacerbation de l’extrémisme dans les positions des communautés ethniques et raciales augmente au fur et à mesure qu’augmente l’incohérence et la différence dans la constitution ethnique et culturelle dans l’entité de l’Etat national.
10 – Jean-Marc Siroen, l’Etat –nation survivra –t- il à la mondialisation? Université Paris Dauphine, Paris 2006 Page 20.
11 – Ikram Adneni, sociologie de la religion et de la politique chez Max Weber, Opuscule cité page 120.
12 – Dr. Kaysar Moussa Zeine, la question identitaire au Soudan: les manifestations et les perspectives, Institut des études afro asiatiques, février 2009.
Mais l’extrémisme racial et culturel ne se développe et ne s’épanouit que dans un environnement où la force vive nationale a échoué dans l’édification d’une identité politique unitaire car il s’agit d’une force organisatrice dont l’action est efficace dans la maîtrise des courants caractérisant cette réalité sociale changeante dans les pays nouvellement créés comme ceux du Sahel.
Aussi, l’échec de l’Etat national dans cette région du monde d’établir une identité politique réelle et cohérente a conduit au manque de confiance en soi des sociétés de ces pays et entrainé une peur qui inclut l’incapacité de jouir de la vie commune, ce qui a pour effet le repli sur soi des composantes ethniques et culturelles. Une telle situation encourage la consécration des identités sectaires au détriment de l’identité nationale unificatrice. Il s’ensuivit alors un cercle vicieux de crises qui ont menacé l’existence de l’Etat dans cette région et ont transformé les Etats soit en entité précaire soit en Etat qui a échoué dans sa mission.
Parmi les manifestations d’un tel phénomène on peut noter :
- La rébellion contre l’Etat et la défiance de sa légitimité et de son pouvoir, ce qui souvent est lié à l’usage de la force armée comme au Soudan, au Tchad et au Mali ;
- L’alternance dans l’accaparement de l’appareil d’Etat comme seul moyen de réaliser les intérêts du groupe œuvrant à la suprématie et à prendre le pouvoir. Cette situation a pris les formes suivantes :
- l’utilisation à large échelle de la force armée comme cela se déroule périodiquement au Tchad depuis son indépendance;
- l’utilisation des coups d’Etat militaires. Le groupe ayant initié le coup accapare les rênes de l’Etat, ses institutions et services, met à la tête de l’Etat un représentant du groupe aux fins de conduire le pouvoir dans son intérêt jusqu’à ce qu’un autre groupe entreprenne la même initiative en renversant le premier et ainsi de suite…
Tous les pays de la région ont connu cette situation. En matière de coups d’Etat militaire la Mauritanie bat tous les records.
- Le retrait de l’Etat et la recherche d’autres cadres pour réaliser ses intérêts Un état de choses qui peut engendrer le recours à des cadres sociaux comme la tribu. Il en est ainsi au Darfour, au Soudan. Cela peut revêtir aussi d’autres formes raciales ou ethniques comme le cas des Touareg au Mali et au Niger. L’échec des pays du Sahel dans la réalisation d’une identité politique commune fait qu’ils partagent les spécificités suivantes :
- Ils connaissent tous une identité incertaine;
- Ils vivent tous ce qu’on appelle «le fractionnement » de l’identité culturelle nationale ;
- Ils ont tous été incapables de promouvoir une identité socio – culturelle et politique nationale ;
- La plupart d’entre eux sont connus pour leurs «identités mortelles»?
En conséquence, la revendication d’une identité politique unitaire est une exigence stratégique au profit de la cohésion de l’Etat pour pouvoir s’occuper exclusivement des questions de développement car l’échec dans la réussite d’une telle entreprise est à l’origine de ce qu’on peut appeler «les ingrédients qui provoquent les crises».
Axe 3 : Les facteurs de la crise sécuritaire dans la région du Sahel
L’observateur qui suit l’évolution de la situation dans la région du Sahel peut aisément la qualifier de « croissant » des crises en Afrique et dans le monde à l’instar de celui des crises en Asie en raison notamment de l’intensification des activités du crime organisé transfrontalier et du nombre des guerres civiles qui y sont déclenchées.
C’est ainsi que nombre de ces pays connaissent des conflits armés faisant vivre à cette région des crises sécuritaires successives ou sont influencés par les crises des pays voisins leur occasionnant, à leur tour, des crises. C’est à partir de là qu’il est possible de comprendre pourquoi nous l’avons appelé «zone du croissant des crises » en dépit de la diversité de ses ressources naturelles. Mais le chiffre insignifiant de la population, le caractère vaste de la superficie et l’absence d’accès à la mer de certains d’entre eux font que cette zone ne peut pas tirer profit de ses ressources naturelles.
C’est pourquoi les puissances internationales peuvent facilement exploiter cette situation et créer des crises de toutes pièces afin de faire pression et d’arracher des conventions à des conditions très favorables pour piller ses ressources naturelles. Il s’agit ensuite de favoriser toutes les tensions et crises possibles pour pérenniser cet état de fait.
Parmi les principaux facteurs à l’origine de cette crise dans la zone du Sahel, on peut citer :
- L’échec des politiques de développement a transformé la région en zones où sévit la précarité
Il est désormais connu aujourd’hui que tous les pays du Sahel ont échoué dans la réalisation des objectifs de développement au cours des 50 dernières années et que les institutions gouvernementales souffrent d’échecs cuisants et affrontent des défis immenses pour faire face à la communauté internationale.
Les pays de cette région sont ainsi classés parmi les pays à haut degré de précarité, ce qui fait que certains de ses pays s’approchent du statut du pays qui a échoué sur toute la ligne.
Vivre dans un Etat où sévit la précarité implique la privation des services de base de l’Etat des moyens de protection de la sécurité et des droits de l’Homme avec ce qui s’en suit de dégâts humains considérables et à large échelle. La précarité consiste en :
- L’échec de l’Etat à imposer son autorité et son incapacité de fournir les services de base en plus de l’impuissance à préserver la légalité.
- Dans ce cas, l’Etat est incapable de protéger ses concitoyens contre la violence et ne peut pas offrir les services essentiels à tous les citoyens ni acquérir leur reconnaissance de sa légitimité. Généralement les spécificités des pays vivant dans la précarité se résument dans les points suivants :
- la faiblesse de la capacité à mobiliser les ressources;
- la baisse des taux de croissance au niveau du développement humain;
- la baisse de la densité de la population;
- la hausse de la dette extérieure;
- le faible attrait des investissements étrangers.
Le danger de la transformation du pays en Etat où sévit la précarité réside dans l’absence de volonté politique des dirigeants de s’acquitter convenablement de leurs missions et d’assumer leurs responsabilités face aux défis pressants, ce qui fait que les structures de l’Etat manquent de capacités requises pour accomplir leurs principales missions de lutte contre la pauvreté, de réalisation des objectifs du développement et de protection des populations, de défense de leurs intérêts économiques, politiques et humains. Il s’agit ensuite de leur offrir les conditions de vie décente.
Cablant confirme cette opinion dans sa définition des pays à situation précaire sur la base des caractéristiques existantes au niveau des structures de l’Etat et la question de savoir s’il y a non concordance manifeste entre les institutions officielles et non officielles.
Il estime que les frontières, imposées aux groupes multiraciaux qui ne sont pas unis par une histoire commune, peuvent facilement favoriser la séparation des populations de l’Etat pour lesquelles il a été créé. Et il est peu probable que de telles conditions socio politiques, puissent générer un gouvernement capable de concrétiser les aspirations de ses concitoyens (15).
Tout pays qui connaît cette situation en arrive généralement à vivre une situation d’instabilité politique, de déclin économique et d’arrêt des activités des institutions conduisant généralement à l’anarchie sociale et aux conflits raciaux, ce qui est de nature à influer négativement sur la prise de décision politique, voire la paralyser.
C’est ce qui a entrainé l’incapacité de l’Etat à offrir la sécurité et les services sociaux aux populations et c’est cette situation à laquelle la plupart des pays du Sahel sont arrivés. Cet état de fait pourrait encourager l’esprit séparatiste et fait de ces pays un terrain propice au crime organisé sous toutes ses formes et au trafic illicite des stupéfiants, des personnes et des bandes d’immigrés clandestins.
- La relation entre l’immensité de la superficie et les mouvements du crime organisé :
« La géographie mortelle »
La majorité des pays du Sahel se situent dans l’aire géographique du grand Sahara. C’est l’un des déserts les plus arides au monde, les plus difficiles d’accès et les moins peuplés. Les pays situés dans cette zone désertique aride, où il est difficile de vivre en raison de la rareté de l’eau, voient ces conditions se répercuter sur le nombre et l’aspect des agglomérations urbaines, la faiblesse de l’activité économique et sa répartition dans l’immensité de l’espace saharien en plus de la position des capitales de ces pays généralement à l’extrême sud du territoire.
Un tel état de fait entraine l’impuissance de l’Etat à étendre son autorité sur tout le territoire national y compris ses points les plus reculés et est par conséquent susceptible d’affaiblir son contrôle de son territoire et de favoriser la rébellion contre le centre. En outre, l’incapacité de maîtriser les frontières a créé un vide géographique qui, à son tour, contribue à l’implantation du crime organisé et permet aux bandes de circuler librement loin de la surveillance de l’appareil sécuritaire de l’Etat.
L’étendue de l’espace sahélien et l’importance des superficies des pays de la région font que la géographie est mortelle au Sahel. Une telle situation les transforme en pays extrêmement fragiles d’où la facilité de leur pénétration par les bandes du crime organisé et l’accroissement des activités des organisations et groupes terroristes, ce qui accélère la détérioration de l’Etat déjà affaibli dans cette région du monde (16).
L’incapacité de l’Etat à défendre ses frontières face à l’immigration clandestine et au trafic des armes a fait de cette zone l’un des environnements les plus propices à l’activité du crime organisé facilitant aux bandes organisées la concentration de leurs activités dans la région, l’implantation de leurs bases en particulier les bandes de terroristes et de narcotrafiquants et leur a fourni l’occasion de faire des alliances et de pouvoir inter changer les rôles, loin du contrôle des pays de la région et des parties prenantes influentes (17) au plan international.
14 Ibidem Page 26 i
15 Voir les détails des vues de M. Caplan dans le rapport européen sur le développement, transcender la précarité en Afrique, formulation d’une nouvelle approche européenne, Centre Robert Schuman pour les études avancées Institut Universitaire Européen, San Domingo de Visoli, 2009, Page 46 ;
16 Ali Nassari, les Touareg, le Sahel dangereux, ibidem, Page 56 ;
17 Jean Marc Siroen, l’Etat nation survivra –t- il à la mondialisation ? Université Paris Dauphine.
C’est un environnement géographique favorable qui a aidé au renforcement et au déploiement des éléments d’Al Qaeda, C’est ainsi que celle-ci traverse les pays où l’organisation dispose d’éléments comme en Mauritanie, au Mali, au Niger et l’Algérie.
Et contrairement à ce que beaucoup pensent, l’organisation Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) en particulier et les groupes armés au Sahel en général ainsi que les activités terroristes qu’ils mènent ne sont pas les seuls défis qui menacent la sécurité du Sahel.
En effet, les trafiquants de drogue et des cigarettes, les intermédiaires de l’immigration clandestine, les bandes qui s’adonnent au trafic transfrontalier de personnes et de prostituées, ne sont pas moins dangereuses que les activités des organisations terroristes. C’est ainsi qu’ils exercent leurs activités en exploitant des routes non surveillées et qui changent au gré des circonstances, routes situées entre le Mali, la Mauritanie et l’Algérie car ces zones désertiques arides et non habitées sont favorables à leurs activités et à leurs mouvements en toute liberté.
3 : L’échec des politiques sécuritaires
Il est tout à fait naturel que les pays du Sahel échouent face aux menaces sécuritaires confrontées au cours de ces dernières années à cause de la faiblesse de leurs services de sécurité et de la rareté des ressources économiques et financières ainsi que la faiblesse de leurs expertises humaines et de la dégradation de leurs infrastructures administratives, en plus de la non préparation organisationnelle et opérationnelle.
Mais s’il y avait une coordination efficace entre les appareils sécuritaires de ces pays, cela aurait pu compenser relativement cette faiblesse enregistrée au niveau national dans le domaine de la sécurité. Il est toutefois évident que cette faiblesse au niveau de la coordination et l’inexpérience des appareils sécuritaires sont autant de facteurs qui les rendent inefficaces pour faire face au crime organisé transfrontalier qui menaçait et continue à le faire de manière directe la sécurité des Etats de la région.
Les exemples les plus saillants en sont :
- A) l’échec en matière de coordination sécuritaire pour faire face à Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI)
En dépit de l’existence d’une coordination sécuritaire apparente entre les pays de la région connue sous l’appellation de « coordination sécuritaire commune entre les pays du champ» ou encore « plan Tamanrasset signé en 2009 où sont parties prenantes l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie.
Le plan Tamanrasset a conduit à l’établissement d’un centre d’opérations militaires communes à Tamanrasset (CEMOC au sud de l’Algérie) sous parapluie franco – américain. Mais cela n’a pas donné lieu à une coordination véritable fondée sur une stratégie à vision et exécution communes notamment face à AQMI qui a menacé la sécurité de tous les pays de la région en intensifiant ses activités sur leurs territoires. Ainsi AQMI a exécuté plusieurs opérations contre leurs gouvernements mais aussi contre des intérêts occidentaux sur ces territoires. Cela apparait encore de façon plus manifeste dans la politique algérienne axée essentiellement sur la défense et les renseignements alors que la Mauritanie, qui subi sur son territoire, les attentats terroristes, a opté pour la politique des attaques préventives à travers ses interventions militaires répétées au nord Mali sans coordination avec ce dernier peu avant l’intervention directe de la France dans ce pays pour faire face à Al Qaeda.
Le Mali a, quant à lui, choisi d’ignorer les activités d’Al Qaeda au nord de ce pays ce qui a permis en fin de compte à AQMI de créer un « Etat » dans la zone de l’Azawad et d’en faire le point de lancement de ses attaques en vue d’une maîtrise complète du territoire malien. Le Niger, pour sa part, a préféré compter sur l’appui français et américain en leur permettant d’établir des bases aériennes de Drones pour lutter contre les mouvements extrémistes.
- B) l’échec dans la confrontation avec le crime organisé
La précarité de la situation des pays du Sahel et l’étendue de leur territoire géographique a permis aux bandes du crime organisé de se concentrer dans cette zone, en profitant du vide créé par l’absence de populations et exploitant l’impréparation des appareils sécuritaires pour défendre le territoire national dans ces pays.
Les indices montrent que les bandes de narcotrafiquants ont transféré leurs activités d’Amérique du sud en Afrique dans la zone du Sahel. En raison de la faiblesse des moyens des pays de la région, il est normal que ces pays échouent face à la criminalité organisée transfrontalière dont l’activité s’est accrue ces dernières années.
Aussi, cette région est – elle devenue le théâtre d’opérations de trafic et un point de passage de la drogue ainsi qu’un centre d’accueil des rebelles et d’individus recherchés par la justice, de contrebande, de fraude financière et commerciale, de crime de haute technicité, de commerce des armes, d’exploitation organisé du sexe et de blanchiment d’argent sale.
C’est ainsi que qu’environs 250 tonnes de cocaïne d’une valeur de 11 milliards de dollars sont expédiés illicitement chaque année d’Afrique vers l’Europe, si elles parviennent aux marchés pour lesquels elle est destinée.
Il en découle que l’activité du crime organisé s’accroît à mesure que les institutions de l’Etat faiblissent. Le meilleur exemple illustrant cette situation est qu’après la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, ni le Mali ni le Niger n’ont pu arrêter l’entrée des Touareg avec leurs armes lourdes et qui ont combattu aux côtés du colonel Kadhafi. C’est avec ces mêmes armes que les Touareg ont pu faire tomber les principales villes maliennes dans quelques semaines (19).
Il s’ensuivit une intervention militaire française au Mali qui a entrainé l’augmentation du nombre des fugitifs des champs de bataille au nord Mali vers les pays voisins ce qui est de nature à augmenter la pression sur ces pays. Le nombre des réfugiés maliens a dépassé 420 000 individus, ce qui fait que les répercussions de ce conflit risquent d’être graves aux plans intérieur, régional et international et fera que la région aura à payer un lourd tribut dans l’avenir.
4) Les répercussions de l’exacerbation des crises sociales la situation sécuritaire:
Les pays du Sahel connaissent un essor démographique accéléré avec un taux de croissance naturel dépassant 2% dans tous les pays de la région, ce qui engendré la multiplication par 4 de la population depuis 1950 pour atteindre 68 millions en 2000. (20) avec tout ce que cela peut entrainer de catastrophes naturelles traduites dans des sécheresses répétées dans la région.
C’est ainsi que plus 18 millions de ses habitants ont souffert de la famine en 2012.
De même, la région du Sahel est classée parmi les régions les plus pauvres du monde (21) avec tout ce que cela peut entrainer comme chômage et exacerbation de la crise sociale. La zone englobe certains pays où se trouvent les taux de chômage les plus élevés dans le monde. Le chômage y est au dessus de 16% au moment où le taux de chômage en Mauritanie dépasse les lignes rouges, soit près de 47%.
Ces crises sociales avec leur corollaire de privations et de souffrances se répercutent de manière directe sur les différents types de criminalité leur créant ainsi un terrain fertile : la pauvreté est le premier facteur à l’origine de l’émigration ; le chômage crée un vide et un sentiment de privation entrainant les jeunes vers l’adhésion aux réseaux de la criminalité organisée et les poussant à rejoindre les organisations extrémistes jihadistes.
Par conséquent, ces crises sociales exacerbées dans le Sahel constituent un environnement propice aux différentes activités de la criminalité organisée transfrontalière dont l’activité est appelée à croître dans les années à venir en raison de l’incapacité de ces pays de lui faire face et de l’inefficacité de l’appui de la communauté internationale.
- La gabegie :
Si la gabegie est la mauvaise utilisation du pouvoir ou l’utilisation de la position aux fins de réaliser des acquis particuliers, la gabegie politique est pour ainsi dire la plus dangereuse car il s’agit d’une action illégale pour l’obtention d’acquis propres afin de pérenniser l’autorité et partant sa position afin de s’enrichir illicitement.
Les différentes formes de gabegie sont assez répandues dans les pays du Sahel. Ainsi que le Soudan est classé selon le rapport de Transparency International parmi 4 pays arabes dans lesquels la gabegie est la plus répandue. Le Tchad est quant à lui classé selon le même rapport parmi une liste de 4 pays africains où sévit le plus la prévarication. La Mauritanie occupe le 143ème rang sur la liste de Transparency International 2013. Le danger de la gabegie réside dans ce que ses victimes sont au premier chef les pauvres que ce soit dans les pays pauvres ou riches (23).
Cela apparait dans les rapports internationaux qui notent que les pays africains sont à la tête des pays les plus frappés par la gabegie dans le monde. C’est le continent qui englobe le taux le plus élevé d’affamés. Les estimations de la Banque Mondiale montrent que plus de 1000 milliards de dollars sont versés chaque année comme pots de vins soit plus de 3% des revenus du monde entier en 2003.
Les estimations de l’Union Africaine soulignent à leur tour qu’environ 143 milliards de dollars sont transférés annuellement à l’étranger pour cause de gabegie et que ces ressources auraient pu, si elles étaient utilisées à bon escient, produire une différence de taille au profit de ces économies (24).
Il est logique dès lors que la gabegie figure en tête des facteurs d’instabilité des pays pauvres en raison de la dilapidation des ressources économiques et financières et de l’éparpillement des énergies et des privations des franges pauvres qui en découlent, ce qui encourage les conflits et constitue un obstacle à la paix sociale et à la prospérité économique.
En définitive, la crise sécuritaire au Sahel n’est qu’une manifestation de la crise de l’Etat national dans cette région du monde qui a échoué à réaliser l’intégration nationale susceptible de garantir la stabilité politique et sociale et de contribuer à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement qui favorisent la prospérité et rétablissent la sécurité et la sérénité auprès des populations de ces pays. Ce qui ne peut se réaliser qu’à travers les axes suivants :
- Œuvrer à réaliser l’intégration nationale qui fonde l’Etat de droit et les autres institutions garantes de l’Etat de la citoyenneté ;
- S’atteler à la coordination et à la complémentarité entre les pays de la sous région notamment dans les domaines vitaux et stratégiques ;
- Faire en sorte que la communauté internationale soit consciente de l’intérêt que représente la sécurité et la stabilité du Sahel pour la paix et la sécurité dans le monde et que l’aide à ces pays pour atteindre ces objectifs ne doit pas être tributaire des conflits d’intérêts des puissances mondiales et de leur lutte pour la suprématie comme par le passé.
Projet Politique Jihadiste au Maghreb
Approche locale
Salma BELAALA, Marie Curie Advanced Fellowship
The University Of Warwick/Sciences Po, Paris
Selma.belaala@sciencespo.fr
Genèse du salafisme en Algérie et au Maroc
Le salafisme, al salafiyya, constitue une des principales doctrines islamiques, en référence à l’orthodoxie sunnite et en particulier à l’islam de l’époque des compagnons du Prophète, al salaf, les pieux aïeux de l’Islam originel.
On distingue deux courants historiques du salafisme : le salafisme hanbalite[1] (XIVe s.), dont le jurisconsulte syrien Ibn Taimiyya fut le principal imam, et le salafisme wahhabite (Xviie s.), fondé par Mohammed Ibn Abd Al Wahhab. De nature traditionnaliste, ces deux tendances prônent une lecture rigoriste du Coran et de la tradition prophétique, al Sunna.
Toutefois la Nahda, la Renaissance islamique (XIXe s)– le salafisme réformiste, conçu en Egypte par Mohammed Abdu[2] – appelle à une renaissance du monde musulman par l’appropriation des techniques scientifiques du monde occidental. La référence à l’Islam réformiste apparait alors au Maghreb à travers deux figures politico-religieuses[3], le Marocain Abu Chouaib Doukali et l’Algérien Ibn Badis al Sanhadji. Une acception musulmane libérale du réformisme surgit alors au Maroc grâce au salafisme nouveau de Mohammed Alaoui M’daghri et ensuite au salafisme libéral d’Allel al Fassi[4]. Pendant la décolonisation, la référence à l’Islam des Anciens est apportée par le salafisme nouveau dans la perspective d’une intégration à la modernité politique et par adhésion à la fondation d’un Etat-nation à la place du califat ottoman. A cette époque, en Algérie le salafisme réformiste initie un mouvement appelé Al Islah[5], la Réforme, qui constitue le protonationalisme musulman dans ce pays.
Une conception proprement islamiste du salafisme, le wahhabisme islamiste, apparait au début des années 1980 au Maghreb, grâce à la composante wahhabite des Frères musulmans d’Arabie Saoudite. Au début des années 2000, la dimension fondamentaliste du salafisme, en référence au wahhabisme, s’affirme au Maghreb sous la forme d’un néo-salafisme à travers Mohammed Nassir Al Albany, en rupture notamment d’avec l’Islam classique pluriel ou encore la stratégie politique contestataire des Frères musulmans.
Tableau 1: Les courants historiques salafistes (Maroc, Algérie).
Les salafismes historiques (XVIIe -XIXe ) | Les salafismes contemporains (XX e-XXIe) | ||
Le salafisme hanbalite
Machreq (XIVe) |
Le salafisme wahhabite au Maroc sultan Mohammed ben Abdallah (1758-1790),–sultan Slimane (1792-1822) . | Le salafisme réformiste : Maroc.
Abu Chouaïb Doukali (1938). Al Islah, Ibn Badis (1923), Algérie. |
Le salafisme islamiste : Aboubakr Al Djazaïri (1980-1990, Algérie), Taquieddine Al Hilali (1980-1990, Maroc.) |
Salafisme wahhabite
Arabie Saoudite (XVIIe) |
Le salafisme nouveau (Maroc), Mohammed Alaoui M’daghri (1942-1964). Le salafisme libéral Allal Al Fassi (1940-1956). | Le néo-salafisme : Al Albany, 1989-1999 Al Maghrawi (2003-2008) Maroc), Ramdani et Ferkous (2004-…, Algérie. |
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Vert : salafisme réformiste et salafisme libéralNoir : salafisme islamiste et salafisme fondamentalisteJaune : salafisme orthodoxe (traditionnel)
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L’islamisme wahhabite au Maroc et en Algérie
La nature plurielle du salafisme réformiste au Maghreb et au Machreq[6] est peu connue. Pourtant la divergence d’idées entre ses dirigeants a eu un impact politique important sur l’évolution de l’Islam politique et de la modernité politique dans le monde musulman.
Il faut rappeler que le fondateur du salafisme réformiste au Machreq, Mohammed Abdou, incarnait au sein du mouvement le courant ouvert, « al ma‘qoûl », en référence à la raison et au raisonnable, alors que Rachid Réda représentait l’aile conservatrice qui s’appuyait sur « al manqoûl », la transmission traditionnelle et l’interprétation intégrale des textes islamiques canoniques[7].
A l’instar de ses adeptes maghrébins comme Aboubakr Al Djazâïri ou Taquieddine Al Hilali, les militants du salafisme réformiste conservateur de Réda, les premiers islamistes wahhabites algériens, défendaient le modèle du califat contre le projet moderne de l’Etat-nation, tandis que les adeptes du courant salafiste réformiste libéral, comme Ibn Badis, ou encore Mohammed Alaoui M’daghri et Allal al Fassi, adhéraient de leur côté à l’instauration de l’Etat-nation et à l’idée de patrie, « al watan ». Ainsi cette polarisation au sein du salafisme réformiste est-elle à l’origine, dans ces pays, de deux courants politiques majeurs à référence religieuse : le nationalisme religieux et l’islamisme des Frères musulmans.
La rupture avec les Frères musulmans saoudiens
L’analyse politique du néo-salafisme nécessite une compréhension de la nature sociologique de la wahhabisation. Cette dernière opère à travers la « salafisation » de l’Islam local et non par le fait de la transformation du régime, des urnes ou encore de modifications de la législation nationale. Dans le contexte culturel maghrébin, le fondamentalisme de référence wahhabite est antagonique à la tradition religieuse locale, notamment la jurisprudence orthodoxe dominante au Maghreb, le malékisme[8].
La rupture avec les Frères musulmans et l’affrontement ouvert avec le régime et l’Etat, prônés par « les nationaux islamistes », ont été analysés à tort comme « apolitiques » dans le cas des néo- salafistes[9].
Or il s’agit d’une réorientation de ce courant de l’Islam politique, centré désormais sur la wahhabisation du champ religieux local et non du pouvoir politique ou des appareils institutionnels proprement dits.
La politique néo- salafiste consiste désormais à « wahhabiser » le droit musulman classique local et les référents théologico-historiques, ce qui affaiblit considérablement les fondements historiques et culturels de l’Etat-nation dans cette région du monde arabe. Rappelons que la communauté politique s’y est construite au plan religieux grâce à l’appartenance au malékisme et, au niveau local, dans les campagnes notamment, par référence au soufisme. Rappelons que la communauté politique s’y est construite au plan religieux grâce à l’appartenance au malékisme et, au niveau local, dans les campagnes notamment, par référence au soufisme.
- La Ligue Islamique Mondiale: le « Vatican » wahhabite
La nature politique de l’islamisme néo- salafiste repose principalement sur l’évolution du wahhabisme saoudien au XXe siècle. L’émergence de la Ligue Islamique Mondiale, « Al Rabita al islamiyya», imaginée par le gouvernement saoudien en 1962, avait pour objectif d’initier une politique d’influence au niveau international. Son influence et sa volonté de transformer le wahhabisme en principal référent de l’Islam dans le monde valent à la ligue d’être aujourd’hui qualifiée de « Vatican » wahhabite. L’organisation est dirigée par un collège de cheikhs qualifiés d’ulémas et constitué exclusivement d’imams wahhabites saoudiens[10].
La stratégie d’infiltration des diasporas musulmanes en Europe et dans le monde a occupé une place centrale dans la politique étrangère du salafisme saoudien entre 1970 et 1990[11]. Le but est de renforcer l’influence de la monarchie Al Saoud dans le monde et d’asseoir l’Arabie comme la principale puissance islamique et non pas seulement comme une force pétrolière.
À partir de 1970, la mise à disposition des ressources pétrolières saoudiennes auprès de l’organisation wahhabite mondiale a doté le salafisme d’un pouvoir d’influence sans équivalent dans le monde islamique. De puissants appareils religieux internationaux ont été mis en place par l’Etat et confiés aux religieux wahhabites locaux adoubés par le régime. À l’instar de la Ligue Islamique Mondiale, ces derniers dirigent de manière collégiale la présidence du Haut Conseil des mosquées, du Congrès mondial de la jeunesse islamique ainsi que le Conseil du roi Fahd[12] pour l’impression et la diffusion du Coran, qui définit les lignes idéologiques, politiques et la stratégie en matière de diffusion du wahhabisme dans le monde.
On assiste ainsi à la fin du salafisme wahhabite traditionnel, replié sur lui-même, au profit d’une évolution de l’idéologie religieuse. Les attaques du 11 septembre 2001 ont abouti à transformer une doctrine religieuse fondamentaliste en une idéologie dont l’impact géopolitique est notable. Le début de relations entre les grands ulémas wahhabites et le catholicisme marque ce tournant historique des salafistes saoudiens. Cette initiative est à l’origine de la visite en Europe, en 1984, des ulémas saoudiens[13] dont l’objectif est de montrer que le salafisme wahhabite, « principal moteur spirituel au sein de la société saoudienne », occupe un rôle prépondérant dans le monde musulman. Enfin, les ulémas saoudiens se considèrent comme les « porte-parole » de l’Islam sunnite.
Le financement des mouvements politico-religieux conservateurs en Europe constitue également un des corollaires de cette politique. L’aide caritative en Europe et la volonté de contrer les idéologies «athées» participent ainsi à la propagation du salafisme en France et en Italie où les forces politiques de gauche sont alors puissantes. Une rencontre entre Jean-Paul II et Abdallah Nassif, président de la Ligue Mondiale Islamique, le 22 août 1985 au Maroc[14], sacre la diplomatie religieuse wahhabite en Europe et dans le monde non musulman.
Les théoriciens de l’islamisme salafiste wahhabite
- Mohammed Qutb : syncrétisme entre l’islamisme des Frères musulmans et le wahhabisme
L’arrivée des Frères musulmans égyptiens et syriens durant les années 1960-1970 dans les universités saoudiennes apporte au wahhabisme, politiquement « mou» selon Henry Laoust, une capacité d’action politique et de diffusion massive dans la Péninsule et dans le monde. La mise en place d’associations au niveau national, telles les associations de mémorisation du Coran, et de la jeunesse musulmane au niveau local, ont permis de mettre en place un véritable maillage idéologique et de combattre les idées séculaires nationalistes ou communistes encore en vogue dans le monde arabe durant cette période.
En Arabie Saoudite, où il s’est réfugié à sa libération, Mohammed Qutb est une figure emblématique des Frères musulmans égyptiens. Diplômé de littérature anglaise en 1940, le frère cadet de Sayed Qutb, qui fut pendu par Nasser en 1966, enseignait la charia à la faculté de La Mecque, Umm al Qura[15]. Le syncrétisme entre le wahhabisme et l’islamisme égyptien résulte du constat que les musulmans vivent une résurgence de la Jahilyya, la société antéislamique, associée au wahhabisme, érigée en dogme canonique de l’Islam. Pour Mohammed Qutb, les sociétés saoudiennes et arabes vivent aujourd’hui une ère de déviance collective comparable à la période préislamique. Réinterprété par Ibn Abd Al Wahhab, al tawhid,[16] représente l’outil de purification du dogme musulman, entaché par l’associationnisme. Cette conception religieuse du changement politique a été qualifiée par les islamistes de Sahwa, l’éveil. La purification du dogme annoncée par Qutb n’est autre qu’une opération politico-idéologique consistant à diffuser l’islamisme au sein de la société saoudienne. Préférant le prosélytisme, « al da‘wa », à la violence politique, les Frères musulmans ainsi « wahhabisés » restent néanmoins soumis au prince.
Le rôle joué par Mohammed Qutb dans la fusion entre islamisme et wahhabisme est d’autant plus important qu’il occupe une position influente au sein de l’appareil, parmi les principales universités islamiques saoudiennes. En effet, il propose aux étudiants venus du monde arabe et du Maghreb, désireux d’acquérir le savoir religieux, « al ‘ilm », une légitimité politique. Ainsi de nombreux postulants au magistère et au doctorat en sciences religieuses dans les facultés de La Mecque ou de Médine sont devenus des diplômés des appareils politico-religieux islamistes wahhabites, à l’exemple des Algériens Abdelmalek Ramdani et Mohammed Ali Ferkous ou du leader du néo-salafisme marocain, Mohammed Maghrawi. Les contacts entre islamistes wahhabites du Machreq et du Maghreb et l’obtention de financements alloués grâce à Mohammed Qutb en Arabie ont mené à la transformation des universités religieuses en lieux d’accueil des élites converties au wahhabisme. Des intellectuels islamistes comme Malek Bennabi, par exemple, et d’autres figures de l’Islam politique maghrébin, ont également été invités à donner des conférences dans les cercles de l’intelligentsia proches de l’université de la Mecque.
Aboubakr Djâbir Al Djazaïri : le précurseur de l’islamisme wahhabite
Du califat à l’Etat islamique
Il est difficile d’affirmer si l’islamisme wahhabite est apparu à la suite du syncrétisme de l’idéologie frériste initiée en Arabie par Mohammed Qutb. En effet, une première génération de religieux wahhabites d’Algérie et du Maroc étaient au contact de Hassan al Banna et avaient été influencés par lui bien avant l’exil de Mohammed Qutb en Arabie. Ce fut le cas de l’Algérien Aboubakr al Djazaïri, un des pionniers de l’islamisme wahhabite en Algérie et en Europe[17], et du Marocain, Taquiedine al Hilali.
Al Djazaïri est l’auteur de deux ouvrages phares de l’islamisme wahhabite au Maghreb, qui ont été traduits en français et largement diffusés en Europe. Son premier livre, Minhâdj al muslim, le « guide doctrinal du musulman », est une étape importante dans l’islamisme wahhabite. Le second ouvrage porte sur « al dawla al mouslima », l’Etat islamique, et présente ce que devrait être un tel Etat dans le monde d’aujourd’hui. L’importance de ce pionnier est d’avoir posé les fondements politiques de l’islamisme wahhabite avant l’avènement de cette idéologie dans le monde. Diffusés partout, représentant la nouvelle culture de masse, ces écrits sont une vulgarisation de la pensée politique wahhabite au début des années 1980.
Imprégnée par la pensée des Frères musulmans, l’idéologie wahhabite intègre désormais la question de la nature islamique de l’Etat et de la société au cœur de la foi. Sans prétentions savantes, elle appelle à l’instauration de l’Etat islamique selon cinq piliers.
La caractéristique première du citoyen de l’Etat islamique[18] réside dans une foi exclusive. La nature absolutiste de l’Etat apparaît à travers « la nécessité de l’exclusion et de l’épuration des incroyants d’avec l’Etat islamique », composé exclusivement de croyants musulmans[19]. Le saut réalisé ici, d’une adhésion à la foi, comme spiritualité à une caractéristique fondamentale de l’idéologie politique, est ainsi accompli par un des pères fondateurs de l’islamisme wahhabite.
Cette rupture, qui allait faire d’une religion une idéologie politique, est légitimée par l’auteur comme une lutte nécessaire contre la propagation de l’athéisme dans le monde et comme une stratégie contre le monde communiste. Du principe fondamental de la foi exclusive découle un ensemble de caractéristiques nécessaires, telles les mœurs et les pratiques sociales et culturelles[20] qui doivent se conformer à l’Islam et sans lesquels les individus deviendraient un danger pour la société et la communauté. Ainsi le processus de wahhabisation de la société n’est autre que le corollaire de l’Etat islamique.
Cette idéologisation de référence islamiste prônée par Aboubakr al Djazaïri insistait sur la nécessité d’un désengagement[21] du croyant du monde « d’ici-bas », au profit d’un investissement dans le monde de « l’au-delà ». La quête de développement, l’obsession de la loi, la quête du bonheur, la compétition politique, et la prédominance de l’intérêt qui caractérisent ce monde sont susceptibles, selon cet auteur, de détourner le musulman de ses obligations envers l’au-delà. Comme si le monopole du politique, exercé par les gouvernants de l’Etat théocratique, soustrayait le musulman à toute participation de cet ordre, celle-ci étant susceptible de le détourner de « l’autre vie ».
L’islamisme wahhabite pendant les années 80 en Occident et au Maghreb est marqué par l’ouvrage d’Al Djazaïri. Les relations sociales et le djihad sont au centre de la transformation intégrale des musulmans dans le monde selon lui. Les prémices d’un islamisme étendu à l’échelle mondiale apparaissent à ce moment. La propagation d’ouvrages dans les langues européennes est une première pour un public essentiellement composé de musulmans nés en Europe.
Mohammed Nassir Al Albany : L’émergence de l’islamisme néo-salafiste
Mohammed Nassir Al Albany (1914-1999) est considéré comme la principale référence politico-idéologique du wahhabisme néo-salafiste. Né à Dara en Albanie dans une famille imprégnée par la tradition religieuse hanafite[22]. Enfant, il quitte en compagnie de son père l’Albanie en direction de Damas où il poursuit ses études dans une école étatique syrienne. Il gagne sa vie grâce à son métier d’horloger qu’il hérite de son père. Il découvre le salafisme grâce à la revue Al Manar dirigée par le Rachid Réda qui est alors le chef de file de l’aile conservatrice du réformisme musulman au Proche-Orient et en Egypte. Autodidacte, Al Albany gagne une réputation de connaisseur du hadith, les dires du prophète, dans le milieu islamiste à Damas. L’intérêt qu’il porte alors pour l’authentification de la tradition prophétique est à l’origine de la publication de son ouvrage sur « La série des traditions prophétiques non authentiques », et d’un pamphlet sur l’interdiction de la visite des tombeaux qui constituent aujourd’hui une référence importante dans la mouvance fondamentaliste salafiste[23]. Nommé membre du Haut Conseil de l’Université Islamique de Médine par Ibn Baz la plus haute autorité religieuse de la monarchie, il devient ainsi membre du clergé wahhabite appelé, par ailleurs, le salafisme clérical ou scientifique, Al Salafiyya al ‘Ilmiyya.
Tout en appartenant à cette mouvance, Al Albany fonde le néo- salafisme grâce à une double rupture. D’une part, il dénonce les adeptes de la politique partisane, les Frères musulmans, d’autre part, il délégitime au plan religieux les quatre principales écoles juridiques de l’islam traditionnel, y compris le hanbalisme[24]. Dans le premier cas, il estime que les Frères musulmans ont abandonné le véritable prosélytisme, « al Da‘wa ,» et l’enseignement du dogme wahhabite, « le salafisme », au profit de la politique politicienne. Dans le second cas, il donne une acceptation fondamentaliste au wahhabisme et s’oppose à l’orthodoxie religieuse traditionnelle et considère les quatre écoles juridiques classiques de l’Islam comme «déviantes au même titre que le soufisme ». Il édicte la règle de l’épuration et de l’endoctrinement, « tasfiyya wa tarbiyya », dont la traduction littérale est « purification et éducation ». A la place de la tradition de commentaire et d’authentification de la tradition musulmane, notamment les dires et les faits du prophète, il introduit la notion de purification de l’Islam à partir du champ théologique.
« Purifier le wahhabisme » des éléments contraires au dogme du tawhid, l’Unicité de Dieu, devient alors le credo du néo-salafisme. Hostile à l’Islam politique organisé en partis politiques, et au wahhabisme affilié au hanbalisme, Al Albany se pose comme le fondateur d’un courant d’opposition au wahhabisme officiel et à l’islamisme légaliste. Le clerc fondamentaliste syro-libanais dénonce également Hassan Al Banna, fondateur des Frères musulmans, qui « n’est pas un uléma » selon lui et dont les positions ne sont pas conformes à la Sunna[25].
Dans la même veine, il énonce de manière originale le principe politique du néo-salafisme: « Il est politique d’abandonner la politique », mina a-siyâssa tark a-siyâssa ». C’est-à-dire : la nouvelle stratégie politique néo-salafiste consiste à renoncer à la stratégie légaliste islamiste contemporaine qui s’est attachée à islamiser les institutions politiques, les législations publiques et les partis politiques. Ou encore: à la différence des islamistes wahhabites, l’objectif est d’expurger le dogme religieux et non l’Etat, par la délégitimation du patrimoine théologique classique et l’abandon de la participation politique formelle, à la manière des Frères. En effet, le patrimoine religieux islamique dans son ensemble est la cible de la nouvelle wahhabisation salafiste. Un saut majeur est ainsi franchi par Al Albany, l’identité collective religieuse des musulmans devant être ainsi « expurgée » afin de se conformer aux canons du fondamentalisme néo-salafiste.
La puissance politique de la nouvelle doctrine du cheikh Al Albany résulte de l’abandon de la Charia comme conquête islamiste des législations nationales et du pouvoir politique en faveur d’une épuration du dogme religieux. À terme, la décomposition religieuse et culturelle d’un patrimoine religieux pluriel, orthodoxe ou soufi, aboutirait à l’édification du nouveau wahhabisme comme seul référent légitime de l’Islam, au détriment de tous les autres référents juridiques classiques – tels le hanbalisme, le malékisme, le hanafisme ou le chafiisme. Dans ce nouveau courant fondamentaliste, le pouvoir politique se conquiert non par les urnes ou la législation publique, mais par le champ religieux, qui, il faut le rappeler, constitue dans le monde arabe un des fondements de l’identité culturelle et historique des Etats-nations en place.
Les théoriciens du néo-salafisme
- Abdelmalek Ramdani
En Algérie, au plan politique le néo-salafiste se manifeste par la condamnation des tenants de l’islamisme légaliste et partisan, « al hizbiyya », dont le FIS constituent un des piliers.
L’islamisme salafisme algérien se restructure au lendemain de la guerre civile en 1992-2004, grâce au rôle joué par des néo-salafistes locaux tels que Ramdani. Condamné à mort par le GIA, ce dernier a quitté l’Algérie en 1994 pour s’établir en Arabie Saoudite et enseigner à l’Université de Médine. Les cheikhs du wahhabisme d’Etat, Ibn Baz, Al Uthaïmin et Al Albany, sont les référents majeurs. L’idéologue islamiste est considéré en Algérie comme un des principaux clercs du nouveau fondamentalisme wahhabite dans ce pays. Il est en effet l’initiateur du volet néo-salafiste de la politique sécuritaire dans le cadre de la réconciliation nationale initiée par le président Bouteflika.
A partir des années 2002, la nouvelle idéologie islamiste est l’antidote utilisée par l’Etat algérien pour contrer la menace djihadiste du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), groupe en pleine ascension durant cette période. Ramdani devient le principal intellectuel néo-salafiste à s’engager publiquement dans cette nouvelle politique. Ainsi, il publie deux ouvrages largement diffusés et destinés à délégitimer non seulement les djihadistes mais également les « faux salafistes » représentés, selon lui, par Ali Benhadj.
La propagande de ce religieux algérien se veut dans le prolongement de l’idéologie édictée par le maître, Al Albany; elle entend montrer comment « expurger la religion » dans le contexte algérien. La stratégie consiste d’abord à éliminer le FIS du champ politique « salafiste » et les brûlots de Ramdani visent à lutter contre l’ancien parti islamiste algérien et les leaders des Frères musulmans saoudiens. Dans ses écrits, Ramdani s’applique à montrer que le parti algérien n’a rien à voir avec « le salafisme » de ces derniers, entaché par la politique politicienne. L’Islam politique aurait été dévoyé par l’activisme, al haraka, au détriment du dogme canonique, al Aqida. Ramdani achève la reconfiguration du néo-salafisme algérien en dénonçant la voie prise par « le parti interdit », à l’instar des Frères musulmans algériens nationaux et internationaux, qui selon lui ont privilégié la politique politicienne et légaliste à la place de « l’enseignement » du dogme de l’unicité de Dieu et la tradition du prophète.
Pour délégitimer le salafisme du FIS et « expurger le dogme », Abdelmalek Ramdani, cite la correspondance d’Ali Benhadj, le numéro deux du FIS avec les « groupes armés » (le GIA). Benhadj écrit : « Nous constatons dans l’histoire des ulémas musulmans des différends entre ces derniers, non pas au sujet de questions secondaires seulement mais également sur des questions dogmatiques essentielles (…) cela ne les empêcha pas de mener le djihad tous unis en un seul rang !»[26] Ramdani défend que Benhadj prend le chemin opposé au salafisme, à travers lequel Al Albany appelait à la primauté du consensus autour du dogme al Aqîda. Abdelmalek Ramdani cherche alors à exclure Ali Benhadj, l’icône du salafisme légaliste algérien, afin de réorganiser le champ « salafiste » en Algérie autour de nouveaux référents.
Diffusés dans toute l’Algérie, les textes de propagande de Ramadani à l’égard de figures du mouvement saoudien des Frères musulmans telles que Salman Al ‘Uda, Safar Al Hawali et A‘idh Al Qarni (attaquant leur position vis-à-vis de la guerre civile algérienne) lui ont conféré une place importante dans la légitimation « islamique » du « salafisme » algérien, opposé au jihadisme du GSPC et ensuite de l’AQMI. La rupture avec le wahhabisme islamiste saoudien a lieu également au profit d’une inscription dans l’héritage des ulémas algériens, les réformistes du mouvement national algérien : Ibn Badis et Bachir Al Ibrahimi. L’adoption de cette formule par les néo- salafistes permet à ces derniers d’intégrer l’islamisme comme composante du nationalisme religieux algérien. Afin de donner à ce mouvement une dimension nationale, on assiste à une nationalisation du « wahhabisme» dans le cas algérien.
Taquieddine al Hilali: le fondateur de l’islamisme wahhabite au Maroc
A la différence de son homologue wahhabite algérien, Al Hilali a joué un rôle précurseur dans son pays sans pour autant produire une idéologie de masse au niveau international comme le fit Aboubakr Al Djazaïri[27]. Cette caractéristique tiendrait à la formation religieuse traditionnelle plus que politique de Taqieddine Al Hilali (1893-1987), né à Sijilmassa dans le Tafilalet[28]. Le parcours de ce pionnier de l’islamisme wahhabite au Maroc est jalonné de ruptures et de changements : membre de la confrérie maraboutique Tidjaniyya à l’âge de 20 ans, il passa sept ans dans les confréries soufies en Algérie. A son retour, il suivit les cours à l’Université de Qarawiyîn, à Fès, où il fréquenta le milieu du salafisme réformiste.
Ce dernier a joué un rôle important dans l’adhésion en un premier temps d’Al Hilali au salafisme réformiste et sa rupture avec le soufisme. Le contact avec le salafisme libéral fut également à l’origine de son voyage au Caire en 1921 et de sa découverte du salafisme réformiste au Machreq, notamment sa rencontre avec Rachid Réda, devenu le leader du mouvement. Une rencontre décisive dans le parcours du clerc marocain qui séjourna à Basra, en Irak, avant de se rendre en Arabie Saoudite en tant qu’hôte du roi Abdelaziz, qui le nomma commissaire des enseignants de la mosquée de Médine, al Masdjid Al Nabawi. Ce titre montre qu’Al Hilali avait acquis une connaissance importante du wahhabisme officiel; il révèle également qu’il avait été adoubé au plus haut niveau de la doctrine saoudienne.
A son retour au Maroc, il est nommé directeur de la bibliothèque Moulay-Hassan de Tétouan. Ce poste, en territoire sous protectorat espagnol, est important car il rapproche Al Hilali du milieu de la presse arabe du Machreq et du mouvement des Frères musulmans. Dès 1946, il devient le correspondant du journal de la mouvance islamiste, dirigée alors par Hassan Al Banna, et se transforme en idéologue politique. Il pratique « al da‘wa », le recrutement basé sur le prosélytisme chez les Frères musulmans, et prêche le salafisme wahhabite au Maroc dans le cadre du mouvement islamiste.
En 1968, il se rend encore une fois en Arabie Saoudite où il enseigne, jusqu’en 1974, à l’Université Islamique. Il revient au Maroc pour s’y installer définitivement et se consacrer à l’islamisme wahhabite, « al da‘wa », grâce à la tribune qu’il occupe à Casablanca[29].
Abdelkrim Alaoui M’daghri : Le fondamentalisme d’Etat et la genèse du néo-salafisme au Maroc
L’avènement de la révolution islamiste en Iran et la chute de la monarchie des Pahlavis ont permis au salafisme wahhabite de s’imposer comme un instrument de lutte contre les partisans de la révolution islamique dans le monde musulman et notamment au sein des monarchies arabes.
Dès la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeiny, le roi Hassan II validait auprès de la plus haute instance religieuse dans son pays la fatwa d’apostasie du guide de la révolution iranienne. Le régime marocain a été alors le seul dans le monde musulman à avoir adopté une telle attitude à l’égard de l’Etat islamique en Iran. La nomination en 1984 d’une personnalité proche du wahhabisme officiel saoudien, Abdelkbir Alaoui M’daghri, au poste de ministre des Habous et des Affaires islamiques confirma la volonté royale d’offrir une place de choix à l’influence wahhabite.
Diplômé de Dar al Hadîth, l’Institut islamique national marocain, ce natif de Meknès est un clerc rompu aux sciences religieuses et un membre important de la diplomatie religieuse du Maroc, notamment en Arabie et dans les pays du Golfe. Pour contrer les révolutionnaires islamistes, il adopte, sous la houlette de Driss Al Basri, ministre de l’Intérieur de Hassan II, une politique favorisant la diffusion d’un fondamentalisme d’inspiration wahhabite au sein des appareils religieux marocains, de l’enseignement et de l’édition. Sous sa direction, et pendant dix-huit ans, le souci de préserver le Maroc de l’influence de l’islam de Khomeîny se transforme progressivement en un vaste processus de diffusion des influences wahhabites au sein de la monarchie alaouite.
Les liens privilégiés avec l’Arabie Saoudite et les appareils religieux officiels permettaient également la diffusion des écrits des propagandistes wahhabites : exonérés de droits d’auteur, les Marocains peuvent procéder à des rééditions sur place. Ainsi le référent wahhabite islamiste domine l’orientation au sein même du ministère des Habous, dans un pays de tradition religieuse malékite. Le fondamentalisme d’Etat s’installe également dans le secteur de l’enseignement supérieur. Hassan II a en effet pris la décision de supprimer les départements de philosophie à l’Université, et de les remplacer par des départements d’études islamiques. Des instructions ont été données pour que le corps enseignant soit nommé parmi les étudiants marocains ayant reçu une formation en Arabie Saoudite[30]. L’organisation du pèlerinage à La Mecque par les Habous, sous l’égide de guides de voyage wahhabites, favorise la pénétration du salafisme saoudien dans les couches populaires et la génération des anciens.
Le ministre du Culte de Hassan II est également l’initiateur, à partir de 1994, des universités d’été de la « sahwa al islamiyya », le mouvement islamiste, auxquelles sont invités des personnalités comme Abdelillah Benkirane, actuel secrétaire général du PJD, Mahfoud Nahnah, leader des Frères musulmans algériens, Rached Ghanouchi, fondateur du Mouvement islamiste tunisien, etc. La proximité d’Alaoui M’daghri, d’un côté avec le wahhabisme, de l’autre avec le courant islamiste légaliste dont il tente l’intégration dans le champ politique, a donné une impulsion à la doctrine de Mohammed b. Abd Al Wahhab. Une sorte de fusion entre wahhabisme et islamisme légaliste marocain s’est produite à l’occasion des négociations de rapprochement entre le pouvoir et les islamistes entamées à partir de 1990[31].
A travers Alaoui M’daghri, la position islamiste au sein de l’Etat perdure pour un temps encore, jusqu’à l’avènement de Mohammed VI. Le ministre sera un fervent opposant à la politique de modernisation du statut de la femme qui deviendra un dossier phare de la politique d’ouverture entreprise par le nouveau roi face aux islamistes. L’éviction de Alaoui M’daghri des Affaires Religieux en février 2002 et l’arrivée d’un nouveau ministre de tendance doctrinale opposée à la sienne, membre de la confrérie soufie marocaine de la Boutchichiyya, soulignent un changement à la tête de l’Etat en matière de politique islamique. Le coup d’arrêt mis au fondamentalisme d’Etat a lieu au lendemain des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Désormais, l’islamisme salafiste wahhabite est devenu un danger pour la monarchie. En effet, en 2006 et à l’issue du revirement sécuritaire au Maroc, l’ex-ministre publiait Al houkouma al moultahiyya (« Le gouvernement barbu »), où il évalue les chances des islamistes légalistes du parti de la Justice et du Développement d’être un jour au gouvernement. Tout en critiquant son programme économique et social, il défend l’intégration du PJD dans le champ politique marocain et renouvelle son alignement sur la ligne du Palais. Contre toute attente, il écrit : « …le wahhabisme a enfanté le salafisme djihadiste au Maroc ! »[32], se démarquant ainsi d’un mouvement qu’il a dirigé pendant deux décennies. Sa politique de « laisser faire » à l’égard du wahhabisme, explique-t-il, venait d’une volonté de « ménagement » à l’égard du pouvoir sécuritaire qui protégeait le courant salafiste islamiste marocain à l’époque, allusion à Driss Basri, désigné comme « le protecteur »[33] des organisations wahhabites islamistes durant cette période. Alaoui M’daghri se déclare en accord avec la nouvelle politique sécuritaire en place, hostile à l’islamisme wahhabite au sein de l’Etat. Il affirme que ce dernier bénéficiait à l’époque d’un double soutien étatique, celui idéologique des Habous et celui du ministère de l’Intérieur, le Palais étant le commanditaire. Toute la question est d’évaluer l’impact de cette nouvelle politique d’épuration entreprise par l’Etat marocain à l’encontre du wahhabisme au sein de la monarchie.
- Mohammed Al Maghrawi : le néo-salafisme radical
A la différence des Frères musulmans ou encore des salafistes djihadistes, les néo-salafistes sont le produit de l’institution religieuse traditionnelle et non de l’université moderne. En ce qui concerne Mohammed Al Maghrawi, il conviendrait davantage de parler de fondamentalisme islamiste. Dans le cas de ces salafistes marocains, le néo-salafisme opère à la suite d’une rupture, d’une part, avec l’institution religieuse traditionnelle ancienne « obsolète », en l’occurrence avec la confrérie soufie (al zawiyya), qui a lieu généralement durant la période pré-universitaire et, d’autre part, le rejet de l’institution religieuse affiliée à l’Etat central, considérée comme « passive ».
Al Maghrawi est né en 1948 dans la petite ville d’al Ghurfa, dans la province de Rachidia, au sud du Maroc, dans une famille appartenant à la tribu des Ouled Nasser. Après des études dans une école coranique, il suit une formation religieuse à l’Institut islamique de Meknès, annexe de l’université Al Qarawiyîn, puis au collège Ben-Youssef à Marrakech, un institut religieux traditionnel. Le constat qu’il fait d’une « insuffisance dans le domaine savant de l’islam», al ‘Ilm, au sein des institutions religieuses marocaines, est à l’origine d’un premier contact avec les islamistes du Machreq.
Al Maghrawi a pour objectif d’acquérir les bases du prosélytisme al Da´wa qui permettrait de sortir « la religion » de l’état de « passivité » dans laquelle elle est plongée, estime-t-il. Il s’adresse à l’association marocaine Dar al Qur’an pour demander un élargissement du champ d’action de l’enseignement du Coran et de la Sunna déclenchant la méfiance des clercs qui le poussent à démissionner. Son départ est à l’origine de la création de l’Association Al Da’wa pour le Coran et la Sunna en 1976. Toutefois, le véritable tournant politique, pour le chantre du néo-salafisme marocain, a lieu grâce au contact avec l’Arabie Saoudite. Taqieddine Al Hilali fournit au jeune idéologue la tawsiyya, lettre de parrainage indispensable pour se faire admettre dans les institutions de la mouvance. Al Maghrawi peut ainsi étudier et préparer un doctorat à l’Université de Médine et enseigner plus tard à Taïf. Il obtient également une lettre de recommandation de la part d’Ibn Baz, haute autorité du wahhabisme[34].
Les leaders néo-salafistes marocains tels qu’Al Maghrawi puisent leur légitimité dans le fait d’avoir été des disciples d’Al Hilali, mais également ceux des « papes » : Ibn Baz, Al Chanqiti, Abdellatif Al Abdellatif, Abdallah Al Gunaïman ou encore Abubakr Al Djazaïri. L’encadrement des disciples en vue de l’acquisition d’un magistère en sciences islamiques, en réalité dans le domaine du dogme wahhabite, et l’allocation de ressources financières durant leur formation sont un facteur important dans le monopole du pouvoir exercé par le « cheikh ». L’omnipotence d’Al Maghrawi au sein de l’organisation qu’il a créée a valu au néo-salafisme marocain le surnom de salafisme « maghrawiste », « al salafiyya al Maghrawiyya ».
Le Sahel et le Maghreb Arabe : les questions sécuritaires et les conflits des superpuissances sur les sources d’énergie.
Mohamed Saleck Brahim, chercheur-expert/ directeur du Centre Mauritanien de Recherches en Développement et du Futur.
- Synthèse
Nombre de puissances régionales et internationales travaillent, depuis quelques années, à mettre la main sur la zone extrêmement stratégique du Sahel africain pour s’assurer le contrôle et la conduite ouest du pétrole et des nouveaux sites des réserves d’énergie et des métaux précieux, ainsi que la détermination de sa stabilité et de son bienêtre économique au cours des 50 années à venir.
Quelles seront, donc, les conséquences de la guerre sur le terrorisme dans la région du Sahel? L’objectif est – il l’internationalisation de la crise pour justifier une intervention militaire élargie, comme en Afghanistan ? Comment explique – t – on cette alliance entre les occidentaux et les groupes jihadistes en Syrie pour faire chuter le régime et ruiner le pays, alors que les mêmes groupes sont combattus au nord du Mali ? Comment les pays du Maghreb Arabe et ceux de la région du Sahel peuvent – ils échanger les influences suite au ¨printemps arabe¨ qui a été perçu comme un séisme géopolitique à partir du foyer libyen ? Comment les erreurs sociopolitiques, régionales et sécuritaires dans un pays maghrébin comme la Libye, ont – elles embrasé la situation dans les pays voisins, aussi bien dans la région du Sahel que dans les autres pays du Maghreb ? Jusqu’où ira le spectre des périls sécuritaires transfrontaliers vu la prolifération d’armes et l’infiltration des combattants, en plus de l’accroissement des actions de sabotage par les services secrets à l’image de… ? Quels sont les conséquences et les risques d’avenir de cette situation par rapport à la sécurité et la stabilité en Mauritanie, en particulier, et dans la région du Sahel, d’une manière générale ? Comment, la Mauritanie, le pays de la région le plus exposé aux aléas de l’équilibre des relations internationales vu sa position géographique et politico – stratégique bien spécifique, suivant les différents changements géopolitiques historiques depuis la Mauritanie de Tanja ou celle de Rome antique, en passant par l’Empire de Sanhadja et le pays des Mourabitounes, avant de devenir brusquement un ¨vide¨ géré par l’administration coloniale pour assujettir ses colonies en Afrique du Nord et de l’Ouest, constituer ensuite un ¨lien¨ entre les colonies dans ces deux régions d’Afrique française, et ce avant d’avoir le statut du portail risqué de la région du Sahel africain qui regorge de problèmes de tous genres, comment sera – t – elle donc, affectée ? Ce papier entend enclencher le débat autour de ces interrogations parmi d’autres, dans le cadre de ce colloque en guise de contribution à la clarification de la position afin de mieux cerner les différents contours de la problématique.
- Paris et conflits internationaux sur les richesses sahéliennes
L’Afrique saharo – sahélienne – une région écologiquement et économiquement ruinée – connaîtra – t – elle un nouveau cycle de changements interminables en terme de temps ? En effet, après avoir vécu, par le passé, les conquêtes de l’empire des premiers Mourabitounes et leur rayonnement culturel et spirituel sur les côtes de l’Atlantique et de la Méditerranée, la région est devenue, depuis quelques années, le théâtre de différentes formes de terrorisme et de violence, en plus des activités de repérage et d’opérations spéciales des services secrets internationaux opérant dans cette région d’Afrique. La région s’est transformée en champ de bataille où sont regroupés les campements d’entraînement des jihadistes avant d’être envoyés sur les fronts en Tchétchénie, en Irak, au Pakistan, en Somalie et au Kenya, mais aussi, pour mener des opérations qualitatives choisies par Al-Qaeda et ses branches contre des cibles tactiques ou stratégiques en Mauritanie et dans les pays de la région, et pourquoi pas dans certains pays européens, comme le signalent nombre de rapports internationaux.
C’est ce qui a conduit, d’une manière suspecte, certaines puissances régionales et étrangères à chercher à internationaliser le danger d’Al-Qaeda et ses branches dans la région du Sahel dans le cadre d’un plan militaire dénommé : ¨Initiative de lutte contre le terrorisme au Sahel¨, englobant l’ensemble de la région sahélienne. Cette initiative constitue le noyau du bras armé américain dans les pays subsahariens et ouest-africains. D’ailleurs, c’est dans ce cadre que viennent les manœuvres militaires américaines dénommées : ¨Flying tox¨, ainsi que les autres manœuvres auxquelles prennent part, depuis 2005, des forces spéciales américaines au côté de forces interafricaines.
L’historien Ferdinand Braudel a appelé le Sahel et le Sahara, ¨l’autre Méditerranée¨.
Le Sahel a vécu, récemment, la naissance de ce qu’on a pu appeler ¨ la géostratégie de pipelines¨ sur fond d’une concurrence acharnée surs les ressources énergétiques. En réalité, nous assistons à des efforts entrepris par certaines puissances régionales et internationales qui tentent, depuis quelque temps déjà, de mettre la main sur la zone très stratégique du Sahel pour sécuriser la route occidentale du pétrole, ainsi que les nouveaux sites des réserves d’énergie et de métaux précieux récemment découverts dans la région. Cela leur permet de décider de l’avenir de la stabilité et de l’épanouissement économique de la région tout au long du demi-siècle à venir.
La région sera – t – elle, donc, le bouc émissaire de la guerre contre Al-Qaeda en payant le prix des variables des rivalités et alliances entre américains et français pour s’assurer le contrôle politique, économique et militaire de la sous-région et de ses ressources naturelles afin de sécuriser l’écoulement des approvisionnements en énergie au profit de ces superpuissances économico-industrielles ?
Quelles seront les conséquences de la guerre contre le terrorisme au Sahel ? L’objectif est – il l’internationalisation du dossier pour justifier une intervention militaire à l’image de ce qui s’est passé en Afghanistan ? Comment explique – t – on le rapprochement entre les occidentaux et les jihadistes en Syrie à l’effet de chasser le régime tout en ruinant le pays, tandis que les deux parties s’entretuent en Somalie ? Quelles sont les répercussions et les risques éventuels de cette situation par rapport à la stabilité des pays maghrébins et de la région dans son ensemble ?
Une étude récente publiée par l’OCDE a essayé de démontrer que: ¨nous ne pouvons pas traiter les questions stratégiques méditerranéennes par le biais du dépassement de la géographie politique de la région du Sahel¨.
- Le Sahel et le Maghreb Arabe : des concepts et des intérêts interconnectés
Les deux concepts du Sahel et du Maghreb Arabe sont- ils statiques ? Le nombre de pays formant cet espace est – il bien défini ? Ou bien, ce nombre varie suivant le changement des données ? En fait, le nombre des pays du Sahel varie entre 3 et 10. Pour l’Union Européenne, qui est derrière ce qu’on a convenu d’appeler ¨la Stratégie du Sahel¨, ces pays comprennent la Mauritanie, le Mali et le Niger. Quant à la France, elle considère que le Sahel peut englober, en plus des trois pays susmentionnés, le Sénégal, le Burkina Faso, le Tchad ou le Soudan. La nouvelle dénomination, ¨les pays du champ¨, de son côté, ne concerne que l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali. Pour la stratégie britannique, l’espace est beaucoup plus large qu’en juge l‘UE ou la France. Il s’étend sur l’ensemble de l’Afrique du Nord, y compris tous les pays du Maghreb Arabe.
L’instabilité au Sahel est considérée, depuis 2000, comme étant une menace contre la sécurité à l’échelle mondiale, a déclaré F. Deycard, chercheur au Lab Afrique dans le monde, Bordeaux, France.
- Scénario de l’internationalisation de la crise au Sahel : nouvelles variables géostratégiques
L’analyse des données disponibles montre plusieurs changements géostratégiques très importants dans la région. Ces changements concernent, l’évolution des acteurs stratégiques intéressés et l’évolution de la nature des dangers sécuritaires, d’une part, mais aussi, l’évolution du concept de sécurité et de défense, d’autre part:
Premièrement : l’évolution des acteurs stratégiques
Chassée de l’Orient islamique (Afghanistan, Péninsule arabe, Irak, Yémen.), Al-Qaeda a fini par déplacer le gros de sa structure de mobilisation et d’opérations de la région d’Orient islamique vers le Maghreb Arabe en quête d’un abri sûr dans la région du Sahel africain. En effet, au cours des 20 dernières années, le ¨Quart Vide¨, ou ¨Waziristân¨ du Sahel, situé aux frontières de quatre pays qui sont : la Mauritanie, l’Algérie, le Mali et le Niger, ce désert s’est donc, transformé en :
- Un grand théâtre du terrorisme, de violence, des opérations des Services secrets internationaux et des opérations spéciales dans les deux régions du Maghreb Arabe et d’Afrique subsaharienne,
- Un espace idéal pour cacher les otages européens enlevés et libérés contre des rançons (des sommes souvent monumentales)
- Une zone de stockage et de transit de milliers de tonnes de drogues en provenance d’Afrique et d’Amérique Latine dont la destination est l’Union Européenne via les côtes atlantiques de la Mauritanie, du Maroc, de l’Algérie et de la Libye,
- Un espace par lequel transitent les vagues de migrants clandestins, ainsi que toutes sortes de contrebande : drogues, cigarettes, carburant, armes à feu, munitions, tout en étant un abri sûr pour les fugitifs de la justice et des poursuites sécuritaires des pays de la région.
Une carte qui trace le circuit par lequel passe la cocaïne via le Sahel.
Les réseaux contrebandiers internationaux ont réussi à s’adapter aux conditions climatiques saharo-sahéliennes très dures. En effet, ils coopèrent parfaitement bien dans le cadre d’une stratégie globale conçue pour assurer leur survie, outrepassant les spécificités de chaque organisation prise à part. Cette stratégie consiste à exploiter les possibilités et les expériences de chaque groupe, en payant, à la demande, les services des agents à la manière d’un circuit économique fermé. Ce système peut se transformer rapidement en une forme de ¨capitalisme de terrorisme¨, ou ¨économie du terrorisme de revenus¨, ou ¨tourisme du djihad¨. Tous ces réseaux sont pénétrés par les services secrets internationaux au côté de ceux des pays de la région. Il est difficile, dans ces conditions, où tous les réseaux et services s’enchevêtrent, de dire que tel ou tel groupe collecte et fournit les informations à tel ou tel service, que tel groupe est chargé de mener la guerre sainte (jihad), tel ou tel groupe est chargé de l’enlèvement d’otages étrangers (européens ou autres), tel ou tel groupe entretient la contrebande (drogues, cigarettes, armes à feu..)… Al – Qaeda est considérée comme l’élément le plus influent parmi ce réseau contrebandier à travers la formule : ¨Al-Qaeda et ses partenaires dans le Sahel¨. (L’on se rappelle, à ce propos, les images télévisées du nommé Oumar Sahraoui souriant au volant de sa voiture en compagnie de ses deux otages espagnoles juste après l’accord les libérant..).
Cette vidéo, qui confirme la déportation du Sahraoui de la Mauritanie vers le Mali – où il a été libéré sur le champ – a été l’une des causes principales qui ont conduit Al – Qaeda à libérer les deux otages espagnoles en contrepartie d’une rançon en devises estimée par certaines sources à 10 millions d’euros environ versée par Madrid à Al-Qaeda, selon des media espagnols.
Deuxièmement : changement de la nature des dangers sécuritaires
Les dangers que représente Al-Qaeda au Maghreb islamique ont pris de nouvelles formes. En effet, au début de son implantation dans la région, Al-Qaeda était un problème interne à chaque pays, mais, avec le temps, elle a pris une nouvelle dimension pour devenir une question régionale extrêmement inquiétante.
En outre, jusqu’ici, la dimension régionale de la question a été sciemment exploitée dans le cadre du jeu des inter-références régionales des relations et des intérêts politiques, économiques et sécuritaires des pays intéressés par le dossier. L’exemple le plus éloquent en est la problématique des fluctuantes relations bilatérales accablées par les lourdes conséquences du passé colonial commun entre l’Algérie et la France, ainsi que l’équilibre des forces dans les conflits régionaux et locaux, tels que la question du Sahara Occidental entre le Maroc et l’Algérie, ou encore, les mouvements séparatistes targui au nord du Mali, surtout au lendemain de la déclaration unilatérale de l’indépendance de cette région.
Troisièmement : L’évolution radicale du concept même de sécurité du point de vue stratégique. En effet, après l’émergence du concept de ¨sécurité humaine¨, forgé par la diplomatie canadienne à la fin des années 1990 et adopté par les Nations Unies dans leur rapport de 2004 sur le développement humain, la perception du concept de sécurité et de défense a complètement changé.
Il est connu de tous que la fonction de sécurité se limitait à la protection du pouvoir en place et à la défense de l’intégrité territoriale du pays au détriment de la sécurité humaine et individuelle, c’est – à – dire, celle des citoyens qui vivent dans un Etat de droit. Cette fonction de sécurité, qui doit être complémentaire entre la force rigide et la force douce, est restée longtemps résumée en son noyau violent comme dispositif de répression dont l’unique rôle est d’assurer la sécurité des régimes politiques successifs et la persécution des citoyens ordinaires.
Aujourd’hui, les nouvelles politiques sécuritaires sont centrées de prime abord sur la sécurisation du citoyen ainsi que ses besoins de base, faisant de sa dignité, du strict respect de ses droits et de la réalisation de ses ambitions par rapport à un développement durable et la protection de ses intérêts légitimes vitaux, une référence pour élaborer les politiques publiques en matière de sécurité.
Un carte indiquant l’étendue de l’influence d’Al-Qaeda et se sœurs dans la région: une expansion continue.
- Le Sahel et le Maghreb : Al-Qaeda et la malédiction énergétique.
La malédiction du pétrole, du gaz et de l’uranium est – elle tombée inopinément sur la région du Sahel? Comment freiner les lutins du pétrole et du gaz qui commencent à faire leur apparition au Sahel et au Maghreb arabe et qui sont de nature à aiguiser les conflits d’intérêts souvent contradictoires entre les puissances étrangères et régionales ?
Toutes les stratégies mondiales intéressées par le Sahel visent à garantir le contrôle des américains et européens du cheminement occidental du pétrole, ainsi que des nouveaux sites vitaux des réserves du pétrole et des métaux précieux découverts récemment dans le sous – sol de la région. Les faits suivants renforcent cette thèse :
- Après son autonomie, AFRICOM a réalisé deux programmes : le premier concerne la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel, le second s’intéresse à la sécurité des côtes du Golfe de Guinée,
- AFRICOM a pris les dispositions nécessaires pour l’établissement de bases militaires dans les pays africains producteurs du pétrole, ou disposant de réserves pétrolières importantes,
- AFRICOM a engagé des discussions pour établir des sites d’opérations avancées, au Mali, au Sénégal, en Mauritanie, en Guinée, au Gabon et en Namibie sur les frontières avec l’Angola pour améliorer les pistes d’atterrissage d’avions, le stockage du carburant, mais aussi, pour conclure des arrangements avec les gouvernements locaux permettant le redéploiement rapide des forces militaires, en cas de besoin,
- Le Congrès américain a, déjà, approuvé une aide financière pour le compte de ¨l’initiative de lutte contre le terrorisme dans le Sahara¨, d’une enveloppe de 500 millions de dollars sur une période de 6 ans, visant à venir en aide aux pays faisant face à la menace présumée d’Al-Qaeda. Ces pays sont : l’Algérie, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Nigeria et le Maroc. Ce programme vise à renforcer les capacités de ces pays en matière de lutte contre le trafic d’armes et de trafic des stupéfiants, en plus de la lutte contre le terrorisme.
- Les fusils empruntent les pas du commerce : l’importance du pari sur l’énergie au Sahel
De par l’histoire, le fusil a toujours suivi le commerce qui est le moteur des grands mouvements de populations d’un point du globe vers un autre. Cette loi a toujours dominé en matière de géostratégie. Les puissances mondiales et régionales cherchent à protéger leurs intérêts vitaux. Pour ce faire, elles usent et abusent de tous les moyens possibles et imaginaires :
- Certains centres de recherches stratégiques américains estiment que le sous – sol de la région recèle 60 milliards de barils de réserve de pétrole. Il s’agit d’un brut léger, renfermant peu de soufre, très prisé par les industries américaines et les grandes compagnies d’approvisionnement en énergie,
- Les grandes puissances (anciennes colonisatrices et autres, comme la Chine…) sont en compétition pour mettre la main sur les ressources énergétiques dans la région,
- Les grandes compagnies pétrolières occidentales, comme la française TOTAL dont le chiffre d’affaires annuel a atteint 12 milliards d’euros environ et qui emploie 90.000 personnes, sont entrées dans une course effrénée pour le contrôle du pétrole de la région ouest-africaine. Mais, pour passer à la phase d’exploitation de ces ressources, elles exigent l’instauration d’un environnement de sécurité totale,
- D’après le ¨Wall Street Journal¨, le Commandement Militaire Américain en Europe travaille actuellement, en collaboration avec la Chambre Américaine de Commerce, pour élargir l’influence des compagnies américaines en Afrique, ce qui constitue un volet de la ¨stratégie américaine intégrée de réaction¨,
- D’après un rapport rédigé en 2006, par le Conseil Américain des Relations Etrangères sous le titre, très significatif, de: ¨plus qu’humain, une approche stratégique américaine envers le Sahel¨, il est très probable que l’Afrique subsaharienne concurrence le Moyen – Orient, d’ici la fin de la décennie, en ce qui concerne l’approvisionnement des USA en énergie.
Une carte indiquant nombre de sources naturelles dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Les experts prévoient que 1/5 de barils de pétroles produits dans le monde au cours de la seconde moitié de la présente décennie, proviendrait de la région du Golfe de Guinée. Les importations américaines en pétrole en provenance de la région passeraient de 20%/an en 2010 à 25%/an en 2015, surtout quand on sait que les importations venant du seul Nigeria représentent 10% /an des approvisionnements pétroliers des USA, et il est attendu que l’Angola, qui fournit actuellement 4%, voit sa part doubler d’ici la fin de la décennie.
Egalement, la découverte de nouvelles réserves pétrolières importantes au Ghana, notamment, ainsi que l’augmentation des quantités produites par d’autres pays comme la Guinée Equatoriale, Sao Tomé et Principe, le Gabon, le Cameroun, la Mauritanie, le Tchad et le Soudan, sont des facteurs incitant à l’exportation du pétrole vers l’Occident.
Par ailleurs, si la présence américaine dans la région est, officiellement, justifiée par la nécessité de faire face à la montée du terrorisme dans la région et l’instabilité qui en découle, il n’est un secret pour personne que les politiques américaines recherchent, au – delà des objectifs affichés, à avoir la mainmise sur les richesses de la région. En outre, le document intitulé : ¨stratégie de la sécurité nationale des USA¨, paru en 2002, prévoit que la lutte contre le terrorisme international et le besoin d’assurer la sécurité des approvisionnements américains en énergie, exigent davantage d’engagement de la part des USA en Afrique. Ce document a appelé à mettre sur pied une coalition volontaire dont l’objectif premier est de concevoir des arrangements sécuritaires spéciaux dans la région.
Quant à la France, elle a mis sur pied, depuis 2003, un mécanisme dénommé ¨Groupe d’action anti-terroriste¨, relevant du Groupe des G8, lors de la présidence française du Groupe. Ce mécanisme a entrepris une série de réunions consultatives intenses auxquelles participent différents experts du Groupe anti-terroriste. L’objectif de ces réunions consiste à évaluer la situation sécuritaire dans la région, notamment, après les attaques menées par l’armée mauritanienne contre Al-Qaeda à l’intérieur du territoire malien au cours des dernières années, au lendemain de la séparation du Nord du pays et le contrôle par les jihadistes et les séparatistes de la zone de l’Azawad, ce qui a servi d’alibi pour l’intervention militaire française. La question en est sortie encore plus complexe et plus sensible, ainsi que ses rebondissements – internes comme externes – particulièrement après la résolution prise à l’unanimité par le Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’envoi d’une force internationale au Nord du Mali. Vu les conséquences de cette intervention militaire, les Nations Unies ont conçu une stratégie intégrée très ambitieuse, englobant l’ensemble des pays de la région, qui se propose de traiter tous les aspects de la crise : la bonne gouvernance, l’aide humanitaire, la sécurité et le développement.
Les pays européens étudient actuellement – et pour la première fois au plus haut niveau – les voies et moyens à même d’aider les pays du Sahel qui font face à Al-Qaeda. Ce programme prévoit, en particulier, l’entraînement des forces de sécurité locales au Niger, en Mauritanie et au Mali dans le cadre d’une stratégie visant à relever des défis répartis sur quatre niveaux : la bonne gouvernance, le développement, le règlement de conflits et la lutte contre l’extrémisme.
- Le conflit sur l’énergie au Sahel : la Mauritanie et le dilemme du maillon le plus faible.
Bien que les récents développements stratégiques dans la région n’incitent pas à l’optimisme, des efforts inlassables sont toujours entrepris en vue de maîtriser la situation dans la sous – région. Pour ce faire, une réunion a été tenue à Nouakchott, Mauritanie, le 17 mars 2003, autour de l’idée de la coopération sécuritaire, ainsi que la redynamisation du rôle du Conseil pour la Paix et la Sécurité en Afrique, et dans la région saharo – sahélienne, notamment.
Ont Pris part au ¨processus de Nouakchott¨ : l’Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Tchad, en plus des Organisations régionales, telles que : le Centre Africain d’Etudes et de Recherches sur le Terrorisme, le Comité de l’Union Africaine pour les Opérations Conjointes, le Comité issu de la Communauté Economique Africaine pour les Renseignements et la Sécurité, les Nations Unies, l’Union Européenne. Y ont, également, assisté, en tant qu’observateurs : la Chine, les Etats – Unis, la France, la Grande Bretagne et la Russie.
Il est attendu que le ¨processus de Nouakchott¨ permette de réaliser un diagnostic plus ou moins exhaustif des problèmes sécuritaires posés, tout en facilitant les efforts visant à renforcer la sécurité des frontières, l’échange d’informations, en plus de l’envoi de missions auprès des pays saharo – sahéliens pour évaluer leurs capacités en matière de lutte anti – terroriste.
Mais, la Mauritanie, dont l’indépendance nationale a été obtenue dans des conditions caractérisées par des relations régionales et internationales extrêmement oscillantes, a dû faire face, au cours du demi – siècle passé, à d’innombrables défis. Ces difficultés se traduisent, aujourd’hui, par des disparités importantes entre les données géographiques et les données démographiques. On peut en avancer, à titre indicatif, l’étendue du territoire (plus de 1 million de km2), les frontières terrestres qui atteignent 5000 km environ et maritimes (Océan Atlantique) 754km, des distances auxquelles s’ajoute le Fleuve du Sénégal long de 850 km. Un autre aspect de ces défis se traduit par la faiblesse de la densité démographique qui atteint à peine 2,5 habitants/km2 (ce taux redescend à zéro dans certaines régions du pays). D’autres handicaps s’expliquent par la faiblesse des moyens technologiques et logistiques, comme les satellites, les systèmes de repérages et de renseignements, les réseaux de bases de données, les systèmes de surveillance et d’écoute électroniques, les bases de commandement et de contrôle opérationnels, les systèmes d’analyses et d’exploitation des donnés…etc.
Dans cet ordre d’idées, hélas, le pays n’est pas au bout de ses peines. En effet, le manque criant d’infrastructures, de matériels et d’équipements militaires, de sécurité et de défense dont souffrent les forces armées et de sécurité, en plus de la faiblesse du budget de dépenses militaires nécessaires pour améliorer l’état de sensibilisation et de préparation au combat de ces corps, sont autant de facteurs qui incitent au pessimisme. Pour preuve, ce budget a représenté 4.9% du PIB pour l’année 2003, et, en 2009, ce chiffre a baissé jusqu’à 3.9%. Ces facteurs, pris ensemble, sont de nature à porter préjudice aux capacités potentielles du pays par rapport aux menaces éventuelles pouvant mettre en danger sa sécurité et sa stabilité.
Le périodique ¨Global Security¨, spécialisé dans les questions stratégiques internationales, estime que le montant des dépenses militaires de la Mauritanie a atteint 19 millions de dollars en 2005, tandis qu’en Algérie, ce chiffre a, au cours de la même année, atteint la somme faramineuse de 3 milliards de dollars. Ces dépenses ont atteint au Maroc, au Sénégal, au Mali, au Niger, en Israël, en Türkiye, en Libye et en Tunisie, respectivement : 2.3 milliards de dollars, 117 millions de dollars, 50 millions de dollars, 45 millions de dollars, 9.4 milliards de dollars, 12.2 milliards de dollars, 590 millions de dollars et 440 millions de dollars.
Au titre du budget de 2013, ces dispenses ont frôlé la somme de 150 millions de dollars. L’analyse de la situation stratégique de la Mauritanie montre qu’en dépit des richesses énergétiques que recèle son sous – sol, les défis sont nombreux :
- déséquilibres structurels se traduisant par l’absence d’une structure organisationnelle efficace de sécurité et de défense permettant de faire face aux multiples défis qui pèsent lourd sur le pays, à plus forte raison, assurer une victoire éventuelle dans la guerre contre Al-Qaeda qui a défait les forces coalisées internationales en Afghanistan, en Irak et en Somalie. Signalons, à titre d’exemple, que le coût quotidien de la participation française aux opérations de la coalition internationale en Afghanistan a atteint 1.3 millions de dollars par jour, avant de retirer ses troupes et de les envoyer en Côte d’Ivoire,
- Les puissances occidentales impliquées dans la guerre en Afghanistan depuis plus de 10 ans, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, cherchent une issue qui leur sauve la face. Pour ce faire, on parle de négociations secrètes avec les Talibans pour arriver à une solution politique,
- Les autorités mauritaniennes ont tranché en décidant de mener des opérations limitées sous forme d’attaques proactives. Mais, stratégiquement, quelle évaluation peut – on donner à ce genre d’opérations ? Et quelle peut être leur marge de réussite ou d’échec ?
- Malgré son appartenance à l’espace sahélo – maghrébin, la Mauritanie a une situation un peu particulière par rapport à ses deux voisins algérien et marocain qui ont des traditions administratives, politiques, sécuritaires et dans le domaine des relations internationales qui remontent à des périodes très reculées. En plus de ces traditions, les deux pays disposent de moyens humains et matériels qui dépassent, et de loin, ceux de la Mauritanie, ce qui leur permet de faire face plus efficacement aux menaces provenant d’Al-Qaeda ou d’une autre source,
- Stratégiquement, la Mauritanie, sous ou sans la menace d’Al-Qaeda, ne dispose pas, pour le moment, d’options sécuritaires nettes pour envisager des menaces réelles ou supposées, d’où qu’elles viennent.
- Comment dépasser le complexe du ¨maillon le plus faible¨: recommandations préliminaires
La situation géostratégique très sensible contraint les autorités publiques mauritaniennes – civiles et militaires – à prendre au sérieux les données et indices relatifs à la sécurité et aux menaces terroristes d’Al-Qaeda et autres dans la région sahélo-maghrébine pour mettre sur pied les scénarios possibles à même d’endiguer toutes formes de menace. Dans ce cadre, il est impératif de réévaluer les options disponibles sur la base d’une différenciation conséquente entre plusieurs scénarios exécutables.
Par ailleurs, les décideurs politiques, tout comme les élites, ont le devoir moral d’envisager cette réalité, tout au moins inquiétante, avec courage et honnêteté envers soi-même et envers l’opinion publique. Tout le monde doit savoir que le sort d’un pays qui agit d’une manière contraire à ses intérêts stratégiques c’est de rester éternellement en proie aux manœuvres des plus puissants qui ont su bien gérer leurs problèmes pour demeurer maîtres de leur destin.
Naturellement, la Mauritanie n’a aucun intérêt à s’engager dans une quelconque alliance sécuritaire ou militaire, sous prétexte de la guerre contre le terrorisme au Sahel. De telles aventures ne peuvent que nuire aux intérêts suprêmes du pays, rien que parce que de telles expériences ont montré leur échec dans nombre de pays, tels que la Somalie, l’Afghanistan ou l’Irak…etc. Par contre, la mobilisation doit être générale contre des ennemis comme le sous-développement, la pauvreté, l’ignorance, le chômage/oisiveté, la marginalisation, l’injustice, la fraude…etc. La Mauritanie, en tant que pays, est appelée à revoir sa façon de voir les choses par rapport au concept de sécurité humaine, non pas pour dire ceci est correct, ceci est faux, mais d’une manière méthodique afin de pouvoir élaborer une nouvelle politique de sécurité et de défense qui prend en considération tous les ingrédients de la nouvelle donne dans la région du Sahel.
Effectivement, la sécurité, la défense, la politique étrangère et la diplomatie sont des questions d’une sensibilité extrême, et par conséquent, il est indispensable d’entreprendre des réformes profondes qui touchent le fond et la forme des politiques publiques dans ces domaines. Il est temps, aussi, que la vision sécuritaire et défensive change en Mauritanie, car cette vision est restée, depuis toujours, limitée à la sécurité du pouvoir en place et du territoire, négligeant ainsi la sécurité des citoyens ordinaires.
Aussi, faudrait – il accorder davantage d’attention à l’amélioration des capacités militaires pour les rendre plus performantes face aux nouvelles menaces mettant en péril l’existence même de l’Etat et de la société, tels que le crime organisé, le trafic des drogues et autres contrebandes… Tous ces aspects méritent d’être revus afin de mettre en place des nouvelles politiques capables de redresser le déséquilibre structurel et proposer des scénarios stratégiques de rechange.
Un tel changement nécessite, désormais – de la part des politiques publiques – d’accorder une priorité absolue à la sécurité du citoyen avant tout autre aspect. Nul besoin de rappeler, ici, que l’avenir du pays dépend de l’introduction de réformes profondes dans les mécanismes régissant les rouages de l’Etat pour réorienter ses fonctions de base, notamment, en ce qui concerne les aspects idéologique, stratégique, législatif, institutionnel et fonctionnel de manière à garantir la stabilité et le développement de la République Islamique de Mauritanie.
- Bibliographie :
- Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur la situation au Mali- en particulier, l’application de la résolution du Conseil de Sécurité N° 2100/2013 créant la Commission onusienne intégrée et multidimensionnelle chargée de restaurer la stabilité au Mali,
- ¨Le Sahel : en vue d’une approche globale¨, rapport informatif N°720/2012-2013 préparé par J.-P. Chevènement et Gérard Larche au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présenté le 3 juillet 2013,
- ¨Vulnérabilité e facteurs d’insécurité au Sahel¨, par Mehdi TAJE, chargé des études africaines à l’IRSEM, note publiée par le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest
- ¨Révolution verte et équilibres géopolitiques au Sahel¨, IRIS -2010, par Serge Michaelov,
- ¨Le Sahel et la contagion libyenne¨, par Mathieu Pellerin, chercheur associé au programme : Afrique subsaharienne de l’IFRI – politique étrangère 1-4 :2012,
- ¨Sahel : éclairer le passé pour mieux dessiner l’avenir¨, par Tisseron et B. Rupert, chercheurs associés au GRIP (Bruxelles),
- ¨Analyse : Sahel, une géopolitique de l’invisible¨, par Mohamed Saleck Ould Brahim, multi-pol, Genève, décembre 2010,
- ¨Perspectives de stabilité en Afrique du Nord et au Proche Orient, d’après une étude allemande, par Mohamed Saleck Ould Brahim, GiGa – Hamburg, 2008,
- ¨Approaches Towards Socio – regional Development in North Africa and the Near East. Do they promise stability for States in those Two Regions?¨
Sujet: La guerre contre le terrorisme: de la nécessité de confrontation au devoir de discrétion
La stratégie de la Mauritanie comme modèle
Dr. Izid Bih Ould Mohamed El Béchir
Chercheur
Définition du terrorisme
Le terrorisme est “l’usage illégal de la violence contre des personnes ou des gouvernements, afin de promouvoir un climat de terreur pour atteindre certains objectifs”, quelque soit la nature de ces objectifs (politiques, économiques ou à des fins de domination et de monopole du pouvoir).
Le mot “terrorisme” a envahi le champ de l’utilisation politique depuis les années soixante du siècle dernier, d’autres domaines ont suivi le début des années soixante-dix. Les spécialistes en sciences juridiques, de la criminologie, de la stratégie et en sciences militaires s’y sont intéressés plus que n’importe quel autre phénomène de notre temps. De nombreux ouvrages, recherches et articles le traitant ont été publiés, ce qui a permis d’avoir des écrivains spécialisés dans les affaires du terrorisme, et des unités spécialisées en terrorisme ont été initiées, et le terrorisme est devenu au sommet de l’ordre du jour des réunions des chefs d’Etats et de conférences internationales et régionales.
Cet article se concentrera sur une partie de ce que soulèvent les événements qui ont marqué la Mauritanie au cours des dernières années et sont considérés comme des incidents terroristes. L’article examinera aussi un débat sur la scène nationale portant sur ces événements, qui peuvent prendre plusieurs formes (enlèvements, attentats, explosion ou affrontements militaires à l’intérieur comme à l’extérieur de la Mauritanie. Après la présentation d’un diagnostic des événements, l’article se concentrera sur le débat entre les différentes parties politiques au sujet de ces événements et de leurs propres positions.
D’abord, je pense qu’il serait bon de signaler que ce document ne dépassera pas les limites de la méditation, du questionnement et de l’interprétation des conséquences de ces événements, et ce selon la trajectoire systématique qui suit:
Les positions des Etats concernés par le terrorisme:
En examinant la guerre contre le terrorisme au Mali, on constate qu’en réalité c’est une multitude de guerres: la guerre des Touareg contre l’armée malienne, la guerre de l’Amérique, de la France et de l’Occident contre Al-Qaeda, la guerre d’Al-Qaeda contre le voisinage, la guerre des réseaux de contrebande contre les pouvoirs, la guerre de libération des otages, la guerre des réseaux l’un contre l’autre… et beaucoup d’autres guerres alimentées par la largeur du champ, la fragilité des frontières, l’insécurité des grands vides et la faiblesse des autorités locales et régionales et leur incapacité à faire face aux mouvements de ces groupes sur le continent.
Ainsi vint l’intérêt international et régional pour le phénomène du terrorisme dans la région du Sahel en général et au Mali en particulier, ce qui a donné à ce phénomène sa place dans la stratégie défensive américaine, aussi, l’Europe s’y est intéressée au même degré que les pays africains concernés.
Nous allons, dans ce qui suit, discuter d’un aspect de cet intérêt conformément aux étapes suivantes:
La place qu’occupe la région du Sahel dans la stratégie américaine:
La région de l’Afrique subsaharienne a toujours été parmi les dernières priorités de la stratégie américaine, car elle est restée jusqu’en 1960 la seule région qui a pu échapper à l’influence des Etats-Unis , puis, est devenue un champ de bataille indirecte entre les deux pôles pendant la guerre froide pour regagner, après la chute du mur de Berlin en 1995 et la fin de la guerre froide, sa place d’avant 1960, dans l’intérêt américain. Cette situation est restée telle qu’elle est jusqu’en 1998, quand le terrorisme a atteint les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie en deux opérations simultanées, qui ont été suivies de sanctions contre le Soudan, où logeaient Oussama ben Laden et Al-Qaeda, par le président américain Bill Clinton au cours de la deuxième moitié des années 90 du siècle dernier.
Cet intérêt s’est confirmé après les événements du 11 septembre 2001, où l’Afrique est devenue une priorité dans la guerre globale contre les terroristes, et ce dans la stratégie nationale de défense adoptée par l’administration Bush en 2002. En 2006, l’Afrique devient même plus importante avec la mise en place, en 2007, et pour la première fois dans l’histoire américaine, d’un commandement militaire américain (AFRICOM) dans le continent.
Cela s’ajoute à l’intérêt qu’accorde Washington à la présence commerciale chinoise dans la région. La politique de défense américaine tourne autour de deux objectifs: le premier est d’assurer la stabilité de la région à long terme et le deuxième consiste à combattre les groupes terroristes qui se trouvent sur le sol africain, à court terme, ainsi que la réduction du mouvement des trafiquants qui fournissent du carburant et de l’argent à ces groupes terroristes, ce qui mène à l’instabilité de la région.
L’Europe et la guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel
La relation entre l’Europe, notamment la France et les pays africains du Sahel date de l’époque coloniale, où le colon a tout fait pour que l’indépendance accordée à ces pays demeure symbolique et donc ne l’empêche pas d’exploiter les ressources nationales sans permettre à ses concurrents d’en bénéficier. Le colon, donc, rassemble ses efforts et exerce son influence traditionnelle sur l’Afrique et bouscule les nouveaux acteurs internationaux aspirant à se positionner sur un tel site qui a des richesses pour:
– Chercher à atténuer sa crise économique, qui a augmenté ces dernières années;
– Essayer à établir une coordination permettant de contenir le flux d’immigrants clandestins en provenance de l’Afrique;
– Couvrir leurs besoins en sources d’énergie et en matières premières africaines;
– Assurer la protection de leurs sociétés qui sont en train de piller les richesses des anciennes colonies.
L’emplacement des pays du Sahel sur la carte de la guerre contre le terrorisme dans la région
- L’Algérie:
L’Algérie estime qu’elle a réussi contre les terroristes car elle est parvenue à:
A- les pousser hors de ses frontières avec le désert malien et pourquoi pas mauritanien. Ainsi, elle a refusé de les poursuivre en dehors de ces limites.
B – infiltrer ce groupe de sorte que ses actions ont été découvertes et sont devenues une arme que l’Algérie peut utiliser à tout moment contre qui elle veut. Pour cela, on constate sa réticence quant à toute coordination dans le cadre d’une action militaire pouvant l’amener à se affronter Al-Qaeda. L’Algérie, aussi, s’est toujours opposée à toute intervention étrangère dans la zone. S’joute à cela le fait que l’Algérie trouve que les opérations menées par la Mauritanie ont été une sortie sur sa direction du camp de lutte contre le terrorisme dans le désert, ce qui a amené les médias algériens à déclarer une guerre psychologique à la Mauritanie à travers la diffusion de données et d’informations parlant d’énormes pertes dans les rangs de l’armée mauritanienne, et des défaites des soldats mauritaniens devant les combattants d’Al- Qaeda.
- Le Mali:
La République du Mali s’est contentée d’accueillir les combats sur son territoire. Elle a préféré être un spectateur dont l’intervention se limite à la fournir des sources d’informations aux journalistes sur les combats dans le nord du pays, et ce partant de trois principes:
A – Elle est incapable de s’engager dans une guerre qu’elle ne peut pas gagner contre des groupes qui possèdent une haute doctrine de combat et des capacités militaires qui leur permettent de vaincre l’armée malienne comme ce fut le cas lors du premier affrontement entre les deux parties.
B – Al-Qaeda est une affaire maghrébine et ses membres maghrébins. Sa confrontation doit, donc, être une affaire maghrébine en premier lieu.
C – Le fait qu’elle ait lieu dans le désert, sans qu’on en parle, est un moyen d’alléger le fardeau du développement de cette région malienne en difficulté et aussi une manière de distraire l’hostilité Touareg.
- Le Niger:
Le Niger, lui aussi, s’est limité à suivre les nouvelles des Français enlevés sur son territoire, sans lever le petit doigt pour les sauver, et ce sur la base de la même logique sur laquelle l’autorité centrale au Mali a fondé son refus de confrontation directe avec ces organisations.
- La Libye:
Après la chute du régime de Kadhafi, la Libye s’est transformée en grand magasin d’armes de toutes sortes, ce qui lui a permis de constituer la source principale du trafic d’armes vers la plupart des pays de la région. Le climat de turbulence qui a régné dans de nombreuses zones en Libye, après l’attaque de l’ambassade américaine à Benghazi a été exploité par Al -Qaeda dans le déploiement de ses éléments dans quelques poches afin d’étendre influence et son contrôle sur le pays. Les services de sécurité en Tunisie ont démantelé plus d’une cellule de jeunes Tunisiens qui avaient l’intention de se rendre en Libye pour y subir des formations en combat. La Libye a également reçu un certain nombre de dirigeants d’Al-Qaeda au Yémen.
De nombreux experts voient que le sud Libyen est devenu au cours des mois derniers un site où les cellules terroristes se sont réorganisées après l’expulsion des groupes islamistes armés du nord du Mali.
- Le Maroc:
L’objectif du Maroc a été atteint, car voilà l’Algérie, son ennemi de longue date et son solide concurrent dans la région, entrée dans une guerre qui n’est pas si simple, et la Mauritanie, voisine «neutre» dans le conflit du Sahara, embrigadée.
- Les mouvements jihadistes:
Ils trouvent leur compte dans le conflit d’intérêts des Etats concernés de la région et aussi dans l’incapacité de ces pays à coordonner une stratégie unifiée, ce qui a permis à ces mouvements jihadistes d’accumuler le pouvoir et de renforcer leurs capacités pour un meilleur contrôle en vue de la mise en place de l’Emirat Islamique du Sahara.
- La Mauritanie:
La période récente a connu des affrontements entre les forces armées mauritaniennes et des groupes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique. La chose la plus remarquable est que les affrontements qui ont eu lieu tout dernièrement se sont déroulés sur le territoire malien, où des troupes de l’armée mauritanienne ont combattu Al-Qaeda au fond du nord du Mali.
Les points de vue diffèrent quant au rôle de la Mauritanie dans cette guerre. Certains croient que l’intervention de la Mauritanie rentre dans le cadre de sa stratégie d’éloigner le danger à travers la poursuite desdits terroristes en dehors du territoire mauritanien. Selon les autorités officielles, cette opération est plutôt préventive afin d’épargner au pays les dangers de possibles attaques de cette organisation qui peuvent avoir lieu à tout moment et n’importe où. Elle permet aussi d’atteindre l’ennemi dans son repaire.
D’autres sceptiques croient que ce n’est rien de plus qu’une guerre menée par la Mauritanie pour des puissances occidentales afin de protéger leurs intérêts.
Dans les deux cas, des questions légitimes se posent quant à l’urgence des raisons qui font de la Mauritanie un acteur réel dans la lutte contre Al-Qaeda.
Pourquoi seule l’armée mauritanienne dans toute la région fait la guerre contre Al-Qaeda au Mali? Et pourquoi ne participe-t-elle pas aux opérations militaires menées par l’armée française soutenue par les armées de certains pays dans la région? Est-il vrai que la France et les Etats Unis exercent des pressions sur le gouvernement mauritanien pour le persuader d’intensifier ses opérations contre Al-Qaeda?
Bien que nous n’allions pas répondre directement à ces questions pertinentes, nous essayerons de découvrir quelques motifs qui ont fait que l’armée mauritanienne entre toute seule dans le champ de bataille pour poursuivre “les fantômes d’Al-Qaeda” dans un vaste désert au-delà de ses frontières:
- La Mauritanie craint que “les terroristes” la considèrent comme étant le maillon le plus faible de la chaîne et là, ils commencent à violer sa souveraineté en enlevant des étrangers, tuant des éléments de l’armée et opérant à loisir dans la région.
- La Mauritanie trouve dans son intervention militaire des représailles aux attaques répétées d’Al – Qaeda contre son armée, et ce en profitant de la volonté de l’Occident et du soutien en matière de renseignement et de logistique. Et c’est ce que le régime a essayé, à l’occasion de l’anniversaire des forces armées en 2012, aux fins d’un double usage extérieur et intérieur. L’usage extérieur vise à dire à l’Occident, “Voyez que nous sommes prêts, voici notre force qui est devenue une superpuissance et voila comment les fonds avec lesquels vous nous soutenez ont été dépensés”.
Le message à usage intérieur informe sur “l’état de préparation de l’armée” sous la direction du système actuel, laquelle est devenue capable de dissiper vos craintes au sujet de la force de l’adversaire et que l’argent que l’opposition déclare avoir été dépensé à des fins privées, a été alloué à l’armement et à la construction d’une armée forte, capable d’opprimer l’adversaire interne, si nécessaire, et aussi les ennemis extérieurs de la patrie s’il manifeste l’intention de nous attaquer.
- Un moyen d’occuper l’armée afin de la faire oublier les aspirations au pouvoir et garantir qu’elle abatte les ennemis et non les dirigeants.
Ainsi, nous pouvons dire que les interventions de l’armée mauritanienne au fond du territoire malien et les violations répétées de la souveraineté de ce pays sans aucune réaction, a révélé la faiblesse du gouvernement central au Mali et son incapacité de protéger son territoire et de défendre sa souveraineté, ce qui a attiré les organisations terroristes sur cette terre pour procéder à la mise en œuvre de leur plan et accélérer davantage leur contrôle sur tout le nord malien.
Les raisons du rejet de la guerre chez l’opposition et ses partisans
L’intervention de la Mauritanie dans les affrontements directs avec les organisations terroristes n’a pas été l’objet d’un consensus entre les diverses parties politiques, ce qui pose problème sur le plan national. L’opposition a déclaré sa position par rapport à cette intervention et a fondé ses points de vue sur les raisons suivantes:
- La multitude des puissances étrangères qui y participent, gagnantes et perdantes.
- La multiplicité et la diversité des ambitions étrangères se cachant derrière le masque de la lutte contre le terrorisme, en faisant un outil afin d’atteindre des objectifs économiques, politiques et militaires inclus à leurs propres ordres du jour motivés par la course vers les sources de richesse parmi lesquelles le désert mauritanien est supposé être.
- La fragilité de la capacité sécuritaire et militaire nationale, selon elle, et ce que cela peut entrainer comme ambitions des puissances internationales qui voient qu’il est nécessaire de les soutenir d’urgence, et des forces de la terreur qui voient dans cette fragilité une opportunité pour agir, renforcer leurs capacités et atteindre leurs objectifs stratégiques et tactiques.
- Le manque de coordination entre les pays de la région concernés par ce phénomène pour des raisons de divergences des points de vue le concernant, les différentes méthodes de traitement et les différends persistant entre quelques uns de ces pays.
- La fragilité de notre tissu interne, notre diversité ethnique et l’absence d’une harmonie nationale interne et aussi de la dimension unanime dans le traitement de ce phénomène ont fait que chaque partie voit la façon de traiter ce phénomène à partir de sa propre position par rapport à l’autorité et aussi à partir de sa position ethnique, voire géographique.
- La faiblesse de notre expérience nationale dans l’affrontement de telles organisations dont les caractéristiques et les endroits sont masqués, ce qui a causé des préoccupations chez l’opinion publique nationale sur l’entrée en guerre contre une organisation qui a constitué un grand défi pour de nombreux pays et beaucoup d’Etats qui sont grands en termes de troupes et de matériel militaire et qui ont perdu contre elle, car la guerre a duré quelques années, ce que nous ne pouvons pas supporter et il n’est pas de notre intérêt de passer toutes ces années dans les guerres.
- Aussi, l’opposition et une grande partie de l’opinion publique nationale voient que les annonces répétées du pouvoir informant de grandes découvertes de pétrole et de minéraux, et sa déclaration permanente de lutte contre la pauvreté et la corruption et la protection des deniers publics et la rationalisation des dépenses sont parmi tant d’autres questions devant représenter de réelles incitations pour ce pouvoir pour faire du développement et de l’urbanisme une priorité car, dans toutes les normes, la guerre handicape le développement et la construction.
- Les expériences internationales (l’Amérique en Irak, le Yémen, la Somalie et l’Algérie) dans la guerre contre le terrorisme et la guerre contre Al – Qaeda a fait que le citoyen mauritanien doute de notre capacité de gagner et nous devons, donc, chercher des alternatives pour éviter d’aller à la guerre contre quiconque Al- Qaeda, toute autre organisation terroriste ou les trafiquants dans notre pays ou ailleurs.
- Les derniers événements en Libye ont créé des opportunités pour le commerce des armes de tout type, ce qui permet que ces armes tombent dans des mains de diverses activités et objectifs dont, sans doute ceux sur nos frontières.
Les raisons d’aller à la guerre pour le régime et ses partisans
Les autorités officielles et leurs partisans des forces politiques et populaires, eux aussi, ne manquent pas de raisons et de fondements pour justifier l’option d’aller à la guerre contre ces groupes, malgré la reconnaissance de ces autorités de la gravité de ce type de guerres, tout en admettant que nous ne sommes pas sûrs de gagner et que cette guerre constitue un vrai handicap pour les efforts du développement. Parmi ces raisons, on peut citer:
- La présence de ces groupes sur nos frontières et notre Sahara constitue un danger en soi, ce qui leur a permis de tuer et d’enlever des éléments de nos forces armées, plus d’une fois en plusieurs endroits. Dans tous les cas, ce ne sont pas nos forces armées qui avaient commencé.
- La recherche continue de compromis et le fait qu’on essaye d’éviter les affrontements avec ces groupes les a encouragés à utiliser le territoire mauritanien pour le trafic de la drogue et les différents types de contrebande, les enlèvements et les meurtres des étrangers et donc la violation de la souveraineté nationale.
- Le fait de conclure des compromis avec ces groupes les a encouragés à envisager nos frontières pour le siège social de l’Emirat Islamique du Sahara qu’ils comptent mettre en place. Ainsi, les laisser errer en toute sécurité c’est leur permettre de construire et d’accumuler leurs capacités militaires hostiles, leur donner plus de possibilités pour identifier la région, l’isoler et renforcer son contrôle et leur donner plus d’occasions d’avoir des fondements économiques nécessaires à l’établissement de cet Emirat.
- Le fait de chercher à trouver des compromis avec ces groupes après les affrontements nécessite une renonciation sans limite et donc, les résultats ne sont pas garantis car, c’est peut être leur offrir l’occasion de souffler et de bâtir des capacités leur permettant d’entrer dans une autre bataille féroce et la plus dangereuse.
- Se limiter à une attitude défensive contre un ennemi inconnu et des attaques qui sont possibles à tout moment et n’importe où coûte cher et ses résultats, comme il a été prouvé, ne sont pas garantis.
- C’est notre armée qui est engagée dans cette bataille. Elle a toujours été victime des attaques répétées et provocatrices de ces groupes, ce qui lui a coûté la vie d’un grand nombre de ses éléments, raison pour laquelle elle a senti le devoir d’entrer en guerre pour prouver son efficacité, se défendre et assurer la protection de ses frontières conformément à son devoir national. Ainsi, toute réclamation disant que cette guerre est faite pour l’Occident et que ce n’est pas une guerre contre Al – Qaeda, est démentie. Cette guerre est menée contre des gangs criminels et terroristes qui font du mal au pays en ciblant sa tranquillité et sa sécurité.
La stratégie de la Mauritanie pour lutter contre le terrorisme
La stratégie des régimes qui se sont succédé en Mauritanie depuis l’époque de Ould Taya à nos jours a toujours été instable et confuse par rapport à la question des opérations actives de contrebande sur les frontières nationales et à l’intérieur du pays. A un moment donné, cette relation était devenue une relation de coopération et de réconciliation, à travers laquelle certaines de ces organisations ont bénéficié de services officiels afin d’épargner leur danger à la Mauritanie et lui permettre de tirer profit des avantages des trafics et du commerce de la contrebande.
La situation est restée ainsi jusqu’à ce que ces organisations ont commencé des opérations à l’intérieur de la Mauritanie, ciblant les unités militaires sur les frontières nationales. Ces opérations ont causé de grandes pertes qu’on peut rappeler dans la chronologie suivante:
– Au matin du 05/08/2005 Al- Qaeda a choisi de laisser des empreintes sanglantes sur sa première opération contre l’armée mauritanienne dans la région de Lemgheiti dans le désert. 15 soldats ont été tués et plus de 17 blessés en plus du pillage des véhicules et du matériel militaire de l’armée mauritanienne.
– L’opération de Lemgheiti fut le début d’une longue série d’attaques militaires contre le territoire mauritanien. L’étape suivante fut l’opération d’Aleg le 24/12/2007, qui a coûté la vie à quatre touristes français en plein territoire mauritanien.
– Quelques jours après l’assassinat des français à Aleg, El Ghallawiya, sur les frontières mauritano-algériennes, était elle aussi au rendez-vous avec un autre épisode du sang qui coule dans le désert où trois soldats mauritaniens ont trouvé la mort.
– Après quelques mois, plus précisément le 15/05/2008, Tourine, sur les frontières mauritano-algériennes, vit un massacre horrible mené par des militants d’Al-Qaeda : 12 soldats mauritaniens sont massacrés.
– Le 07/04/2009, Nouakchott a vécu des affrontements très chauds entre la police et des hommes armés d’Al- Qaeda. Un officier de la police nationale a été tué ainsi qu’un autre citoyen innocent qui a été soupçonné par les agents de sécurité.
– Le 29/09/2009, l’organisation a enlevé trois ressortissants espagnols au nord-ouest de Nouakchott. L’organisation armée les a libérés plus tard contre une énorme rançon estimée à plus de 5 millions d’euros.
– Le 18/12/2009, le groupe armé a enlevé des citoyens italiens dans le département frontalier de Koubenni.
– Le 22 juillet 2012, les armées mauritanienne et française ont lancé une opération conjointe contre une base d’Al-Qaeda au Mali et ont tué sept militants de l’organisation armée, dont un mauritanien, mais l’organisation a réagi rapidement en tuant l’otage français Michel Germano qu’elle avait enlevé.
– Le 25/08/2010, l’organisation a réagi une deuxième fois par une opération kamikaze visant le commandement de la cinquième région militaire dans la région de Néma, à l’extrême est mauritanien.
– Le vendredi, 17/10/2010, a été marqué par l’étape la plus grave jusqu’à présent dans les affrontements sanglants entre la Mauritanie et Al- Qaeda car, l’armée mauritanienne était allée très loin, et avec force, dans le territoire du Mali et infligé de lourdes pertes en hommes et en matériels à Al-Qaeda.
– Le mardi 20/12/2011 au soir, à Adel Begrou, le gendarme de quatrième échelon Ely Ould El Mokhtar a été enlevé à partir d’une issue de sécurité qu’il gardait dans un message très significatif et émouvant. La victime a été libérée dans le cadre d’un accord dont les détails n’ont pas été publiés.
– Le mercredi 02/02/2011 à l’aube, une forte explosion a secoué la ville de Nouakchott. Cinq militants d’Al-Qaeda ont été tués et quelques éléments de la garde présidentielle blessés dans une opération visant à repousser une attaque qu’Al- Qaeda comptait mener contre la sixième région militaire à l’est de Nouakchott.
Ces résultats sanglants et ces attaques répétées montrent, donc, qu’Al- Qaeda et ses combattants n’ont pas laissé de choix à la Mauritanie et l’ont harcelée et obligée à les affronter et à les poursuivre dans le cadre d’une stratégie de confrontation à deux axes principaux:
1 – L’axe de la force douce qui s’était manifesté dans ce qui suit:
– Organiser des séminaires et conférences intellectuels et religieux nationaux et internationaux pour la sensibilisation sur les dangers du terrorisme.
– Organiser des dialogues avec nos jeunes auteurs d’opérations terroristes, en particulier ceux qui sont emprisonnés pour ces opérations. A cet effet, l’Etat a mandaté des ulémas qui sont rentrés dans des dialogues directs avec certains de ces jeunes. Ces dialogues ont donné de bons résultats car, certains jeunes ont changé de convictions et se sont engagés à être en harmonie pacifique avec la communauté. En échange, l’Etat en a libéré des dizaines après la signature d’un document qui contient des données confirmant leur abandon de la violence et leur rejet du style d’Al-Qaeda et d’autres organisations extrémistes. L’Etat a également promis de garantir à tous ceux qui changent de convictions leurs libertés et des moyens d’intégration économique dans la communauté afin de travailler sur l’assèchement des sources intellectuelles et des ressources humaines des groupes extrémistes.
– Adopter des lois d dissuadant du terrorisme, y compris la fameuse loi qui prévoit la révision des procédures et l’aggravation des peines contre les actes terroristes, qui a rencontré une forte opposition au Parlement parce qu’elle contenait des articles considérés par certains législateurs comme violant les spécificités des citoyens et limitant leurs libertés garanties par la Constitution.
– Renforcer les frontières en identifiant trois passages vers tout le territoire mauritanien, tout en considérant le reste comme des zones militaires interdites. Tout individu essayant d’utiliser un passage autre que ces trois, risque d’être considéré comme trafiquant ou combattant des groupes armés actifs dans le désert, et donc tué par les forces armées.
– Donner plus d’attention aux aspects de la religion dans le programme du gouvernement, ce qui a abouti à la création de la “Radio du Saint Coran” et la chaine de télévision “Al Mahdhara”, spécialisées dans la diffusion des programmes religieux et les récitations du Coran, la construction de la plus grande mosquée dans l’histoire du pays, l’impression du Saint Coran sous le nom de “Mushaf Chinguitti”, le recrutement de plus de 500 imams de mosquées payés sur le budget de l’Etat, et beaucoup d’autres actions et mesures importantes et efficaces qui permettront de tarir les sources du terrorisme en immunisant les jeunes grâce à la diffusion des idées de modération, même si certains observateurs estiment que ces actions viennent de la vision occidentale du terrorisme en reliant le terrorisme à l’Islam et en le confinant aux musulmans malgré la gravité de cette vision et le manque d’équité car, il est bien connu que le terrorisme n’a pas d’identité, ni de nationalité ni de doctrine, mais, plutôt, il existe quand ses causes, justifications et motifs sont là, n’importe quand et n’importe où.
– Les campagnes dans les médias officiels pour expliquer les dangers du terrorisme et promouvoir la modération.
– La coordination en matière de renseignement avec les pays voisins et les alliés occidentaux comme la France et l’Amérique.
– Elaborer des politiques d’intégration au profit des jeunes afin de ne pas les laisser exposés au recrutement par les organisations terroristes et des mouvements extrémistes, motivés par le besoin de combler le vide ou se venger contre l’Etat qui ne leur a pas fourni de travail, et ce dans un effort apparent pour tarir les sources de l’extrémisme.
– Organiser des exercices militaires internationaux pour démontrer l’efficacité et le développement des capacités de combat, bénéficier de l’expérience internationale dans le domaine, mieux connaître les théâtres de possibles opérations et obtenir le maximum de renseignements pour construire des plans de défense et de combat à travers les équipements modernes qui sont disponibles à l’occasion de ces exercices.
2 – L’axe de hard power représenté dans:
– Les attaques et renseignements, qui ont touché et plus d’une fois des pirates sur le territoire mauritanien
– Les frappes préventives, qui ont atteint la limite de guerres en dehors des frontières mauritaniennes et au fond du territoire malien et qui ont infligé des pertes immenses à Al- Qaeda dans son refuge, qui était, très bien sécurisé il n’y a pas longtemps, comme on l’avait souligné précédemment.
Malgré cette stratégie intégrée, la Mauritanie a toujours nié, et même quand la crise du conflit atteint son sommet, que ce qu’elle est en train de faire constitue une confrontation avec Al-Qaeda. Elle a préféré appeler son ennemi les réseaux internationaux de contrebande, qui utilisent ses frontières, violent sa souveraineté à travers les assassinats et les enlèvements des étrangers et menacent sa stabilité.
RESUME
Ainsi, on peut conclure comme suit:
- La nécessité d’éviter d’aller à la guerre contre Al-Qaeda ou contre les groupes terroristes armés, car cela ne servira en fin de compte que des agendas étrangers et régionaux, faciliter l’ingérence dans les affaires publiques nationales et provoquera des dommages sûrs à l’échelle sociale, au développement économique et à l’avenir de la richesse nationale, qui reste encore dans les semelles de notre Sahara.
- La nécessité de coordonner avec les pays voisins, en particulier les pays maghrébins et africains connus sous le nom des «Etats du champ» et de les pousser à participer, dans le cadre de cette coordination, à toute action militaire ou sécuritaire, activer les mécanismes de lutte contre le terrorisme concernant l’échange d’informations et le suivi des flux financiers des pratiques illégales comme le trafic de drogue, entreprendre des actions militaires conjointes et identifier les responsabilités en matière de sécurité, afin que notre pays ne soit pas seul dans une affaire qui concerne tous ces pays.
- La nécessité pour le régime de maintenir un climat de paix et de tranquillité afin qu’il puisse consacrer ses efforts au développement, à la construction et aux conditions de la population comme étant une priorité à laquelle aspire tout le peuple mauritanien.
- La nécessité pour le régime d’être conscient du fait que dans la guerre contre les groupes extrémistes au Mali, il continuera à être exposé à une double perte: – s’il est perdant, il perd son pays et le rend accessible aux ennemis. – S’il est gagnant, il aura tué beaucoup de ses fils, regroupés sous les drapeaux des mouvements jihadistes extrémistes par les politiques de répression, d’injustice et d’absence d’égalité des chances entre les fils du même pays, que la Mauritanie a connu au cours des régimes qui se sont succédé au pouvoir.
- Les gouvernements des pays du champ doivent être conscients que le traitement des groupes terroristes repose sur deux axes : l’un sécuritaire qui prévient la propagation de ces groupes et leur infiltration dans des territoires et d’autres régions, et ce à travers la protection et le renforcement des frontières. Le deuxième axe concerne le développement, car c’est le mécontentement qui pousse les individus à joindre ces groupes, en particulier les jeunes. Ce mécontentement résulte de l’augmentation des taux de pauvreté et de chômage et du manque de services publics, et ce parce que la façon la plus efficace de lutter contre le terrorisme consiste à priver ses tenants des raisons pour le justifier et d’affaiblir les bases populaires dont ils ont besoin, car le terrorisme n’est ancré que quand il y a l’injustice, l’humiliation, la frustration, la misère et le désespoir, et donc la voie de la victoire contre le terrorisme ne passe pas seulement par la guerre, puisque la diffusion de la justice entre les fils du même pays reste la voie la plus efficace et la plus capable de tarir les sources du terrorisme pour ensuite l’éradiquer. Tant que les jeunes ne sentent pas qu’ils ont un pays où ils habitent, pour lequel ils vivent et qu’ils défendent, toutes les tentatives dans ce sens demeureront apaisantes et déficientes. Pour cela, les stratégies les plus efficaces sont la construction de la justice et non la puissance militaire ni son accumulation pour garantir un incubateur des efforts de lutte contre le terrorisme.
- Les autorités doivent, surtout, savoir que les attaques militaires menées par la France dans le nord du Mali contre les groupes terroristes bien qu’elles aient affaibli certains de ces groupes, dont les éléments ont fui vers les frontières avec les pays voisins du Mali, mais elle ne les ont pas éliminés, ni mis fin à leur capacité. Elles ont plutôt augmenté le danger, car elles les ont fait sortir d’un endroit où ils étaient regroupés à un autre endroit plus large qui est toute la région du Sahel, où ces groupes ont retrouvé leur force, pour commencer à former de nouveaux bras dans certains pays africains et dans les pays du printemps arabe du Maghreb, qui sont apparus faibles et incapables de faire face aux mouvements de ces groupes sur leurs territoires à cause de leurs situations transitoires.
Les racines intellectuelles de la violence dans certaines jurisprudences (Fatwas)
Par: Mohamed El Mehdi Ould Med El Bechir
Conseiller du Président de l’Institut
Mauritanien d’Etudes Stratégiques
- Prélude
La ¨violence¨ pratiquée par les groupes terroristes – au nom de la religion – ne constitue pas en soi un acte criminel visant à tuer des personnes innocentes aux fins de mettre fin à leur vie ou à s’approprier leurs biens pour des raisons purement criminelles, il s’agit surtout d’actes perpétrés par des auteurs poussés en cela par des motifs religieux dont la justification est foncièrement intellectuelle pour mettre en pratique leurs convictions religieuses. Ainsi, les faits commis par ces auteurs – même s’ils sont qualifiés de terroristes – tout comme le changement civilisationnel auquel ils aspirent, trouvent leur justification dans leur ¨structure intellectuelle¨, l’unique référence de leurs mentalités et leur perception des rapports entre les musulmans et les non musulmans. ¨Le terrorisme est une stratégie basée sur la violence, internationalement prohibée et motivé par des croyances ou des penchants idéologiques¨, a écrit Dr. Cherif Bessyouni. L’objectif étant de provoquer des évènements à la fois violents et terrorisants au sein d’une frange de population donnée aux fins d’arriver au pouvoir ou de mener une propagande en faveur de certaines revendications, nonobstant le dessein des auteurs de la violence1. Cette définition a été retenue par les experts de la région au cours de leurs assises organisées sous l’égide des Nations Unies à Vienne du 14 au 18 mars 1988.
Cette situation s’explique par le fait que la jeunesse musulmane, dans la zone du Sahel, se base toujours – dans ses études religieuses – sur des écrits jurisprudentiels remontant à une ère de l’histoire caractérisée par des guerres confessionnelles et autres entre les populations de notre globe terrestre. Cette période de l’histoire coïncide avec les victoires et les conquêtes des musulmans aux dépens de leurs ennemis d’où une culture triomphaliste au service du vainqueur qui va légiférer comme bon lui semble. Il en a résulté:
- Un environnement intellectuel et culturel – voire même des opinions jurisprudentielles, théoriquement au moins – peu propice à l’entente et à la cohabitation entre les conquérants et les conquis ;
- La naissance d’un certain ¨complexe de supériorité¨ chez les musulmans qui désormais se présentent comme les maîtres du jeu, imposant ainsi leur propre vision aux peuples conquis ;
- La propagation parmi les musulmans d’une certaine opinion selon laquelle tous les autres peuples sont des ennemis jurés de l’Islam.
C’est dans ce contexte historique particulier que les grands livres écrits par les jurisconsultes musulmans qui faisaient de l’antagonisme entre l’Islam et les autres religions leur cheval de bataille ont pris le devant de la scène. Les auteurs desdits ouvrages se sont basés dans leurs raisonnements sur des faits vécus au vivant du prophète (Paix et salut sur lui) pour tracer les contours généraux d’une théorie de ¨guerre¨ incitant à la conquête des contrées non encore soumises.
Selon cette théorie, les peuples non encore islamisés ont le choix entre :
- La conversion volontaire à l’Islam ;
- Le paiement d’un tribut pour garder leur religion d’origine, tout en restant soumis au régime de l’Islam ;
- Le combat et la guerre en cas de refus de se convertir à l’Islam ou de payer le tribut. ¨Ils n’ont qu’à se convertir à l’Islam ou à payer le tribut¨, écrit le Cadi Abdelwehab Al Baghdadi2.
Il était, cependant, attendu de ces penseurs de jeter les bases d’une théorie préconisant la paix et la cohabitation entre les hommes, en mettant l’accent sur leur origine commune, la nécessité de garantir la justice et l’équité, la liberté, la clémence et la fraternité, des principes à même de permettre d’atteindre les objectifs assignés par Allah à l’homme, à savoir : faire prospérer la vie sur terre en y appliquant la Charia (la Loi) d’Allah.
Suite aux changements qui ont révolutionné les relations internationales à l’aube du XIXème siècle, les pays musulmans, jadis maîtres du monde, avaient brusquement perdu leur mainmise sur les autres nations pour se soumettre aux diktats des nouvelles puissances, ce qui a précipité la chute du Califat islamique (l’Etat musulman unifié) en 1924.
La nouvelle charte régissant les rapports internationaux interdit l’occupation illégale des territoires d’autrui, considérant un tel acte comme une atteinte à la souveraineté des pays et une menace contre la paix et la sécurité internationales, (l’atteinte à la souveraineté des pays étant une marque déposée des grandes puissances). Pour consolider la nouvelle orientation, la paix et la tolérance deviennent des objectifs que la communauté internationale a consacrés dans des conventions visant à protéger les droits de l’homme. Sur ce plan, les jurisconsultes se sont scindés en deux courants de pensée :
- Le premier a préconisé la révision des jurisprudences ayant constitué la base intellectuelle de la conception de la relation entre musulmans et non musulmans tout au long des siècles passés compte tenu des changements intervenus. Ce courant a tout simplement rompu avec ¨les lois sultanesques¨ héritées. Il reste, toutefois minoritaire;
- Le deuxième, quant à lui, a été poussé par le cafouillis qui a bouleversé les rapports entre le monde musulman et l’Occident au cours des siècles derniers à épouser les jurisprudences héritées du passé, tout en proposant une relation avec l’Occident caractérisée par l’antagonisme à la lumière de ce qui suit :
- L’existence d’un certain nombre de jurisprudences dans les écrits du patrimoine islamique appelant à une relation ¨antagoniste¨ entre le monde islamique et l’Occident. Ces jurisprudences remontent à des périodes de l’histoire où l’animosité entre les deux parties était à son comble;
- L’absence d’une rupture épistémologique avec ces jurisprudences considérées comme des règles légales valables pour n’importe quel temps et espace, et non pas des jurisprudences faillibles d’ordre provisoire;
- La prédominance parmi les musulmans de clichés et d’idées reçues des autres peuples formés tout au long de l’histoire et renforcés par les Croisades, le néo-colonialisme et les guerres qui s’en suivirent;
- Le parti pris de l’Occident, et les USA en particulier, en faveur d’Israël;
- Les interventions militaires directes de l’Occident dans les pays arabes et islamiques conformément à un agenda politico-stratégique qui fait fi de la justice et des droits de l’homme;
- Le parti pris de l’Occident pour les régimes despotiques dans le monde arabe et leur protection au détriment des populations, ce qui a contraint les partisans du deuxième courant de pensée à s’abstenir de revoir leurs idées par rapport aux jurisprudences héritées du passé, notamment pour les raisons suivantes :
- L’absence d’un projet intellectuel moderniste dans la zone du Sahel capable de produire une vraie réconciliation entre la jeunesse islamiste et le vécu quotidien auquel elle fait face;
- Ces jurisconsultes s’appuient sur les politiques occidentales envers la région pour dire que le conflit entre les musulmans et les autres est bel et bien enraciné dans les esprits des uns comme des autres;
- Certains partisans de ce courant trouvent que ce déséquilibre entre le monde islamique et l’Occident ne changera que lorsque la guerre sainte aura été déclarée, suivant la même logique et les mêmes raisonnements qui, d’après ceux – ci, ont justifié cette guerre (jihad) du temps du Prophète (paix et salut sur lui). Le papier essaiera, donc, de répondre à ces différentes questions.
- Les racines intellectuelles de la violence dans certaines consultations jurisprudentielles (Fatwas)
Voici, donc, un tour d’horizon des orientations intellectuelles et des jurisprudences sur lesquelles s’appuient les groupes terroristes pour légitimer les atrocités qu’ils commettent au nom de l’Islam.
Premièrement : à l’origine, la relation entre les musulmans et les non musulmans est une relation de guerre et non de paix.
La plupart des jurisconsultes estiment que la relation entre les deux parties est basée sur la guerre et non la paix, et que tout accord de paix devrait être considéré comme l’exception qui confirme la règle. Cela implique nécessairement l’interdiction pour les musulmans de signer une quelconque convention de paix avec les autres sauf à titre provisoire et à la condition sine qua non que la loi islamique la justifie. Quant à la guerre, elle est, selon eux, la base de la relation, et de ce fait, n’est pas à justifier.
A leurs yeux, l’argument n’est autre que le verset coranique qui recommande aux ¨ N’hésitez pas à combattre ceux, parmi les gens du Livre, qui ne croient ni en Allah ni au Jour du Jugement, qui ne s’interdisent pas ce qu’Allah et Son Messager rendent illicite et ne pratiquent pas la vraie religion…¨, Coran, IX, 29, en plus d’autres versets qui vont dans le même sens. Nombreux sont les chercheurs contemporains intéressés par les relations internationales vues par l’Islam qui ont rallié ce point de vue qui apparaît, à tout le moins, nihiliste aux yeux des partisans du premier courant de pensée.
Cependant, de nombreuses voix se sont levées parmi les penseurs musulmans contemporains contre cet extrémisme en essayant de proposer une autre interprétation des textes moins brutale et beaucoup plus pacifiste. A en croire les défenseurs de ce courant, la guerre n’est qu’une exception justifiée par l’absolue nécessité de réparer l’injustice et de faire face à l’agression.
Dans cet ordre d’idées, l’érudit Mahmoud Sheltout a écrit :¨ainsi, la paix était – elle l’état initial qui incite à la coopération, à la compréhension et à la propagation de l’amour et du bien parmi la communauté humaine. Il n’est donc, demandé des non musulmans que de se refuser d’agresser les musulmans ou de leur apporter du mal. L’Islam est loin d’adopter les voies et moyens coercitifs pour garantir l’adhésion de ses ennemis à ses principes. ¨Voudrais-tu, toi, les contraindre à croire? ¨, Coran, X, 99. Et si les non musulmans ne déclarent pas la guerre, ils sont, du point de vue islamique, considérés comme des frères dans le sens humain du terme : ils coopèrent pour l’intérêt général et chacun prêche pour sa religion avec sagesse et retenue sans porter préjudice à autrui ou à ses droits les plus élémentaires3.
Et voici, en bref, l’explication de quelques versets coraniques qui prouvent qu’en Islam, la paix l’emporte sur la guerre :
- « Sont autorisés [à se défendre], ceux qui ont été injustement agressés.», Coran, II, 39.
- «Combattez, pour la cause d’Allah, ceux qui vous combattent, mais évitez de transgresser.», Coran, II, 190.
- « … à moins qu’ils ne vous y combattent. Dans ce cas, tuez-les ; telle est la sanction des impies. », Coran, II, 191.
- « S’ils arrêtent leurs agissements, seuls les coupables seront attaqués. », Coran, II, 193.
- « S’ils penchent pour la paix, accepte-la! », Coran, VIII, 61.
- « S’ils se tiennent à l’écart, sans vous combattre et en vous offrant la paix, Allah ne vous donne aucune raison de les inquiéter. », Coran, IV, 90.
- Allah ne vous interdit pas de traiter avec bienveillance et équité ceux qui ne vous ont pas combattus en raison de votre foi et qui ne vous ont pas expulsés de vos foyers. Allah aime les hommes équitables. Il vous interdit seulement d’être les alliés de ceux qui vous ont combattus à cause de votre foi… », Coran, LX, 8-9.
Ces versets, parmi d’autres, confirment que la guerre sainte n’est autorisée qu’en cas de défense, et non pour implanter l’Islam et chasser les infidèles. Cet argument est renforcé par le fait que la relation entre les musulmans et les autres à La Mecque a duré plus de 13 ans sur des bases pacifiques, tout en leur permettant de conserver leurs rapports sociaux, financiers et familiaux. De plus, les croyants n’ont pas déclaré la guerre aux autres à cause de leur infidélité, au contraire, ce sont les autres qui ont été les premiers à combattre l’appel islamique en s’y opposant farouchement, et l’ordre divin de combattre les infidèles n’a été donné qu’après l’instauration de l’Etat islamique à Médine. Ibn Abbas a déclaré que ¨ Combattez, pour la cause d’Allah, ceux qui vous combattent 4… » est sans équivoque. Le jurisconsulte Hanéfite, Aboubacar Al Jassas est favorable à cette opinion lorsqu’il affirme, en commentant ce verset, que ¨l’ordre de combattre les infidèles est dicté par des conditions bien définies, telle que l’agression, de façon à ce que ledit ordre soit une consécration d’une règle bien connue, claire et univoque dont on ne peut pas se passer dans nos rapports avec les autres… Il est donc clair que l’ordre n’a pas été donné pour combattre tout le monde, et partant il n’est pas général, et ce qui n’est pas général a toujours besoin d’en clarifier la portée5.¨ C’est également, le point de vue de Cheikh Al Islam Ibn Taymiyah.
Deuxièmement: jurisprudence exigeant la guerre sainte :¨attaquer l’autre¨
La guerre est un concept authentiquement islamique qui vise à répliquer à l’agression, à protéger l’entité islamique, à se défendre et à défendre les siens et la patrie, mais aussi, à défendre les opprimés et les couches vulnérables. Les jurisconsultes ont depuis toujours divisé la guerre sainte en deux niveaux distincts:
- Une guerre sainte défensive
- Et une guerre sainte offensive.
La première n’a pas posé de problème, car tout le monde est unanime sur la légitimité de l’autodéfense, tandis que la guerre offensive a fait l’objet de beaucoup de polémique parmi les jurisconsultes qui se sont divisés à son propos en deux tendances :
- La première tendance comprend la majorité des érudits – anciens et contemporains – en plus de certains penseurs dont Sayid Koutoub. Ceux – là jugent que l’invasion des territoires non islamiques (terre d’infidélité) constitue une obligation sacrée, mais s’agit – il d’un devoir individuel ou d’adéquation ? Selon les jurisprudences de ce courant, le guide (imam) a l’obligation d’organiser une incursion annuelle contre les ennemis sous sa supervision ou sous celle de son suppléant afin de les appeler à se convertir à l’Islam faute de quoi ils sont forcés à payer le tribut d’aljizia7. Cela prouve que la guerre offensive vise à conquérir les territoires non islamiques pour :
- Faire chuter les régimes en place
- Imposer un tribut aux peuples qui acceptent de vivre sous le drapeau de l’Islam
- L’appropriation de leurs terres pour les transformer en terre d’Islam, tout en faisant la part des choses entre une terre conquise par la force et une autre conquise pacifiquement. On en déduit que la guerre offensive ne laisse aux infidèles que trois choix :
- La conversion à l’Islam
- Le paiement du tribut
- L’entrée en guerre contre les armées islamiques.
- La deuxième tendance, quant à elle, comprend la majorité des penseurs islamiques et certains jurisconsultes contemporains. Ils ont purement et simplement nié tout fondement de la guerre sainte offensive, arguant que l’Islam n’admet qu’une seule forme de guerre, en l’occurrence, celle dont l’objectif est de se défendre contre les agressions d’où qu’elles viennent. Et pour appuyer leur thèse, ils prétendent que les guerres du temps du Prophète (paix et salut sur lui) et ses disciples qui lui ont succédé, étaient dictées par la simple nécessité de défendre la terre de l’Islam8, avançant comme preuves les versets coraniques en la matière, dont certains ont été cités plus haut.
Il est clair, aujourd’hui, que la guerre sainte offensive n’est plus compatible avec l’état actuel des choses en matière de relations internationales où tous les pays possèdent des frontières géographiques juridiques protégées par le droit international et reconnues par la communauté internationale, parallèlement à des lois dont l’unique objectif est de diffuser la culture de paix. D’où l’impossibilité, dans ces conditions, de s’approprier, par la force, les territoires des pays indépendants.
La logique qui a incité certains penseurs contemporains à épouser la théorie de la guerre sainte offensive les a poussés à faire l’amalgame entre le monde ancien, ouvert et dans lequel la notion de frontières internationales était trop floue pour sécuriser les pays contre des prédateurs fort gourmands, d’une part, et le nouveau monde où la communauté internationale joue le rôle du gendarme chargé de protéger le principe sacrosaint de l’intangibilité des frontières, d’autre part. C’est dire que les visées expansionnistes diffèrent dans les deux cas : dans le premier cas, l’expansion signifie la vitalité et la force, dans le deuxième cas, l’idée se perpétue tout comme le rêve de l’empire universel, mais sans vitalité ni efficacité pour devenir une simple illusion n’ayant rien à voir avec les réalités du monde contemporain. Pire, c’est une illusion qui rend impossible l’adaptation avec ce monde changeant, car l’imaginaire collectif se trouve complètement isolé par rapport à la donne objective9.
- L’infidèle est combattu pour son infidélité et non pour son agression
Les jurisconsultes se sont divisés en deux doctrines complètement différentes au sujet de la légitimité du combat de l’infidèle:
- La première juge que le combat est légitimé en tant que sanction de l’infidélité10, un mal à enrayer de la terre11, c’est le point de vue de Chafia, rapporté d’Ibn Hanbal. Les partisans de cette opinion sont allés un peu loin jusqu’à dire que ¨l’aboutissement de l’argument consiste à tuer l’infidèle, qu’il soit homme ou femme, capable de combattre ou non, incliné à la paix ou à la guerre, à la seule condition d’être majeur. La femme, elle, est tuée, non pas parce qu’elle est captive ou qu’elle est considérée comme un bien, mais, à l’instar des moines et autres, pour cause d’infidélité12¨;
- La deuxième, quant à elle, croit que les infidèles sont combattus parce qu’ils nous font la guerre, autrement dit, lorsqu’ils nous laissent la paix, nous n’aurons nullement le droit de les attaquer, c’est du moins, l’avis de la majorité des érudits de la Oumma13.
Cheikh Al Islam Ibn Taimiya est de cet avis, et d’ajouter que le Prophète (paix et salut sur lui) ¨n’a pas combattu les infidèles qui ont déclaré la trêve, qu’ils soient de Quraiš ou non, c’est ce que la plupart de ses disciples ont rapporté dans sa Sunna. Il n’a jamais commencé la guerre aux infidèles, et si Allah lui avait recommandé de tuer tous les infidèles, il aurait dû les attaquer le premier14¨. De plus, Ibn Taimiya juge que l’ordre divin : ¨ Combattez, pour la cause d’Allah, ceux qui vous combattent¨ concerne seulement ceux qui nous combattent effectivement, et d’ajouter : ¨n’agressez pas¨, autrement dit, le combat de ceux qui ne nous combattent pas est défini comme étant une agression¨15.
Parmi les érudits contemporains qui sont de cet avis l’Imam Mohamed Abou Zahra qui a écrit: ¨la plupart des érudits de la Oumma sont unanimes pour dire que le motif du combat se trouve être la défense de la nation. Nul n’est donc tué pour son opposition à l’Islam. En d’autres termes, l’individu n’est pas tué parce qu’il est infidèle, mais parce qu’il a agressé l’Islam. Les preuves en sont éloquentes¨16.
- La division du monde en deux terres : une terre d’Islam et une terre d’infidélité
Les jurisconsultes musulmans avaient – à un moment où l’Islam avait le leadership – divisé le monde autour d’eux en deux ¨maisons¨ (territoires). Cette division est toujours enseignée dans le Fiqh musulman (jurisprudence) et trouve son explication dans des conditions historiques particulières et objectives où les deux termes ont vu le jour :
- La ¨maison¨ d’Islam, qui désigne un Etat ou un territoire où les lois de la Charia sont appliquées et la majorité des habitants sont musulmans (les points de vue divergent sur ce dernier point). Une variante de cette notion se réfère à une ¨maison de convention¨, qui lie provisoirement les musulmans aux infidèles. Il s’agit, à en croire certains ulémas, d’une troisième ¨maison¨ ;
- La ¨maison¨ de guerre, qui se réfère à un territoire ou Etat gouverné par une majorité d’infidèles.
Les jurisconsultes avaient adopté, dans leur division, deux avis ou critères différents :
- Qualification de la ¨maison¨ suivant les lois et règlements qui y sont appliqués : si ces règlements sont puisés dans la Charia, la ¨maison¨ est dite d’Islam, sinon, elle ne l’est pas, même si elle est qualifiée d’islamique ;
- L’autre qualification tient compte du niveau de la sécurité du musulman en tant que tel dans un territoire donné : s’il s’y sent en sécurité la ¨maison¨ est qualifiée d’islamique, dans le cas contraire, la ¨maison¨ est dite de guerre, c’est la quintessence de la doctrine hanéfite. ¨Le critère décisif dans les deux types de classification est le niveau de sécurité ou d’insécurité du musulman¨, a écrit Al Kassani, un disciple d’Abou Hanifa. Ainsi, la qualification de la ¨maison¨ d’Islam ou de guerre ne se réfère pas à l’Islam ni à l’infidélité en tant que tels, mais elle s’intéresse au niveau de la sécurité ou de l’insécurité¨17. Commentant cet avis, Cheikh Abou Zahra dit: ¨si des lois internationales garantissant la sécurité de l’individu où qu’il se trouve sont adoptées sans qu’il y ait des pactes ou des alliances particuliers, Abou Hanifa ne qualifie pas ce type de territoire de ¨maison¨ de guerre¨18.
Bon nombre de jurisconsultes en ont déduit des règles extrêmement dangereuses dont :
- Il est permis de tuer l’infidèle dans la ¨maison¨ de guerre nonobstant son innocence. Ibn Kathir a rapporté que les ulémas sont unanimes sur le fait que l’infidèle ne doit pas se sentir en sécurité quoiqu’il fasse pour montrer son pacifisme, à moins qu’il ne bénéficie des privilèges accordés aux non – musulmans vivant sous le drapeau de l’Islam¨19. D’autre part, Al Kourtoubi affirme que le musulman a le droit de tuer l’infidèle qui ne bénéficie de tels privilèges20;
- Il est permis de s’approprier les biens des infidèles se trouvant dans la ¨maison¨ de guerre, voire même les voler21. Le malékite Ibn Al Kassam a autorisé les musulmans, une fois en terre de guerre, de voler les biens des infidèles22. Ce point de vue est partagé par les Hanéfites qui admettent que si le ¨musulman qui rentre en toute sécurité en terre de guerre et accapare les biens des infidèles sans leur consentement pour les apporter chez lui en terre d’Islam, alors ces biens font désormais partie intégrante de son patrimoine¨23. La raison en est que les biens légalement possédés sont ceux qui se trouvant en terre d’Islam ; quant aux autres situés en terre de guerre, ils sont illégalement acquis, et par conséquent, il est permis aux musulmans d’en déposséder les propriétaires¨24.
En réalité, ces raisonnements n’ont rien à voir avec le précepte de l’Islam, qui est une religion valable pour tous temps et lieux, ce qui se traduit dans le fait par ses possibilités d’adaptation à tous les systèmes socio-économiques où qu’ils se trouvent.
Mais, au de-là de cette réalité immuable, il faut admettre que les sociétés islamiques de nos jours sont subdivisées en plusieurs Etats, ce qui fait qu’un Etat musulman peut avoir de bonnes relations avec un Etat non musulman, d’une part et des rapports tendus avec un autre pays musulman, d’autre part. Ainsi l’Imam Abou Zahra déclare que¨ ces raisonnements sont justifiés par la réalité vécue et non par la Charia, (la loi islamique)¨.25
A ce propos, Dr. Mohamed Selim Al Awa est allé beaucoup plus loin en affirmant que ¨l’opinion soutenue par la jurisprudence moderne est que ces raisonnements sont tombés en désuétude, et qu’il est désormais nécessaire, pour les jurisconsultes, de s’imprégner davantage de ce qui se trame en matière de relations internationales contemporaines pour en dégager ce qui est légal de ce qui ne l’est pas à la lumière de la Charia¨.26 De plus, ces raisons remontent à une période de l’histoire où il n’y avait pas d’armées régulières, mais des armées de civils qui assuraient cette mission.
E- Jurisprudence interdisant de signer un accord de paix permanent avec les infidèles
Parmi les questions jurisprudentielles retenues comme cause intellectuelle de la violence et de l’extrémisme, l’interdiction de signer un accord de paix permanent avec les ¨infidèles¨. Ce point de vue a été soutenu par nombre d’anciens érudits musulmans, arguant qu’un tel accord est de nature à porter préjudice à la guerre sainte (jihad). Quoiqu’il en soit, ils ont fixé trois (3) conditions pour justifier un tel acte :
- L’existence d’un besoin pressant, tel que l’impuissance des musulmans ou la superpuissance de leurs ennemis, (il y a, cependant, des érudits qui ont autorisé une telle décision si cela servirait l’intérêt général de la Oumma islamique) ;
- La limitation de la trêve avec les infidèles dans le temps. Et si le ¨Chef conclut une trêve permanente avec les infidèles, ces érudits considère un tel acte comme nul et non avenu¨ ;
- L’obtention d’intérêts matériels pour les musulmans.
Al Shawkani a dit : ¨ce qui a été rapporté au sujet de la guerre contre les infidèles ou la paix avec eux, constitue une opinion dépassée – à l’unanimité par les musulmans – en adoptant l’avis qui recommande aux croyants de combattre les infidèles et de les pourchasser à l’intérieur de leurs territoires dès que les conditions sont réunies pour cela¨.27
Les Shaféites, de leur côté, sont allés un peu plus loin pour affirmer que la trêve avec les infidèles ne doit, en aucun cas, dépasser une période de quatre (4) mois, un délai beaucoup plus court que celui fixé par les trois autres Imams, qui est de dix (10) ans, juste la durée fixée par le Prophète (paix et salut sur lui) pour les Mecquois à l’issue de la conclusion de la trêve de Houdeibiya28. Siddiq Hassan Khan, quant à lui, justifie cet avis en disant que ¨Allah, le tout-puissant, nous a recommandé de combattre les infidèles. Il est, donc, interdit de signer un quelconque accord de paix avec eux sans contrepartie, tel que le paiement d’un tribut (jizia). Mais, comme cela a été fait par le Prophète (paix et salut sur lui), il est alors permis dans les limites de la période fixée par la trêve, et non au de-là, comme initialement recommandé, c’est – à – dire, le combat des infidèles¨.29
Indéniablement, ce point de vue fixe comme prémisses :
- Initialement, la relation entre les musulmans et les infidèles était fondée sur la guerre et non la paix. Alors, la conclusion d’accords de paix devrait être perçue comme étant une exception provisoire évaluée en fonction du besoin, et puis la relation revient à son origine, en l’occurrence, la guerre ;
- L’objectif de la guerre, du point de vue de l’Islam, n’est pas seulement la défense et l’affrontement de l’agression, mais surtout, la conquête et l’occupation des autres territoires pour élargir l’étendue de l’aire de l’Etat musulman.
F- La non protection du sang et des biens des infidèles
Parmi les jurisprudences considérées comme cause intellectuelle de la violence l’affirmation que le sang et les biens des infidèles ne sont pas protégés, exception faite de ceux qui bénéficient de privilèges protectifs. Sur ce point, les érudits se sont divisés en deux groupes :
Le premier : le sang et les biens des infidèles (combattants) ne sont pas protégés. C’est l’avis de la majorité des érudits, qui affirment que le sang des non-musulmans est autorisé dans les territoires non islamisés. Ce consensus est relaté par Abou Jaafar qui dit qu’Allah a autorisé le combat des infidèles pendant les mois sacrés et les autres mois de l’année. ¨Ainsi il ya un consensus sur le fait que l’infidèle qui entoure son cou et ses bras d’un voile tissé des arbres de la Meque n’est pas immunisé s’il ne bénéficie pas de privilèges protectifs¨30. Et Sarkhassi d’ajouter :¨le combattant dans le territoire de combat est assimilé à un mort pour les musulmans¨31. Par ailleurs, Al Kourtoubi a bien dit, dans son ¨Exégèse¨ que ¨le musulman, s’il rencontre un infidèle non protégé par un accord, il peut le tuer¨32. Al Rafia, de son côté, dit que ¨le musulman, s’il s’approprie des biens – en territoire de combat – sous la forme d’un acte de vol, ils deviennent les siens, car les biens du combattant ne sont pas protégés puisqu’étant non légalement possédés, ils deviennent un butin normalement acquis¨33.
Quant à l’érudit, Al Shawkani, il a autorisé le musulman à tromper et à trahir ceux, parmi les non – musulmans, qui l’auront assuré : ¨les deux assurances sont différentes tant au niveau de la Charia qu’au niveau de la raison, ou de celui de la coutume. En effet, le musulman assuré, qui rentre en terre de combat (terre des infidèles), est autorisé, non seulement, à prendre possession de tous biens dont il est capable, mais aussi de faire couler le sang des infidèles¨34.
On peut en déduire que ces érudits avaient tout simplement négligé les finalités globales de la Charia ainsi que ses objectifs généraux en ce qui concerne la nature de la relation devant lier les musulmans aux autres. Autant dire que le musulman peut gagner, à travers des rapports exemplaires avec les autres, même parmi ses ennemis les plus farouches, beaucoup plus que ce qu’il peut réaliser en usant de méthodes peu orthodoxes, tels que le vol, la trahison ou encore la tromperie..
Le deuxième : la protection du sang et des biens des infidèles
C’est la doctrine d’Ahmed Ibn Hanbal et Al Awzai, une doctrine aux antipodes des idées du premier groupe. Pour ces érudits, il n’est pas seulement formellement interdit de s’approprier les biens des infidèles assurés sans leur consentement, mais il faut leur restituer les biens qui leur sont spoliés¨. De son côté, Ibn Al Moundhir a abondé dans ce sens en disant que : ¨si un individu pénètre dans le territoire de non – musulmans sous l’assurance de ceux – ci, il est ainsi assuré, et vice versa. Il doit s’abstenir de les trahir, de les tromper ou de les tuer. S’il avait pris leurs biens sans leur consentement, il doit les leur restituer. S’il en emporte quelque chose avec lui, il doit le retourner, et nul n’est autorisé à l’acheter ni à le détruire puis qu’il s’agit d’un bien assuré¨. Celui qui trahit ou vole les infidèles, ou prête quelque chose de leurs biens, a le devoir de le rendre à celui chez qui il l’a pris, si les propriétaires assurés viennent en terre d’Islam, il faut le leur restituer, sinon il doit le leur envoyer puisqu’il l’avait pris à contre cœur, et c’est pourquoi il est légalement tenu de le restituer comme s’il s’agissait des biens de musulmans¨35, a écrit Ibn Koudama.
L’autorisation par le Fiqh (jurisprudence) de tuer les non – musulmans et de voler leurs biens va à l’encontre de la cohabitation pacifique les différentes composantes de la société humaine.
On remarque, dans cet ordre d’idées, que l’autorisation explicite de tuer les prisonniers de guerre, de les asservir ou de les considérer comme des non – musulmans assurés en contrepartie du tribut payé au trésor public, avec la présomption qu’une telle jurisprudence est consensuelle, n’est suivie que par quelques disciples36;
G- Abrogation et remplacement de la jurisprudence islamique
L’abrogation consiste à annuler une règle jurisprudentielle islamique instituée suivant un texte de la Charia non obligatoire qui, sans ledit texte, aurait dû être considéré comme immuable. D’ailleurs, la plupart des ulémas musulmans jugent que le concept d’abrogation et remplacement existe bel et bien dans le Saint Coran, et ils citent le verset de l’épée pour prouver leur position : ¨ Une fois expirés les quatre mois sacrés, n’hésitez pas à combattre les impies partout où vous les trouverez.¨, Coran, IX, 5. Ce verset, faut- il le rappeler, a été abrogé et remplacé par un autre verset coranique. C’est ce qui fait de ce verset une référence de base pour les groupes terroristes qui en usent et abusent pour justifier les atrocités commises, au nom de l’Islam, à l’encontre des non – musulmans. Selon ces groupes, l’abrogation a été signalée 140 fois dans 48 Sourates. Autrement dit, le verset a abrogé et remplacé tout autre verset qui parlerait de l’Islam en tant que religion de liberté, de paix et de clémence, et qu’il admet la cohabitation entre les musulmans et les adeptes d’autres religions. De plus, le verset remplace tout autre verset comportant l’une des connotations suivantes :
- Interdire l’agression contre les non – musulmans
- Ne combattre que le combattant
- Limiter la guerre sainte (jihad) à l’autodéfense
- Traiter les non – musulmans avec bonté
- Débattre avec les non – musulmans avec souplesse et respect
- Ne pas réagir aux agissements des infidèles.
Par ailleurs, ils prétendent qu’il est permis de :
- Combattre les infidèles rien que pour leur infidélité, même en l’absence de toute agression commise contre des musulmans,
- Dire que la relation entre les musulmans et les infidèles est une relation de guerre et non de paix,
- Tuer les non – musulmans et s’approprier leurs biens pour la simple raison qu’ils sont infidèles.
L’aspect le plus énigmatique de l’idéologie de la plupart des groupes qui pratiquent la violence politique est qu’ils considèrent ce verset béni comme charte où sont puisées toutes les règles de la conduite à adopter vis – a – vis des adeptes d’autres religions, et que les autres versets coraniques et paroles (Hadith) du Prophète (PAIX et salut sur lui) déclarant explicitement que la guerre sainte n’est permise qu’en cas d’agression et d’autodéfense, ont été abrogés et remplacés. Et ils ajoutent que le verset béni : ¨Combattez, pour la cause d’Allah, ceux qui vous combattent, mais évitez de transgresser. Allah n’aime pas les transgresseurs.¨ a été abrogé. Commentant ce verset, référence de la guerre en Islam, Mohamed Abou Zahra s’interroge: ¨que dit cette minorité de Shaféites au sujet du texte que nous avons cité, et qui est appuyé par d’autres abondant dans le même sens ? Ils prétendent son abrogation ou sa spécification. Mais, quand on le regarde avec plus de méditation, on se rend compte qu’il ne l’est pas, et c’est pour les raisons suivante :
Premièrement : L’abrogation exige une preuve, ce qui n’est pas le cas. Selon Ibn Taimiya, l’allégation d’abrogation exige une preuve, et il n’y a pas dans le Saint Coran, quelque chose qui contredit ce verset, au contraire, il y a des versets qui le soutiennent. Où est, donc, l’abrogation ?
Deuxièmement : Le verset contient des significations qui n’admettent pas l’abrogation. Parmi ces significations : l’interdiction d’agression, car c’est une injustice, et l’injustice est une signification prohibée dans toutes les religions, et la raison veut que tout ce qui est interdit ne peut pas être abrogé. D’ailleurs, si l’on admet l’abrogation de cette signification, cela veut dire qu’Allah permet l’injustice, ce qui n’est pas admissible à Son égard, alors l’allégation d’abrogation est invalide ;
Troisièmement : S’il était permis de tuer l’infidèle pour son infidélité et que le verset d’interdiction était abrogé, la contrainte serait permise dans la religion, et nous avons dit plus haut, que cela n’est pas exact¨37.
Conclusion :
Les érudits musulmans ont le devoir de rompre, une fois pour toutes, avec ces jurisprudences et concepts intellectuels qui sont le produit d’un moment conjoncturel de l’histoire de l’humanité et de circonstances politico – culturelles aujourd’hui dépassés par l’homme vers des horizons nouveaux, inaugurant ainsi une nouvelle ère de son histoire. D’ailleurs, ces jurisprudences ne constituent nullement des ordres divins à caractère obligatoire, ni des règles extraites des textes de la Charia jetant les bases de la relation entre les musulmans et les non – musulmans. Tout au plus, ces jurisprudences sont le reflet de conjonctures historiques particulières et d’un équilibre de force à un moment où l’Etat n’avait pas de frontières définies, où la citoyenneté n’avait pas de sens, et où les droits de l’homme étaient tout sauf protégés, un moment où les frontières géographiques des Etats étaient fonction de leur puissance militaire. Et si, par l’ironie du sort, un Etat se trouve incapable d’élargir son territoire au dépens d’un autre, il est, alors, englouti par son voisin le plus puissant.
Par contre, la paix constitue, de nos jours, une exigence recherchée par tous, et les frontières sont devenues une réalité géographique et juridique incontournable. Pour consolider ces acquis, des conventions ont été signées pour garantir la paix et la sécurité, deux conditions sine qua non pour pérenniser la cohabitation, le développement et la stabilité à l’échelle mondiale.
La sécurisation des frontières, un grand défi pour les pays du Sahel
Le cas de la Mauritanie
Colonel El Boukhary MOHAMED MOUEMEL
Introduction
De tout temps, depuis l’apparition des groupes humains, assurer la sécurisé intérieure passe par garantir un niveau suffisant de sécurité aux frontières. Les Etats n’ont fait que renforcer cette donne, perçue au fil de l’Histoire comme leur première raison d’être. Leur fonction naturelle, serions nous tentés de dire !
Cependant, aujourd’hui, malgré cette évidence apparente, sécuriser les frontières pose de gros défis, de plusieurs ordres.
Au delà des débats et controverses théoriques que suscite l’association de ces deux notions- sécurité et frontières et au-delà de leurs impacts, en terme de restriction de libertés que certains pourraient contester au nom d’une certaine morale, d’autres facteurs de complexification s’ajoutent. Ce sont, par exemple, les effets et paradoxes nés de la mondialisation et des nouvelles technologies qui interviennent pour peser de tout leur poids sur ceux qui se livrent à la réflexion dans ce domaine.
Bien qu’interprétées différemment, les incidences de ces phénomènes constituent aujourd’hui des dimensions que doivent intégrer désormais toutes les approches sécuritaires quel que soit le domaine d’activité (politique, économique, humanitaire, militaire..), ou le niveau où l’on se trouve : national, régional ou international. Avec ce caractère à la fois global et collectif, la sécurisation des frontières, dans les pays du Sahel, se trouve au centre des préoccupations stratégiques mondiales. En effet, les risques et les menaces transfrontaliers dans cette zone font de la sécurisation des frontières un axe central de stabilité et de paix dont les influences dépassent la sphère régionale, où ces défis impactent parfois fortement bien d’autres régions du monde.
A ce sujet, le cas de la Mauritanie nous servira d’exemple pour illustrer notre propos axé sur la démonstration de la dualité : ampleur des besoins/ limites des ressources, et la difficulté de son adéquation.
Pour rendre compte de la problématique, les questions abordées vont se focaliser, d’abord sur un rappel de quelques notions générales qui mettent en lumière le sens des frontières, l’objet et le contenu de leur sécurisation, ainsi que les acteurs qui en ont la charge. Comme elles indiquent ensuite comment la Mauritanie fait face à ces questions, quels sont ses défis liés à l’environnement géostratégique sahélien et arabo africain, quelle est sa vision. Préalablement à ces développements, quelques traits paradoxaux de la mondialisation nous semblent utiles à soulever pour souligner leur incidence générale sur le sujet et la complexité qui en résulte.
Mondialisation et sécurisation des frontières nationales, un paradoxe complexe à multiples facettes
Par rapport à la sécurisation des frontières, le moins que l’on puisse dire au sujet de la mondialisation est qu’elle présente un phénomène paradoxal à multiples facettes.
Avec le caractère global de ses effets positifs, la mondialisation présente incontestablement des aspects qui constituent des facteurs de liberté et rapprochement entre les Hommes et entre les Etats, des facteurs qui réduisent l’intérêt pour les frontières. Mais l’autre revers de la médaille réside dans le fait qu’elle engendre des restrictions et des cloisonnements sources potentielles de clivages, de risques et de menaces qui incitent au renforcement des frontières des pays.
Le tableau suivant soulève deux séries d’exemples pour rendre compte de ce paradoxe à multiple facettes.
La mondialisation : un paradoxe complexe à multiples « facettes »
Liberté et facteurs de rapprochement Plus de restriction et de cloisonnement
Valeurs de plus en plus partagées: respect de l’AUTRE, droits de l’homme, tolérance…
Replis identitaires : rejet de l’AUTRE, communautarisme, extrémismes, terrorisme…
Contextes favorables à la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux, de l’information…
De plus en plus de restrictions contre l’immigration, renforcement des barrières frontalières, désinformation…
Des flux toujours plus fluides, grâce notamment aux NTIC
Développement de moyens technologiques de plus en plus performants pour le contrôle des flux
Développement d’approches pour une sécurisation collective des frontières, dans un cadre régional (UE) ou international (ONU) : cas du Mali.
La capacité des Etas à assurer individuellement la sécurité de leurs frontières, un critère déterminant pour leur fiabilité: cas du Mali!
Aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, la sécurisation des frontières exige de nouvelles approches extranationales et multidimensionnelles, qui transcendent à la fois le cadre local et régional ainsi que l’espace classique strictement géographique. Nous sommes en effet en présence de phénomènes qui requièrent de surmonter les contraintes liées à la globalisation et ses paradoxes, à trouver le bon équilibre entre la sécurité nationale et la sécurité collective, entre la sécurité dans son acception classique (militaire) et la sécurité globale dans toutes ses dimensions pluridisciplinaires (politique, économiques, écologiques, militaires…). D’ailleurs, la tendance est de fusionner l’ensemble de ces notions.
Notions de frontières
Il est convenu qu’une ligne de frontière délimite le territoire d’un Etat où celui- ci exerce sa souveraineté nationale et son autorité. Faciliter sa sécurisation requiert son acceptation par tous. Séparant deux entités étatiques, elle est à sécuriser de deux côtés, par les riverains. Il faut donc être deux ou plusieurs Etats, d’où la notion de sécurité collective des frontières.
Par ailleurs, une ligne de frontière peut également séparer un ensemble d’Etats du reste du monde : cas de l’UE. Il en découle de nouveaux concepts: frontières intérieures, frontières extérieures.
Ces définitions basées sur des lignes de démarcation spatiales, exclusivement géographiques, n’intègrent pas les autres domaines de la vie humaine (histoire, culture, ethnologie…). Elles sont de ce fait sujettes à controverses. Elles restent toutefois à la base de tous les systèmes de référence, juridique et/ou politique, qui cadrent l’action des Etats et des institutions internationales en matière de gestion des frontières.
Eléments constitutifs
Les frontières sont constituées de:
– des frontières terrestres matérialisées par: des bornages, des obstacles (naturels ou artificiels), des lignes de partage des eaux quand il s’agit de fleuves, de lacs, ou de rivières ;
– des frontières maritimes avec des lignes conventionnelles variables : eaux territoriales (= 12 miles) ; zone économique exclusive (ZEE= 200 miles) ;
– des frontières aériennes: à partir de la ligne de satellisation d’un engin spatial (~ 100km d’altitude).
Ces trois dimensions constitutives des frontières, terrestres, maritimes et aériennes, sont à la fois objet et moyens de sécurisation.
Ce qui demande la mise en œuvre de systèmes complexes de surveillance et d’intervention : technologiques, matériels, humains, organisationnels…
Les définitions qui s’y rattachent sont fondées sur des notions géographiques exclusivement terriennes. L’espace extra atmosphérique y échappe. Et pourtant son rôle est aujourd’hui essentiel dans la sécurisation des espaces qui composent ces frontières, comme l’indique le schéma suivant, en (Fig.1).
Objet de la sécurisation des frontières
La sécurisation des frontières a pour objet de lutter contre les menaces et les risques transfrontaliers, venant de l’extérieur, visant l’Etat dans ses frontières intérieures, ou s’en servant comme point(s) ou base(s) de départ pour atteindre d’autres destinations ou cibles hors du territoire national. Elle a pour cibles les agents et facteurs de menaces et de risques transfrontaliers, intentionnels ou non : terrorisme, drogue, trafics illicites, catastrophes (humanitaire, écologique,
6
Satellites invisibles à l’œil nu, difficiles à détecter, à localiser
Ni frontières nationales, ni souveraineté:
Caractère ≪ non intrusif ≫:
Droit international
Avoir les capacités:
Acces, exploitation, surveillance
Applications réservées aux puissances spatiales: écoute,
Asat…
Incontournables pour la
securisation des
frontieres terre, air, mer
Souveraineté
Menaces ou risques: pollution nationale, ≪ arsenalisation ≫, emploi par terroristes et criminels (Google earth)
Frontières
Pas donné à tous les pays!
Contraintes
_ Applications disponibles sur le marché: Télédétections,
Géo localisation, communications
Espace extra atmosphérique
Avantages
Fig. 1: Espace extra atmosphérique et sécurisation des frontières
Terre:
industrielle…)… Comme elle vise à réguler et faciliter les flux transfrontaliers, conformément à la réglementation. Elle se traduit par des opérations concrètes de vérification, de détection, d’actions et de réactions.
Ses principaux outils sont pour l’essentiel constitués de forces de défense et de sécurité. En leur sein, certaines composantes sont spécialisées, leur vocation étant la sécurisation des frontières. C’est par exemple le cas des gardes frontières, des gardes côtes, des douanes… D’autres, plus «généralistes» (armée, police…), y jouent également des rôles déterminants, notamment dans les pays du Sahel. L’action de toutes ces forces, quel qu’en soit le type, doit s’inscrire dans le cadre d’une vision stratégique globale de défense et de sécurité du pays et/ou de la région considérés.
Le caractère collectif et global de la sécurité fait que ces concepts comportent des dimensions extranationales impliquant plusieurs Etats et/ou régions. Dans ce domaine, l’Union Européenne fournit présentement l’exemple le plus parlant, avec notamment ses agences FRONTEX et EUROSUR et leur coopération avec les pays méditerranéens et africains. D’autres tentatives, encore loin d’être au niveau d’efficacité requis, comme le CEMOC, existent au Sahel.
Un environnement géostratégique marqué par l’instabilité et les vulnérabilités régionales
A la fois pays arabe, musulman et africain, la Mauritanie occupe une position géostratégique intéressante dans la bande sahélienne, (Annexe 1). La sécurité de ses frontières est forcément impactée par tous les défis qui concernent ces trois mondes: arabe, musulman et africain, (Annexe 2). Sur chacun des pays de son voisinage direct, pèse une menace permanente de conflit armé, latent ou ouvert, avec, dans chaque cas, des frontières plus ou moins contestées: Casamance (au Sénégal), conflit du Nord (au Mali), Sahara Occidental : (chez les voisins du nord : Algérie, Maroc).
Un peu plus loin, au nord du continent, dans les pays qui ont connu le
Printemps arabe (Libye, Tunisie et Egypte), instabilité «postrévolutionnaire», convulsions politiques et développement des menaces terroristes constituent, avec la problématique de la réorganisation des forces de défense et de sécurité, un aspect nouveau des incertitudes de l’environnement géostratégique dans le monde arabe et musulman. A l’est et au sud-est, dans les pays sahéliens et africains, de la Guinée Equatoriale, jusqu’à la Corne de l’Afrique, en passant par le Nigeria, le Niger, le Tchad, le Soudan… des défis sécuritaires importants frappent les pays de cette région. Ils se traduisent pour beaucoup parmi eux par le fait qu’ils sont en prise directe avec les phénomènes du terrorisme, des rebellions et de la criminalité transfrontalière: narcotrafics, contrebande, migration illégale, piraterie maritime …
Données géographiques du pays : le défi de la sécurisation des frontières et l’équation difficile
La Mauritanie couvre une superficie de plus d’un million de kilomètres carrés pour une population d’un peu plus de trois millions d’habitants concentrés en grande partie au sud et au sud est du pays, (Annexe 3). Le pays compte près de 5800 km de frontières, dont plus de 750 km de façade maritime sur l’Océan Atlantique, et plus de 5000 km de frontières continentales qu’il partage avec le Sahara Occidental, l’Algérie, le Mali et le Sénégal (Annexe 4).
Ces frontières sont difficiles à surveiller et facilement franchissables. Avec de grandes élongations, elles engendrent une dispersion des ressources, résultant du déploiement de moyens sur de très longues distances pour leur surveillance. Au nord et au nord est, elles délimitent de vastes étendues désertiques sablonneuses avec parfois quelques escarpements rocailleux peu favorables à la manœuvre militaire. La densité de peuplement y est très faible, ce qui les expose aux risques de l’abandon et fait de ces zones des lieux d’attraction pour terroristes et trafiquants.
A cause de ces contraintes géographiques, les menaces et risques qui pèsent sur le pays sont lourds de conséquences. Y faire face efficacement requiert une optimisation de moyens limités pour répondre à des besoins énormes, comme le montre l’illustration cartographique suivante, en (Fig. 2).
Fig. 2: Maitriser les frontières, une équation difficile
Terrorisme
Pêche illégale Trafics illicites
Trafics illicites
Trafics illicites
Immigration
Approche globale illégale
adaptée
Menaces/ risques multiples
+
Des ressources
limitées
¯
Etendue du territoire
+
Immigration illégale
De grandes variables et/ou inconnues
L’équation est certainement laborieuse. Et cette difficulté, l’adéquation des ressources avec la demande, touche l’ensemble des pays de la bande sahélienne dont les frontières sont globalement poreuses, porteuses de menaces et risques potentiels comparables et, parfois, bien plus graves et/ou plus complexes que ceux qui touchent la Mauritanie. En face, leurs moyens de contrôle et de maîtrise des frontières sont généralement en deçà des exigences sécuritaires.
Surmonter ces contraintes requiert la mise au point d’une vision stratégique générale, prenant en compte tous les aspects de la question. Avec son caractère global, cette entreprise doit permettre aux Etats, individuellement comme collectivement, d’avoir une perception correcte des menaces et risques potentiels, d’établir une approche pluridisciplinaire et une stratégie de moyens adéquates et de relever ainsi les défis structurels en matière de conception, d’organisation, de mobilisation et d’engagement en matière de sécurisation des frontières.
Pour sa part, la Mauritanie, à l’instar d’autres Nations, a adopté depuis 2008 une approche qui s’inscrit dans cette logique. Depuis, elle sert de cadre général à l’action du gouvernement et aux institutions et intervenants en charge des questions de sécurité et de défense. Elle s’est traduite dans les faits par de nombreuses dispositions prises aux différents échelons de l’Etat, qui sont de plusieurs ordres : juridique, matériel, organisationnel, opérationnel…
Pour son volet militaire, elle a donné lieu à un déploiement d’une stratégie de moyens relativement importants avec une doctrine d’emploi des forces axée sur la sécurisation des frontières face au terrorisme et aux menaces dites asymétriques.
Elle a fait l’objet en avril 2012 d’une publication simplifiée élaborée par le
Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération, à usage public et diplomatique.
Conclusion
Aujourd’hui, dans un contexte de risques et de menaces globalisés en pleine croissance, le concept de sécurisation des frontières s’est imposé d’une manière sans précédent pour devenir un élément structurant, essentiel, dans les politiques des Etats, comme dans les relations internationales.
Dans la bande sahélienne, les besoins de faire face aux menaces et risques transnationaux en font un élément fondateur de l’analyse géopolitique, un sujet de réflexion et de débat stratégique parmi les plus riches, les plus intéressants, mais aussi les plus inachevés.
En particulier, les besoins en matière de visions stratégiques se fait sentir dans cette région du monde, tandis que l’ampleur des défis sécuritaires transfrontaliers qui s’y développent nous interpellent au moment où les moyens mis en œuvre sont souvent en deçà des besoins. Les expériences des Etats de la région méritent d’être étudiées avec soin en vue de remédier aux insuffisances.
Le cas de la Mauritanie, pays sahélien, africain et arabe, est révélateur dans cette perspective. En matière de sécurisation des frontières, ses défis (menaces, risques, contraintes) sont globalement comparables à ceux des pays du Sahel. Il constitue cependant un échantillon particulier avec sa vision stratégique en la matière. Celle-ci présente en effet un challenge qui mérite d’être mentionné.
Annexe 1: Position géographique
27°
15°
17° 05°
Annexe 2: Instabilités et vulnérabilités régionales
: Rébellion ou conflit armé;
: Tentatives avérées d’implanter ou d’activer des « cellules dormantes »
: Printemps arabe;
: Bases actives de terrorisme « salafiste »
: Trafic de drogue
: Crise institutionnelle;
: Foyer de terrorisme originel
: Piraterie maritime
Rôle des forces armées dans la sécurisation des frontièrescolonel
El Boukhary Ahmedou MOHAMED MOUEMEL- Module
“5+5 Défense- Nouakchott du 23 au 26/6/2013
La sécurisation des frontières, un grand défi pour les pays du Sahel
Colonel El Boukhary Ahmedou MOHAMED MOUEMEL Page 13
Rôle des forces armées dans la sécurisation
des frontières- colonel El Boukhary
Ahmedou MOHAMED MOUEMEL- Module
“5+5 Défense- Nouakchott du 23 au
26/6/2013
Annexe 3: Densité de la population
De 0 à 1
De 12 à 15
3 400 000 hab/
1 085 000km2
≈ 2300 km
Annexe 3: Les frontières
Frontière totale
5800 km
ZEE
270 000 km²+
Rôle des forces armées dans la sécurisation des frontières- colonel El
Boukhary Ahmedou MOHAMED MOUEMEL- Module “5+5 Défense-
Nouakchott du 23 au 26/6/2013
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La Mauritanie entre l’impasse maghrébine et le bourbier sahélien
Dr.Abdel Kader Ould Mohamed
Chercheur, Juriste, Ancien Ministre.
Introduction
L’une des constantes du discours officiel, qui n’est jamais affectée par le changement habituel du régime politique en Mauritanie, est la place de choix qu’occupe l’identité maghrébine du pays sur l’échelle des orientations politiques. Une telle orientation constitue, souvent – dans son essence – une vision politique fière de l’appartenance du pays au Grand Maghreb Arabe bâti sur l’affiliation arabo-musulmane.
En effet, l’identité maghrébine est considérée, depuis l’instauration de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), comme une référence dans un pays sahélien à cheval entre le monde arabe et l’Afrique noire1.
Il est de notoriété publique que les circonstances historiques, ayant entouré la naissance de l’Etat mauritanien, ont fait qu’il soit différent des autres pays maghrébins compte tenu de l’influence de son appartenance – sous la colonisation – à l’Afrique de l’Ouest Française (AOF). Cette affiliation aura, sans nul doute, des conséquences grandissimes sur le devenir du pays : tant sur son identité que sur le discours politique de la génération des Fondateurs.
L’héritage colonial de la Mauritanie, qui avait jusqu’à la veille de l’indépendance comme capitale politique la ville de Saint Louis (actuellement sénégalaise), l’a rendue otage de son environnement immédiat, à savoir les regroupements régionaux ouest-africains, l’union monétaire africaine dont elle fut membre jusqu’en 1973, date de la création de l’ouguiya (monnaie nationale), ainsi que la communauté économique ouest-africaine dont elle a cessé d’appartenir tout dernièrement, une décision qui a provoqué une polémique – toujours d’actualité – au sein de l’opinion publique nationale. De fait, il s’agit, aux yeux d’une certaine intelligentsia politique, d’un retrait qui porte préjudice – sans raison valable – au rôle historique de la Mauritanie, un pays pont entre le Maghreb arabe et l’Afrique noire.
Par sa position géographique, la Mauritanie appartient également aux pays du Sahel africain, un espace qui va de l’0céan atlantique à la Corne de l’Afrique, allongeant la mer rouge, une région classée parmi les plus pauvres et les moins développées du monde, à en croire ses indicateurs de développement. En effet, les données statistiques disponibles à la Banque Mondiale indiquent que le revenu/individu dans le Sahel varie entre 720$ (le Niger) et 2410$ (la Mauritanie), et le PIB, qui est de 1970$/individu est le plus bas en Afrique.
Par ailleurs, la zone du Sahel, dont la Mauritanie est partie intégrante, vit encore les séquelles de la sécheresse qui l’a frappée de plein fouet au milieu des années 1970 du siècle passé. Parmi les conséquences désastreuses de ce phénomène cyclique : la rareté des ressources hydriques, la destruction du mode de vie rural, la désertification – dont a souffert la Mauritanie, en particulier, et qui a beaucoup marqué la vie économique et sociale du pays, à la différence des autres pays maghrébins.
D’une manière générale, les pays du Sahel se caractérisent par la fragilité de la structure étatique, qui, après un demi-siècle d’indépendance, se trouvent incapables de gérer les contradictions des populations, parfois, appartenant à des horizons ethnico-culturels divers. Il est, de nos jours, dans certaines régions du Sahel, des groupes ethniques qui vivent dans des zones se trouvant hors du contrôle de toute autorité gouvernementale. L’une des manifestations de cette anomalie se trouve être les évènements vécus tout récemment par le Mali qui ont contraint des dizaines de milliers des populations de la région de choisir la Mauritanie comme terre d’asile.
Cette crise malienne a, également, dévoilé, s’il en était encore besoin, le caractère trop fragile du Sahel, déjà connu par ses sécheresses cycliques et la présence d’organisations qui entreprennent le terrorisme, le trafic d’armes, de drogues, et d’autres formes de crimes organisés.
En dépit de cet état de fait et la spécificité mauritanienne eu égard au caractère sahélien du pays ainsi que les engagements hérités du colonisateur, les autorités publiques n’ont cessé de réitérer, dans toutes les occasions, leurs orientations maghrébines et, en particulier, leur attachement ferme à la construction de l’Union du Maghreb Arabe comme choix stratégique. Des campagnes de sensibilisation ont été organisées en ce sens afin d’édifier l’opinion publique nationale sur l’importance capitale pour la Mauritanie de créer un espace maghrébin inter-complémentaire intégré.
Théoriquement, on peut dire que le discours ¨maghrébophile¨, devenu mature à la fin des années 1980 du siècle dernier dans le cadre d’une globalisation économique rationaliste, a été justifié par un choix en vogue à l’échelle mondiale, pour la mise en place de grands ensembles régionaux dynamiques.
De plus, et au de-là de la nécessité d’intégration régionale qui justifie la création de l’UMA, il existe – dans les esprits des populations de cet espace géopolitique – des indices d’une identité maghrébine commune. En effet, si l’on admet la référence du discours politique prédominant en Mauritanie à l’instar des autres pays de l’Union, on ne peut que constater que les concepts d’inter-complémentarité et d’intégration s’y occupent une place de choix. Ceci se traduit par l’omniprésence des deux vocables dans les déclarations de bonne volonté exprimées dans les annales de la coopération bilatérale comme multilatérale des cinq pays de l’Union.
Cependant, il est paradoxal, suivant cette orientation manifeste, qu’en dépit des divergences politiques qui sont, du reste, derrière l’inertie de l’Union, les pays maghrébins ont toujours, depuis 1989, réitéré leur attachement indéfectible à l’Union à travers des écrits qui, souvent, reflètent au niveau de l’opinion publique de chaque pays pris à part, une prise de conscience selon laquelle l’inter-complémentarité et l’intégration ne constituent pas seulement un choix stratégique, mais surtout, deux exigences dictées par des données objectives.
En réalité, dans un contexte de globalisation caractérisée par un rationalisme économique fondé sur l’écrasement et/ou la marginalisation des plus faibles, il devient indispensable pour les pays du Maghreb d’agir de concert aux fins de franchir un pas vers leur rêve d’intégration dans une approche globale visant à créer des grands ensembles fiables.
Au côté de l’exigence d’intégration régionale, dans un contexte de globalisation sans pitié, il y a une conviction profondément ancrée dans les esprits qui croit à l’unité du Grand Maghreb en tant que dessein que les peuples de la région aspirent d’atteindre un jour.
Mais les deux concepts d’inter-complémentarité et d’intégration, en plus de celui du Maghreb des peuples, sont intimement liés. Ce dernier traduit, sans nul doute, une réalité sociologique à laquelle les élites maghrébines ont toujours fait référence pour fonder une mémoire commune dont l’arrière-plan n’est autre que les traces indélébiles d’une histoire arabo-islamique commune datant du 11ème siècle et dont la principale caractéristique est l’intégration culturelle des peuples et des territoires de la région.
En fait, le sentiment d’appartenance à un seul ensemble a été appuyé la présence coloniale, ce qui s’est traduit, pour des générations de maghrébins, dans une communauté de destin valorisant le concept d’inter-complémentarité et d’intégration de la région, mais aussi, l’aspiration idéaliste à un niveau de solidarité entre les peuples du Maghreb.
Suivant cette optique, l’inter-complémentarité et l’intégration apparaissent comme l’aboutissement logique d’une réalité historique incontournable. C’est pourquoi l’unité culturelle du Maghreb arabe a été retenue comme une revendication dans le préambule de la Convention signée à Marrakech, le17 février 1989, par les dirigeants des pays du Maghreb. Et à la fin dudit préambule, on fait mention de ¨l’histoire, la religion et la langue¨ comme dénominateurs communs justifiant la nécessité de réaliser l’intégration, dans tous domaines, entre les pays membres de l’Union.
Certes, ces divers critères, politique, économique et culturel, auxquels s’ajoute le facteur social conjoncturel lié à l’affluence de migrants, sont, pris ensemble, de nature à enclencher une dynamique d’inter-complémentarité et d’intégration. Mais, vu la modestie des réalisations déjà à l’actif de l’UMA, très en deçà des aspirations légitimes des peuples, on peut s’interroger sur la viabilité de la dynamique elle-même.
Interrogation sur la viabilité de l’inter-complémentarité et de l’intégration magrébines
La première idée qui vient à l’esprit des spécialistes intéressés par la problématique de l’inter-complémentarité et de l’intégration magrébines, se réfère nécessairement au gap qui sépare l’ambition déclarée et la réalité vécue. Ce sentiment naturel se nourrit de l’idée répandue indiquant un « état de stagnation » qui paralyse l’UMA. En effet, depuis quelques années, les écrits se sont multipliés au sujet de ce regroupement sous-régional, lesquels écrits dépassent parfois les limites de l’ordinaire, du moins celles du pessimisme.
Au moment où certains considèrent que ce regroupement, qui vise l’inter-complémentarité et l’intégration magrébines, est mort-né, d’autres, moins pessimistes, jugent que le projet magrébin occupe, au niveau des intentions déclarées par les pays membres, une place que ne reflètent nullement l’état de la coopération commune existant dans ce cadre. 3
Mais, le blocage de ce processus d’inter-complémentarité et d’intégration magrébines empêche la concrétisation du sentiment d’appartenance à un ensemble inter-complémentaire voire un sentiment de frustration. Un tel pessimisme est justifié si l’on se rend compte que d’autres processus similaires enregistrent des succès ailleurs dans le monde.
Quels que soient les arguments avancés pour justifier ce retard (conflits entre pays, blocage administratif, commerce intermaghrébin, etc.), l’opinion dominante est que l’inter-complémentarité et l’intégration maghrébines promises par l’exemple maghrébin ne sont que des slogans politiques qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe dans la région. Ce cliché, qui entame sérieusement la crédibilité du fondement économique de l’UMA, est de nature à mettre en question les intentions déclarées visant à faire du Maghreb Arabe un espace de solidarité réel.
En fait, la mise sur pied d’une structure économico-sociale, conformément aux objectifs de l’inter-complémentarité et de l’intégration maghrébines, requiert des programmes économiques concertés, en plus de politiques fiscales, douanières et administratives harmonisées, ce qui, à nos jours, apparait assez compliqué si l’on tient compte des différences qu’il y a dans les méthodes de gestion économique dans les différents pays maghrébins.4
Sur ce plan, il est évident que la crise d’inter-complémentarité et d’intégration maghrébines soit le reflet des écarts économico-sociaux de l’UMA. En conséquence, il est opportun de s’interroger sur les politiques adoptées dans ces domaines, tant sur le plan théorique (définition des concepts), que pratique (l’adéquation des plans théoriques avec les réalités).
Pour ce qui est du facteur culturel, justifié par l’appartenance à un même groupe linguistique et religieux, et qui est de nature à permettre une bonne exploitation du patrimoine maghrébin commun 5, il n’était pas, hélas, jusqu’ici un élément essentiel dans le processus d’inter-complémentarité et d’intégration entre les pays, alors que ces deux facteurs, dans leurs différentes dimensions, demeurent, au final, tributaires des fluctuations politiques.
Faut-il rappeler, ici, que l’UMA fait partie d’un espace très vaste, à savoir, l’espace arabo-islamique, sans, toutefois, fermer les yeux sur les spécificités culturelles et géographiques propres aux populations du Maghreb.
L’inter-complémentarité et l’intégration à l’épreuve de la volonté politique
Le conseil des ministres des affaires étrangères de l’UMA n’a cessé, depuis plus de deux décennies, de réitérer, à l’issue de ses différentes sessions « sa volonté de poursuivre les préparatifs intenses pour la tenue de la 7ème session du conseil de la présidence dans les meilleurs délais, un rendez-vous tant attendu par les Maghrébins, car il représente un événement riche en symbolisme pour ce qui est du devenir de la construction maghrébine ». 6 il est devenu, dans cet ordre d’idées, une habitude que les agences nationales d’information saisissent l’opportunité de la tenue des dites sessions pour rappeler que « l’UMA, créée en février 1989 par l’Algérie, la Mauritanie, la Libye, la Tunisie et le Maroc, a échoué à plusieurs reprises à tenir son sommet annuel ordinaire ».7
Certes, l’handicap majeur qui entrave l’action de l’UMA n’est autre que son impuissance à « concrétiser, sur le terrain, ses propres objectifs pour devenir ainsi un regroupement mieux intégré et plus efficace ».8. En effet, le conseil de la présidence de l’Union, formé des chefs d’état des 5 pays, et qui est « l’instance suprême », seule habilitée à décider et ses décisions sont prises à l’unanimité, constitue, en réalité, l’handicap le plus important. En conséquence, l’UMA, initialement créée en tant qu’union entre pays, a continué à alimenter les ambitions de réaliser un Maghreb inter-complémentaire et intégré, avant que de telles attentes ne soient sacrifiées sur l’autel des différences politiques des pays membres.
En dépit des mutations radicales qui ont accompagné ce qu’on a appelé « le printemps arabe », la question de la tenue du sommet appelé par pessimisme « sommet de Sisyphe » demeure entièrement posée, car les tentatives menées tout récemment ont toutes échoué à mettre un terme à l’impasse politique qui freine le projet d’inter-complémentarité et d’intégration maghrébines.
Il faut noter, cependant, qu’en dépit de l’impasse politique, les pays maghrébins ont toujours réitéré leur attachement à l’Union. Ils ont, en plus, consacré un discours autour de l’idée d’intégration qui doit encourager à développer une conscience nationale au niveau de l’ensemble des pays de l’Union. L’ambition d’une telle conscience est de réaliser, un jour, l’unité maghrébine. Il faut signaler, ici, que les sondages réalisés dans certains pays maghrébins par des chercheurs indépendants 9 indiquent que, malgré le sentiment de déception quasi généralisée, la majorité des personnes sondées avouent leur attachement à l’UMA considérée comme étant un moyen indispensable d’inter-complémentarité et d’intégration maghrébines.
Pour ce qui est des handicaps qui freinent l’intégration maghrébine, la question toujours posée parmi les milieux concernés par le dossier, est la suivante : les pays maghrébins doivent-ils attendre la réconciliation politique pour réaliser les objectifs d’inter-complémentarité et d’intégration économique, culturelle et sociale ? Le moins qu’on puisse dire est qu’une telle interrogation reflète le bon sens qui ne laisse devant les pays maghrébins, au moment où ils font face au défi d’un environnement international trouble, autre choix que de trouver un terrain d’entente malgré les désaccords politiques sur le « réalisable ».
Le Maghreb Arabe, une réclamation européenne
De nos jours, tous les indices montrent que le contexte international, caractérisé par des défis multiples tels le terrorisme, le déficit énergétique et les vagues de migrants clandestins, conduit à l’adoption de la logique d’inter-complémentarité et d’intégration.
Au plan des principes, la situation devait conduire les partenaires étrangers de l’UMA à entreprendre des efforts efficaces en vue d’encourager le processus d’intégration. Partant de ce point de vue, l’inter-complémentarité et l’intégration apparaissent souvent comme une résultante des diktats étrangers.
Toutefois, et en dépit des cadres de consultation incitant à l’intégration économique, on remarque que les résultats escomptés du partenariat euro – maghrébin sont insignifiants à cause notamment, du fait que le dialogue se focalise sur des questions sécuritaires de haut risque comme le terrorisme ou sociales complexes comme la lutte contre la migration clandestine, ou culturelles sensibles comme le dialogue des religions, et néglige les autres aspects. Pire, le dialogue n’encourage que la vision sécuritaire du processus d’inter-complémentarité et d’intégration.
En outre, s’il existe, au plan de la théorie, un consensus exigeant que le partenariat s’intègre dans une logique multidimensionnelle (économique, sociale, culturelle), alors la réalité vécue reflète une ouverture limitée des Européens sur le Maghreb. C’est dans ce cadre que les objectifs actuels des Européens se limitent à réaliser un partenariat commercial tout en adoptant des politiques fermes vis-à-vis de la question de migration.
Face à ce partenaire privilégié du Maghreb Arabe, aujourd’hui plutôt orienté vers l’Europe orientale, tout en surveillant de près ses frontières du Sud, les cinq pays du Maghreb ont adopté, depuis plusieurs années, un style de traitement diplomatique appelé ¨l’unité dans le cadre du dialogue 5+5 couronné pat la tenue du sommet de Tunis, en décembre 2003. Au cours des préparatifs de ce sommet, les pays membres de l’Union ont montré, malgré leurs divergences politiques, une très grande unité traduite par la concordance des positions par rapport aux résultats attendus du partenariat avec l’Europe.
Mais, le sentiment qui prévaut, aujourd’hui, est que le fervent désir d’unité – s’il existe – était circonstanciel et éphémère, et que les pays maghrébins, qui, aujourd’hui, participent individuellement aux différentes rencontres régionales – alors qu’ils peuvent tirer profit de divers partenariats – paient le lourd tribut de la désunion. De ce point de vue, les pays de l’UMA, confrontés aux défis d’une mondialisation farouche dont on peut citer, entre autres, le climat d’instabilité, la migration, l’hégémonie de macro-économies, l’incompréhension, sont, donc, contraints de défendre d’urgence – et de façon concertée au cours des pourparlers sur le partenariat – leurs intérêts communs.
Appel du Sahel
Parallèlement à l’impasse du Maghreb traduite sur le terrain par l’immobilisme de l’Union, par rapport au projet d’intégration, depuis le début des années 1990 suite à la crise algérienne, il y a un climat d’insécurité générale qui secoue la région du Sahel de fond en comble. Cette région déjà sinistrée, a constitué un abri sûr pour les groupes armés illégaux poursuivis par la justice des pays de la région et des contrebandiers venus de tous bords. Etant donné cette situation, les européens ont fait comprendre que la priorité doit être accordée aux aspects sécuritaires (lutte contre le terrorisme et la migration clandestine), compte tenu des changements profonds qui ont bouleversé la donne dans la région.
Dans de tel contexte, la Mauritanie s’est trouvée face au terrorisme à l’intérieur de son territoire comme au niveau de ses frontières. Elle a, ainsi, connu des attaques terroristes inaugurées par celle de Lemghetti en 2004, au cours de laquelle plusieurs soldats ont été égorgés. D’autres attaques étaient perpétrées à Tourine, à Al gallawiya, à Aleg, et même à Nouakchott, la capitale, entre 2007 et 2008.
Au côté du terrorisme, la Mauritanie a été contrainte de jouer un rôle principal dans la lutte contre la migration clandestine vu sa proximité des Îles de Canaris (en Espagne), mais aussi son étendue territoriale très vaste qui a servi de passage de milliers d’africains se rendant en Europe via le Maroc. Ce phénomène s’est accentué après la construction de la route reliant Nouakchott à Nouadhibou qui a connu, depuis la mi-2000, une affluence accrue des migrants clandestins. Ces migrants, de diverses nationalités africaines, ont, pendant un certain moment, envahi les quartiers résidentiels de Nouadhibou, juste un repos de combattant avant de prendre le large sur ou ¨sous¨ les bateaux européens en rade au port de pêche de la ville.
La gravité de la situation a, alors, conduit à un accord bilatéral entre les deux gouvernements mauritanien et espagnole par lequel les autorités mauritaniennes s’engagent à arrêter, avec l’assistance des gardes de côtes espagnoles, toute personne qui enfreint les lois de la migration. Cet accord a, par ailleurs, conduit la Mauritanie, bon gré mal gré, à céder certains rôles et prérogatives de souveraineté relatifs à la défense de son intégrité territoriale.
D’autre part, l’accord a fat l’objet de vives critiques de la part des organisations des droits de l’homme qui ont fustigé les conditions qui ont entouré la mise en place d’une prison en territoire mauritanien destinée à accueillir les prisonniers africains. D’ailleurs, cette prison jouit d’une très mauvaise réputation rien que parce qu’elle porte ne nom de Guantanamou.
Certes, les soucis sécuritaires relatifs à la lutte contre le terrorisme et la migration clandestine qui ont dominé les discussions euro – maghrébines dans le cadre du dialogue 5+5 notamment, sont devenus un axe essentiel dans les deux volets interne et externe de la politique mauritanienne, surtout après l’aggravation de la crise du Sahel.
Grâce à sa position stratégique dans la région du sahel, la Mauritanie est devenue un élément clef dans les arrangements et les solutions parrainés par les européens en vue de sécuriser leurs frontières contre les vagues de migrants africains. C’est, d’ailleurs, ce qui explique le rôle croissant qu’elle a joué tout dernièrement en matière de lutte contre le terrorisme sur ses frontières communes avec le voisin malien. Toutefois, les incursions menées en territoire malien contre les groupes armés ont suscité de vives critiques au sein de l’opinion publique qui a accusé le gouvernement de faire la guerre en lieu et place de la France, tandis que le gouvernement considère qu’il s’agit d’une opération préventive visant à sécuriser ses frontières en poussant les groupes armés à s’éloigner desdites frontières.
Quoiqu’il en soit, la Mauritanie a bien joué un rôle prépondérant dans la crise malienne avant l’intervention française sous la houlette de la communauté internationale dans le but avoué de chasser le terrorisme et permettre le recouvrement de la souveraineté du Mali sur son intégrité territoriale.
Etant donné cette situation et la crise déclenchée par ce qu’on a convenu d’appeler ¨le printemps arabe¨, surtout après la chute du régime libyen dont le rôle était décisif en matière de lutte contre le terrorisme, la Mauritanie s’est forgée une place de choix en matière d’arrangements sécuritaires au Sahel, tout en se transformant en un partenaire incontournable en dépit de son appartenance aux regroupements cités plus haut.
On peut affirmer, dans cet ordre d’idée, que la Mauritanie, qui appartient à l’UMA et aux organisations régionales (regroupement des pays du Sahel, le comité des pays du Sahel sur la crise alimentaire), est obligée de rechercher ses intérêts stratégiques nonobstant les bonnes intentions affichées, de part et d’autre, en vue de réaliser le strict minimum d’intégration et d’inter-complémentarité. Car, aujourd’hui, on observe, non sans amertume, l’impasse due au blocage du train de l’UMA, au moment où la crise du Sahel africain se complique de jour en jour sans qu’il y ait le moindre espoir, jusqu’ici en tout cas, de voir une lueur au bout du tunnel. Alors, que faire ?
Si les orientations, en matière de politique régionale, de la Mauritanie sont perçues comme étant une exigence dictée par les circonstances géopolitiques changeantes, la situation actuelle nécessite, sur le plan pratique, la définition des priorités et l’adoption d’une politique qui tient compte du besoin urgent d’un développement durable.
Il est, désormais, claire que les traitements à dominante sécuritaire ont échoué à porter des solutions aux problèmes posés par la présence des groupes armés et la ramifications des réseaux contrebandiers dans la région. Par conséquent, la Mauritanie doit chercher les voies et moyens à même de garantir ses intérêts dans le cadre de ses discussions avec les européens. Faut – il souligner que, dans ce domaine, la Mauritanie peut se vanter de son expérience avec l’UE qui est l’un de ses principaux partenaires au développement. En réalité, les relations entre les deux parties se sont concrétisées par des conventions dont la plus célèbre, et la dernière en date, est celle qui concerne la pêche, signée à l’issue de pourparlers assez difficiles qui ont suscité beaucoup de polémique dans certains pays dont l’Espagne qui a connu des émeutes parfois violentes contre des aspects donnés de ce contrat. Ces pourparlers ont démontré que le partenariat liant la Mauritanie à l’Union européenne tient en compte la nécessité de protéger les ressources halieutiques et l’environnement des pays pauvres. Et à l’image de cet arrangement, la Mauritanie doit récolter le prix de son éminent rôle dans la lutte contre le terrorisme et la migration clandestine à travers la mise en place d’un partenariat au service de la sécurité et la stabilité au Sahel. Dans ce cadre, la révision du statut et du rôle de l’organisation pour la mise en valeur du fleuve du Sénégal, qui regroupe la Mauritanie, le Sénégal, le Mali et la Guinée, afin de prendre en charge une ¨mission de développement exceptionnelle¨ dans le domaine de l’autosuffisance alimentaire (le domaine agro-pastoral), en plus de l’énergie. Ces aspects font partie des priorités qui, aujourd’hui, revêtent un caractère d’urgence.
Au moment où l’UMA est bloquée et les gouvernements sont impuissants à avancer d’un cran sur le chemin de la réalisation des objectifs déclarés, les organisations de la société civile mauritaniennes doivent conjuguer les efforts – en étroite collaboration avec leurs sœurs maghrébines – afin d’exercer davantage de lobbying sur les gouvernements pour les obliger, au final, à réaliser les promesses tant attendues.
Le phénomène d’instabilité politique dans certains pays saharo-sahéliens : causes et effets.
Par: Dr. Mohamedou O/ Med El Moctar,
Professeur de droit public/Université de Nouakchott.
Directeur du centre universitaire de publication
Notre intérêt pour le phénomène d’instabilité se limitera à la région communément appelée la ¨région saharo-sahélienne¨, comprenant sept pays: la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, le Soudan et l’Erythrée, sans oublier que le concept peut couvrir une zone beaucoup plus vaste, ce qui le rend flou ou portant à confusion, notamment après la création du Regroupement des Pays Saharo-sahéliens (S+S) aux caractéristiques politiques, géographiques et économiques plus larges.
Etant donné que l’instabilité politique constitue une caractéristique quasi inhérente à l’Etat en Afrique, le diagnostic des principales causes du phénomène et son impact négatif sont le mobile derrière notre intérêt pour ce sujet, dans le but d’en débattre, d’une part, et de jeter plus de lumière sur ses différents aspects, d’autre part. Dans cet ordre d’idées, on avance que le premier indice d’instabilité politique dans la plupart des pays africains se trouve être la propagation et la prévalence du phénomène de coups d’Etat militaires. Mais, qu’est-ce qui explique ce phénomène en Afrique d’une manière générale, et sa répétition de façon saisissante dans les sept pays objet de la présente, en particulier. Quelles en sont les causes directes et indirectes ? Quel est son impact potentiel sur l’Etat et la société ?
La région saharo-sahélienne : une histoire de coups d’Etat et d’instabilité politique.
Pour illustrer cet état de fait, on note les propos anecdotiques de l’ex-président égyptien A. Sadat, connu pour son refus de prendre part aux sommets des chefs d’Etat africains, se contentant de se faire représenter par ses collaborateurs qui lui signalent souvent que ses pairs africains n’apprécient pas son attitude, ¨les Chefs d’Etat gênés par mon absence ne resteront pas au pouvoir jusqu’au sommet suivant, ils seront renversés par des coups d’Etat militaires, ils n’ont qu’à tremper de magnificence… Ces évènements sont fréquents… il ne faut pas avoir de souci..¨.
Les propos de l’ex-raïs prouvent que le phénomène des coups d’Etat militaires est le trait le plus saillant de l’instabilité politique partout en Afrique. En effet, le continent a enregistré, entre 1952 et 2013, plus de 240 tentatives de coups d’Etat, dont 87 ont abouti au renversement du pouvoir en place, soit, en moyenne, 9 coups d’Etat ou tentatives de coup d’Etat/an.
Cependant, il est vraiment bidonnant que l’Egypte soit le premier pays africain à connaître ce phénomène avec l’avènement des ¨Officiers Libres¨ et le dernier pays à le vivre avec le putsch du 3 juin 2013 dirigé par le Maréchal A. Sissi.
Quant aux pays saharo-sahéliens, objet de mon intervention, ils ont enregistré, à eux seuls, 25 coups d’Etat réussis, soit le 1/3 des coups réussis sur l’ensemble du continent, en plus d’une multitude de tentatives échouées. Ce palmarès est ainsi détaillé:
- Le Tchad a connu 4 coups d’Etat : le premier, en 1975, dirigé par N. Odingar, tandis que le dernier, en 1990, a été dirigé par I. Deby,
- Même l’Erythrée, indépendante depuis seulement 1991, n’est pas en reste. Elle a connu, le 21 janvier 2013, une tentative de coup d’Etat avortée, lorsque la TV nationale a suspendu ses programmes habituels pour laisser la place à un journaliste qui a lu un communiqué adressé au peuple érythréen. Le communiqué promet la libération des prisonniers politiques, la réhabilitation de la constitution suspendue depuis 1997, et ce avant son interruption brusque et le retour de la vie à la normale. Mais, l’Erythrée, gouvernée par un régime totalitaire qui refuse toute ouverture démocratique, peut, à tout moment, connaître une nouvelle tentative de coup d’Etat ;
- Le Burkina Faso, de son côté, a connu, entre 1980 et 1987 quatre (4) coups d’Etat. Le premier a renversé le Président A. Lamizana au pouvoir depuis 1966, tandis que le dernier a eu lieu en 1987 et a mis fin au pouvoir de T. Sankara tué par inadvertance selon l’instigateur du coup Mr B. Compaoré ;
- Quant au Soudan, pays arabo-africain devenu indépendant de l’Angleterre en 1956, il a enregistré cinq (5) coups d’Etat militaires : le premier, en 1958, a été dirigé par I. Abboud, alors que le dernier, en 1989, connu sous l’appellation très euphémistique de la ¨révolution du salut¨, a été dirigé par O. Bechir ;
- Le Mali n’est pas en reste puisqu’il a connu trois (3) coups d’Etat réussis dont le plus récent est celui du 22 mars 2012 dirigé par A. Sanogho qui a renversé le régime de l’ex-président A.T. Touré. Quant au premier coup, il a eu lieu en 1968 ;
- La Mauritanie, de son côté, a eu son lot de coups d’Etat militaires. En effet, ce pays a vécu six (6) coups réussis dont le dernier en date est celui produit en 2008 dirigé par le Général Mohamed Ould Abdelaziz. Quant au premier, il remonte à l’année 1978 et a mis fin au régime civil de Me Mokhtar Ould Daddah ;
- Le Niger, de sa part, connaîtra quatre (4) coups d’Etat dont le premier date de 1974 et dirigé par l’officier S. Kontché et le dernier a été commandité par un militaire appelé S. Djibou et a réussi à mettre fin au régime du Président M. Tandjia suite à une crise constitutionnelle.
Tableau des coups d’Etat aux pays saharo-sahéliens
Etat | Date | Le renversant | Le renversé |
Tchad | 1975 | N. Edinga | F. T. Baye |
1979 | G. Wadaye | F. Maaloum | |
1982 | H. Habre | G. Wadaye | |
1990 | I. Deby | H. Habre | |
Erythrée | 2013 | Tentative échouée | A. Avorghi |
Burkina Faso | 1980 | S. Zerbou | S. Lamizana |
1982 | J.B. Ouedrangs | S. Zerbou | |
1983 | T. Sankara | J.B. Ouedrangs | |
1987 | B. Compaoré | T. Sankara | |
Le Soudan | 1958 | B. Abboud | A. Khalil |
1969 | J. Nimeiri | I. Azhari | |
1985 | S. Zahab | J. Nimeiri | |
1986 | A. Mirghani | S. Zahab | |
1989 | O. Bechir | A. Mirghani | |
Mali | 1968 | M. Traoré | M. Keita |
1991 | A.T. Touré | M. Traore | |
2012 | A.H. Sonogho | A.T. Toure | |
Mauritanie | 1978 | M.M. Saleck | Me M. Daddah |
1979 | M.K. Haidalla | M.M. Saleck | |
1984 | M.S.Tayaa | M.K.Haidalla | |
2005 | E.M.Vall | M.S.Tayaa | |
2008 | M.Abdelaziz | S.C.Abdallahi | |
Niger | 1974 | S. Kontche | H.Gori |
1996 | B.B.Minasara | M. Osman | |
1999 | D.Ouenki | B.B.Minasara | |
2010 | S. Djibi | M.Tandjia |
Mais, pourquoi tant de coups d’Etat militaires dans la région saharo-sahélienne ?
Est – ce que les militaires sont les mieux organisés ? Ou bien l’élite politique – et la vie politique de façon générale – encourage le phénomène ?
Nombre de chercheurs intéressés par le phénomène de coups d’Etat militaires au Sahel et l’instabilité politique qui en découle, jugent que ce phénomène se trouve intimement lié à plusieurs autres facteurs dont le rôle est décisif dans sa consécration. L’égyptienne, Mme A. Abdelhalim, dans sa recherche intitulée: le pouvoir en Afrique : des coups d’Etat militaires au transfert pacifique, a voulu prouver que le phénomène de coups d’Etat militaires – quelle qu’en soit la forme – n’est ni plus ni moins qu’un changement illégal de l’outil gouvernemental. Autrement dit, ces changements illégaux ne servent en rien l’idéalisme politique et encore moins, le système de valeurs régissant le régime en place. En d’autres termes, ils ne touchent pas au fond du concept politique dominant dans une société donnée, mais, il s’agit tout au plus, de remplacer une élite au pouvoir par une autre, un processus qui met en évidence le rôle politique combien grandissime que jouent directement les militaires.
D’autre part, Mme Amira juge que la propagation du phénomène s’est accentuée en raison d’une combinaison de facteurs dont, en particulier, la place prépondérante qu’occupe l’institution militaire au sein des systèmes politiques africains. Cette immixtion des militaires africains dans la vie politique s’explique, entre autres, par le manque de professionnalisme, la domination de l’aspect sécuritaire dans les modules d’instruction et de formation sous l’administration coloniale, ainsi que la dichotomie qu’il y a entre ces militaires et l’évolution de la société. A ces facteurs s’ajoutent l’infiltration de dirigeants idéologiques dans les rangs des militaires et la constitution par les gouvernements de certaines organisations militaires beaucoup mieux équipées et entretenues que les autres corps, comme la garde républicaine et consorts.
Il faut noter, également, la faiblesse de la structure politique en place, la détérioration de l’image du parti au pouvoir, la faiblesse du symbolisme et du charisme des nouveaux dirigeants, la longévité des systèmes encore en place, l’émergence de conflits aigus entre les élites au pouvoir pour s’y maintenir le plus longtemps possible, sans oublier la nature hétérogène da la structure sociale en Afrique. En d’autres termes, l’échec de l’intégration de l’Etat national en Afrique, une réalité qui a fait que chaque groupe ethnique se réclame le droit exclusif de prendre les rênes du pouvoir.
La consécration de ces conditions sordides a été traduite sur le terrain par un mécontentement populaire que les putschistes ont toujours exploité pour s’assurer le soutien des populations en quête d’un espoir perdu. Quant au rôle habituellement dévolu à la classe moyenne, il a tout simplement disparu suite à la division de la classe, dans la plupart des pays de la région, en deux clans : le premier, minoritaire, n’ayant ni la motivation ni la volonté d’introduire le moindre changement au niveau de la structure ou des méthodes de gouvernement, il a rallié les juntes militaires au pouvoir grâce aux positions qu’il occupe au sein de l’appareil étatique. Le deuxième clan, de son côté, a pris ses distances par rapport aux militaires au pouvoir pour voir ses soucis confinés à la façon dont il pourrait faire face au quotidien, une situation dont la conséquence directe est l’émergence d’une minorité de riches face à une majorité écrasante vivant dans une pauvreté extrême.
Pour ce qui est de l’influence des facteurs externes sur l’enracinement du phénomène des coups d’Etat militaires en Afrique, il s’est toujours traduit par le rôle de certains acteurs internationaux ou régionaux dans les tenants et les aboutissants de tel ou tel coup d’Etat dans tel ou tel pays de la région. Le rôle de ces acteurs consiste à aider à renverser un pouvoir civil en place ou à mettre en place un autre, ou encore, à aider des régimes à se maintenir au pouvoir. Aussi, les auteurs des coups d’Etat militaires ont toujours pris au sérieux les réactions internationales à leurs actes de peur que les ingérences étrangères empêchent les militaires de prendre le pouvoir, c’est ce qui fait que le phénomène de contagion prend son cours partout sur le continent grâce aux possibilités de normalisation avec les auteurs du nouveau coup d’Etat (A. Abdelhalim, 2005).
Les causes du phénomène et son impact sur l’Etat et la société :
Certains chercheurs croient que l’un des facteurs les plus importants de l’instabilité politiques dans la région saharo-sahélienne consiste en l’impuissance de l’administration à relever les défis qui se dressent sur son chemin en raison justement de l’adoption du système de parti unique, mais aussi et surtout, les complications de la catastrophique situation économique et sociale de la majorité de ces pays. A cela s’ajoute, sans aucun doute, la fragilité de la situation militaro-financière sur laquelle s’appuie la plupart des régimes totalitaires de la région, le facteur étranger et les fortes pressions exercées par les partenaires étrangers de ces régimes.
Dans cet ordre d’idées, la chercheuse égyptienne croit que s’il est vrai que la puissance militaro-sécuritaire joue un rôle clef dans le maintien de la sécurité et de la stabilité dans tout pays, il est tout aussi vrai que sa concrétisation sur le terrain dépendrait toujours d’un certain nombre d’arrangements et de démarches politiques, économiques et culturelles en ce sens que les forces vives de la société se mobilisent contre toute tentative de déstabilisation de la tranquillité nationale.
Dans ce contexte, il est fort probable que les premiers stimuli négatifs dans les pays saharo-sahéliens – objet de cette communication – soient leur ressemblance pour ne pas dire leur parfaite identité s’agissant des causes et motifs politiques, économiques et sociaux des guerres et conflits, en d’autres termes, le phénomène de l’instabilité politique. En effet, l’observateur avisé de la situation prévalant dans ces pays est irrévocablement convaincu que l’interminable succession de coups d’Etat militaires susmentionnés est le reflet d’une lutte acharnée et perpétuelle sur le pouvoir.
Il est tout aussi évident que l’Etat national, dans cette région, a vraisemblablement échoué dans son combat pour le développement, et ce pour des raisons dont :
- La décadence institutionnelle
- Les crises socioéconomiques
- L’absence de cohésion nationale
- La multi – ethnicité
- L’injustice sociale
- L’absence totale des valeurs de la citoyenneté.
Compte tenu, donc, du rôle non négligeable de ces facteurs dans la perpétuation de l’instabilité politique dans les pays objet de l’étude, nous y accorderons un peu plus de détails.
Au sujet de la décadence institutionnelle et des crises socioéconomiques en Afrique subsaharienne, nombre d’études scientifiques convergent pour dire que les institutions gouvernementales dans cette région présentent les symptômes d’une fragilité extrême, surtout dans les pays les plus pauvres. La raison en est que les décisions relatives à l’investissement sont prises au niveau du sommet de la hiérarchie administrative. En d’autres termes, l’absence de décentralisation a rendu l’appareil étatique tout entier impuissant à assurer le fonctionnement normal de chaque institution prise à part (le Forum de Hauts Experts, rapport de 2009).
Il y a également d’autres facteurs comme la faiblesse de l’institution politique, la détérioration de l’image du parti au pouvoir, le manque de symbolisme et de charisme des nouveaux dirigeants, la longévité de certains régimes, l’apparition de luttes acharnées entre les dirigeants au pouvoir pour s’y maintenir encore davantage. Il faut noter, également, la nature de la structure sociale des sociétés africaines tellement orientée vers la division qu’il est difficile de concevoir la possibilité – même au niveau de la théorie – de fusionner toutes les ethnies dans le creuset du tissu social général, ou plus exactement, le défi de l’incohésion sociale et ses multiples conséquences.
S’agissant des problèmes économiques et du chômage généralisé, il paraît que le salut n’est pas pour demain. En effet, les rapports des organisations internationales sur la situation économique, sanitaire et alimentaire en Afrique sont plus qu’alarmants. Car, le niveau du déficit en produits alimentaires a atteint des proportions préoccupantes, ce qui a augmenté le nombre des affamés en Afrique subsaharienne de 34 millions entre 1990 et 2002. Le continent est victime de fléaux tels que le paludisme, le choléra ou encore le SIDA qui tue annuellement environ un million de personnes dont 90% sont africains essentiellement des enfants de moins de cinq ans.
Et, peut – être, avant tout cela, la concentration des sources de la force dans la main des oligarchies militaires et paramilitaires qui ont monopolisé le pouvoir d’une manière absolue dans ces pays. Une situation qui a limité la participation politique et consacré un climat dont la principale caractéristique est la frustration sociopolitique et la prévalence d’une situation de plus en plus tendue, donc, une perpétuelle instabilité dans la région.
Conclusion
Vu cette situation, n’est – il pas de notre droit de poser la question de savoir si l’Afrique en général, et les pays saharo-sahéliens, en particulier, resteront à jamais otages de maux tels que les coups d’Etat militaires répétitifs, l’extrême pauvreté, la corruption rampante, les guerres civiles entre frères au lieu d’échange et de complémentarité fructueux ? Il est, donc, grand temps pour les pays saharo-sahéliens d’inaugurer des politiques et des projets visant à garantir aux populations :
- La normalisation de la situation politique et la légitimation du pouvoir afin de le rendre acceptable auprès des autres,
- Les moyens permettant à l’Etat de retrouver sa légitimité convertie en un instrument aux mains des dirigeants et leurs flagorneurs
- L’inauguration d’une ère de réconciliation et de compromis au profit d’une justice transitionnelle au service de tous
- La cessation du ¨commerce de races et d’ethnies¨ entrepris par nos élites dans ces pauvres pays pour faciliter la cohabitation entre les composantes d’un même Etat au lieu d’encourager les conflits et les scissions au sein d’une même société.
N’est – il pas du devoir de ces Etats, au niveau de la société, de travailler pour qu’il y ait une répartition équitable de la richesse, au lieu de consacrer l’injustice au sein d’une même société, tout en dilapidant des richesses monumentales dans l’achat et le stockage d’armes et le financement des guerres civiles ? Ne devrait –on pas donner la priorité à la mise en place d’armées républicaines pour pouvoir, un jour, se passer du rôle d’armées étrangères se trouvant aujourd’hui sur nos territoires ? s’interroge un chercheur africain.
Communication sur les données socioéconomiques et les risques terroristes
Analyse du contexte mauritanien
Dr. Isselmou Ould Mohamed
Professor d’iniversité – Ancien Ministre
Introduction
Les conflits et les actions de nature terroriste en Afrique trouvent en général leur explication dans des facteurs multiples qui se conjuguent parfois (divisions ethniques, idéologies, élites prédatrices, corruption et injustices) dans un contexte d’instabilité politique et de fragilité de l’Etat de droit. Ils se nourrissent souvent de facteurs liés aux inégalités, à l’exclusion et à la discrimination, notamment dans le cadre de l’accès inégal aux ressources et aux services (eau, terres, emploi, éducation, santé, assainissement, électricité).
Certes, la Mauritanie est un pays multiethnique où les considérations tribales et particularistes2 continuent à influencer les politiques et les comportements sociaux mais c’est le chômage qui est, de nos jours, considéré comme le facteur de risque le plus important pour la stabilité d’un pays. Selon une récente étude (Banque Mondiale, 2011), un jeune sur deux, parmi ceux qui ont rejoint un mouvement d’insurgés, déclare que le chômage est sa principale motivation.
«Si les instruments politiques non violents ne sont pas adaptés ou pas réactifs, les jeunes risquent d’exprimer leurs griefs avec violence» (USAID, 2006). Le chômage qui a pour conséquences la pauvreté, la précarité et le manque de cohésion sociale est au cœur de ces griefs. Il est, en fait, la conséquence de problèmes en amont, notamment les structures sociodémographiques, les incohérences du système éducatif et les questions d’équité.
Aussi est-il nécessaire, dans le contexte mauritanien, de passer en revue les données disponibles les plus significatives pour en tirer des conclusions par rapport au risque terroriste et à la stabilité du pays.
Au-delà des autres aspects qui sont étudiés ailleurs, la lutte contre le terrorisme passe aussi par l’analyse des facteurs socioéconomiques et la mise en œuvre des politiques préventives les plus adéquates.
Ces aspects concernent principalement: (i) les facteurs sociodémographiques; (ii) les facteurs liés à l’éducation et à la formation ; (iii) les facteurs liés à l’emploi; (iv) la pauvreté et la précarité; (v) la corruption et (vi) les iniquités en matière d’accès aux ressources.
1) Les données sociodémographiques
La diversité de peuplement, si elle peut être un atout, peut aussi constituer un terrain propice aux expressions extrémistes dont le terrorisme n’est qu’un avatar. Or la Mauritanie est un pays où coexistent plusieurs ethnies sur un territoire vaste3. La répartition spatiale de la population est inégale sur le territoire national. Les localités dont le nombre est passé de 2 342 en 1977 à 5 561 en 2000 sont 1ISE/DES es-sciences économiques, consultant2 Tous ces aspects sont exclus du champ de la présente communication3 Les rares données sur la répartition ethnique sont très anciennes. Le premier Recensement Général Population, en 1977 avait donné les résultats, non publiés, suivants : Soit respectivement : Hassanya 78,8% ; Poular 14,7% ; Soninké 3,3% et Wolof 1%. 2 de petite taille (moyenne de 199 habitants en Adrar ; 247 au H. Charghi). Cette situation rend les investissements en infrastructures et l’accès aux services sociaux de base onéreux. Toute politique de répartition est un problème et peut devenir une source de conflit si elle n’est pas équitable.
En croissance rapide, la population mauritanienne était estimée à 3,4 millions en 2013 et on prévoit qu’elle atteindra les 3 814 000 habitants à l’horizon 2015 (projections de l’ONS).
2) Les données de l’éducation et de la formation
Le niveau général d’éducation de la population est faible, à en juger par un taux d’analphabétisme élevé (près de 40% en 2008) et un système éducatif de mauvaise qualité (efficacité, efficience et équité). On estime en effet que deux adolescents sur trois ne fréquent pas un établissement d’enseignement secondaire, ce qui se traduit par une offre de main- d’œuvre peu qualifiée. Les données officielles les plus récentes estiment que 60% de la population active n’ont jamais fréquenté l’école formelle, 35% n’ont pas achevé le cycle secondaire, 3% ont acquis une formation professionnelle et seulement 1% ont suivi des études supérieures. En fait, les motivations pour accumuler un capital humain sont faibles4. Il existe en outre, des disparités régionales dans l’accès à l’éducation.
La qualité médiocre du système éducatif est en fait, le reflet d’autres réalités : (i) les faibles rendements du système éducatif; (ii) les passages réduits au cycle secondaire; (iii) le pourcentage élevé de déperdition scolaire; (iv) la pléthore des classes; (v) les capacités limitées des établissements de formation professionnelle; (vi) le nombre insuffisant d’enseignants qualifiés5. Cette situation et son évolution se traduisent par un nombre trop élevé6 (entre 250 et 300 mille) d’enfants et d’adolescents livrés à eux-mêmes, sans qualification, une proie facile pour l’embrigadement, l’exploitation ou la délinquance.
Selon les résultats du RESEN, 12% des enfants d’une classe d’âge n’accèdent pas à l’école. L’Enquête de Référence sur l’Alphabétisation en Mauritanie (ERAM 2008), estime que 182 000 enfants âgés de 6 à 15 ans sont hors du circuit scolaire en 2008 (ce qui représente 27% de ce groupe d’âge). Sur cet effectif, 75% n’ont jamais été à l’école ! La population de jeunes adolescents (13-18 ans) est estimée à 230 826 enfants en 2008 dont le système éducatif n’en absorbe, au mieux, que 20 000. Il y avait donc plus de 200 000 jeunes adolescents, à cette date, livrés à eux-mêmes. Ce n’est qu’une minorité d’adolescents qui aura la chance de réussir un apprentissage, souvent dans un cadre familial ou dans des ateliers de promotion féminine pour les filles.
3) La situation et les perspectives en matière d’emploi
La prédominance de l’emploi informel implique un niveau élevé de sous-emploi et de précarité en l’absence de protection sociale.
Les niveaux de rémunération sont jugés élevés par rapport au niveau très bas de la productivité du travail. Paradoxalement, ils permettent rarement de subvenir aux besoins essentiels des employés.
Dans la réalité, les salaires, notamment dans le secteur public, ne traduisent pas les performances individuelles, ni l’évolution de la productivité.
4 La rentabilité d’une année supplémentaire d’éducation est peu motivante. Elle est estimée à 7 % contre 30% ailleurs (Banque Mondiale).
5 Une partie du secteur éducatif est insuffisamment encadrée et contrôlée (écoles coraniques et privées). En outre, seuls 43,1% des enseignants d’arabe ont le niveau requis pour enseigner cette langue sans difficulté alors que seulement 17% des enseignants du français ont les aptitudes nécessaires pour enseigner cette langue ! (RESEN, 2010)6 Entre 44 et 53% du total des enfants de la tranche d’âge 6-18 ans en 20083
La lutte contre le chômage est difficile dans le contexte mauritanien à cause de nombreuses contraintes, pour la plupart structurelles dont entre autres : (i) le dynamisme démographique (le nombre de demandeurs d’emploi s’accroît annuellement d’environ 5% de la population active); (ii) la prédominance des activités minières à forte intensité de capital (peu d’opportunités d’emploi dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre); (iii) l’inadéquation des profils et des compétences par rapport à la demande (faible niveau quantitatif et qualitatif d’éducation de la population active) et (iv) la faible culture d’entreprise.
L’examen des données disponibles en matière d’emploi montre que les politiques et programmes mis en œuvre au cours de la dernière décennie n’ont pas permis de réduire le taux de chômage officiel.
Celui-ci a même eu tendance à augmenter sous les effets conjugués déjà cités plus haut.
Les défis en matière de lutte contre le chômage sont de deux ordres : (i) l’insertion économique et sociale du stock initial de chômeurs de plus d’un million de jeunes de moins de 34 ans selon les estimations officielles (2005) et (ii) l’insertion économique et sociale d’un flux additionnel annuel moyen de l’ordre de 30 000 jeunes.
Sur la base des projections démographique de l’ONS, la Mauritanie serait peuplée de 3,632millions d’habitants en 2015 et la population active atteindra 1,6 million, correspondant à un taux d’activité de 70,5% dont 43% de femmes (BIT). L’analyse prospective de l’offre d’emploi est rendue difficile à cause des incertitudes sur l’évolution des données économiques au cours des années à venir.
Sur la base de l’hypothèse d’un taux moyen annuel de 5,8% pour la période 2011-2015, il ressort7 que le nombre de chômeurs sera de 579 000, soit un taux de chômage d’environ 36%.
En tout état de cause, le maintien d’un taux de chômage à 31% (2008) suppose l’insertion annuelle de plus de 50 000 nouveaux demandeurs d’emplois (5% de la population active). Or le rythme enregistré sur trois années (2008 et 2011) n’est que de 7176… Ce qui montre que, sans un effort exceptionnel et/ou des ressources additionnelles, le chômage continuera malheureusement à prospérer.
La situation décrite plus haut implique la mise en œuvre de politiques convergentes pour désamorcer cette bombe à retardement que constitue un niveau de chômage des jeunes aussi élevé.
4) La persistance de la pauvreté et de la précarité
Au cours de la dernière décennie, la Mauritanie a connu dans le domaine social une évolution caractérisée par (i) une répartition inégalitaire de la richesse nationale8 en dépit d’un recul de la pauvreté monétaire; (ii) une faible création d’emplois salariés mais aussi (iii) une expansion sans précédent du secteur informel. Cette évolution a provoqué un niveau de chômage élevé (31,2% de la population active en 2008) dans le contexte d’une faible protection sociale9, bénéficiant à une minorité de la population et offrant le plus souvent des prestations de qualité insuffisante.
7 Le rapport de « l’Etude prospective sur la croissance de la population et ses conséquences sur l’emploi des jeunes et des femmes »
(ANAPEJ, décembre 2010.
8 Voir plus loin l’évolution de l’indice de Gini
9 Voir pour plus de détails l’étude MAED/UNICEF : «Etude sur la protection sociale en Mauritanie, 2009 »
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Les deux dernières enquêtes EPCV (2004 et 2008) s’accordent sur un point : la part des consommations des 20% les plus pauvres (premier quintile) de la population représentait 6,7% de la dépense totale et le dernier quintile 46,8% en 2004 contre respectivement 6,3% et 44,2% en 2008.
Nonobstant les considérations ethniques, tribales ou sociales, sur lesquelles on dispose de peu de données quantifiables, il existe des disparités liées au genre, à l’activité et au lieu de résidence.
Par ailleurs, les personnes dont l’origine sociale traditionnelle est modeste, sont aussi globalement aujourd’hui, les plus pauvres, notamment les Haratines10 qui peuplent les bidonvilles et les périphéries de la plupart des agglomérations urbaines. C’est aussi le cas des villages «Adwabas»11 dont on connaît l’état de dénuement.
La lecture des données socio-économiques officielles disponibles permet de conclure à une juxtaposition entre la carte de la marginalisation socioéconomique et celle des groupes sociaux traditionnellement dominés dont notamment les descendants d’esclaves.
Avec un IDH moyen (supérieur à 0,5), la Mauritanie fait partie de la moyenne du classement mais il existe un décalage entre ses performances en matière de création de richesses et celles réalisées dans les domaines de la santé et de l’éducation. Ce qui explique une progression lente de l’IDH. De 0,495 en 2000, il est passé à 0,52 en 2007 (0,55 en 2005 – donc une baisse après une amélioration entre 2000 et 2005). En revanche, l’indicateur de pauvreté humaine (IPH) montre que 36,2 % de la population sont en situation de pauvreté humaine. On peut aussi observer un décalage de 32 places entre le classement du pays en matière d’IPH par rapport à son classement selon la pauvreté monétaire (à la faveur de ce dernier).
L’analyse des données précitées permet de noter que par rapport aux modèles des inégalités déjà établies ailleurs, le degré de privation d’accès et d’utilisation des services essentiels est encore élevé. Le modèle des inégalités est plus proche du type A ou « top-inégalité » (Victoria, Fenn et al, 2005) dans la mesure où la couverture est globalement faible pour les ménages les plus pauvres et qui vivent pour l’essentiel en milieu rural avec des «circonstances aggravantes» quand il s’agit de ménages dirigés par des femmes. Les inégalités sont particulièrement raides entre les premiers quintiles de pauvreté et les cinquièmes (les écarts peuvent dépasser dans certains cas les 200%).
Les données disponibles montrent qu’il existe des facteurs explicatifs communs à la plupart des iniquités : (i) le niveau de pauvreté lu à travers les quintiles de dépense; (ii) le genre; (iii) le niveau d’éducation; (iii) le lieu de résidence; (iv) le groupe socio-ethnique; (v) le type de ménage et (vi) la région. Plus on en cumule d’effets négatifs et moins on a de chances de recouvrer ses droits. Par exemple, la pire des situations serait d’être une femme, chef de ménage, vivant en milieu rural dans une des régions les plus pauvres, appartenant à un groupe social traditionnellement dominé, sans éducation et faire partie du premier quintile de pauvreté (ce qui est en général une déduction logique des autres facteurs). A contrario, rares sont les ménages dirigés par un homme, en milieu urbain, appartenant à un groupe socio-ethnique «traditionnellement dominant » et instruit qui rencontrent des difficultés pour accéder à leurs droits. En fait, il existe de nombreuses interactions entre les variables sus énumérées).
10 Descendants d’esclaves, souvent regroupés dans des villages appelés « Adwabas», essentiellement concentrés dans les zones du Sud Est du pays et du fleuve Sénégal
11 Villages essentiellement peuplés d’anciens esclaves
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L’analyse globale permet de reconstituer un fil conducteur pour les inégalités dans le contexte mauritanien. Il y a les inégalités statutaires qui ont leur reflet au niveau de l’accès aux ressources productives (femmes et groupes socio-ethniques traditionnellement dominés dont en particulier les descendants d’esclaves). Ce qui entretient et aggrave la pauvreté qui a tendance à être « héréditaire » tout en interagissant sur les autres dimensions comme l’analphabétisme et l’accès aux services sociaux de base dans le contexte d’une faible protection sociale. Dans ce cadre, les ménages vivant en milieu rural, quel que soit par ailleurs leur statut social ou ethnique, subissent des iniquités liées notamment à des faiblesses infrastructurelles et de revenu évidentes. Mais les inégalités sont aussi entretenues et renforcées du côté de l’offre par le mode et les choix en matière de gestion des ressources publiques.
Les politiques sectorielles (santé, éducation, eau, assainissement, protection) ont été en général peu favorables au milieu rural et plus globalement aux populations pauvres et vulnérables. Non seulement les ressources publiques allouées aux secteurs sociaux sont faibles par rapport aux besoins et aux ressources disponibles mais en plus, le souci d’équité n’a pas été jusqu’ici pris en considération de manière systématique (carte scolaire, répartition et fonctionnement des postes de santé, assainissement en milieu rural, protection des enfants et des femmes vulnérables).
L’analyse du système de protection sociale a été réalisée dans le cadre de l’étude relative à la question (MAED/Unicef, 2010). On sait que la protection sociale est faible et que le ciblage des populations vulnérables reste insuffisant à cause, entre autres de : (i) la faiblesse des capacités des structures; (ii) d’un manque de coordination entre les programmes et les acteurs et (iii) de ressources financières et humaines très limitées.
Sur la base de la classification fonctionnelle des dépenses publiques, l’Etude sur la protection sociale estime que les budgets alloués à la protection sociale ont représenté respectivement 0,8% et 1,8% du PIB en 2007 et 200812.
Le Système de protection sociale bénéficie à une faible partie de la population, étant donné la modestie du poids relatif des emplois salariés du secteur formel dans la population active. Ainsi, le nombre d’affiliés au régime de sécurité sociale était de 161.130 personnes en 2008, soit environ 5% de la population du pays et les paiements effectués au cours de l’année 2007 ont été de 1.361 millions d’Ouguiya. Toutefois, l’écrasante majorité de la population13 ne retrouve un semblant de protection sociale que dans le cadre des systèmes traditionnels, informels ou Islamiques14.
5) Le niveau de corruption
Le niveau de corruption est encore jugé élevé. Selon les données de l’ECA 2006, les paiements non officiels à la charge des entreprises représenteraient 6,4% du chiffre d’affaires contre seulement 0,5% au Sénégal ou 0,1% en Afrique du Sud. En outre, l’indice de perception de la corruption (2011) situe la Mauritanie à la 143ème place sur 182 pays (2,4 sur 10). Le classement s’est amélioré en 2012 (123ème /174) mais il n’a fait que retrouver son niveau de 2007 (123ème sur 180) au moment où le nombre de pays classés s’est réduit de 6 (Transparence Internationale).
12 Contre 0,1% en Afrique au Sud du Sahara; 5,7% au Moyen Orient et …autour de 30% dans la plupart des pays développés !
13 Selon les données du «profil de pauvreté 2001, seulement 4,6% de la population s’adressaient à l’Etat pour trouver une solution à leurs problèmes.
14 Pour plus de détails, cf. l’étude sur la protection sociale en Mauritanie, 2010 (MAED et UNICEF)
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Parmi les causes de corruption les plus citées, on note15: (i) les insuffisances en matière de transparence et de reddition des comptes; (ii) le rôle prépondérant de l’élite dirigeante dans le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions; (iii) l’expansion de la bureaucratie étatique; (iv) la persistance de l’impunité malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics au cours des dernières années et (v) le manque de transparence dans les rémunérations, couplé avec une hétérogénéité et un niveau des salaires généralement sans référence au coût de la vie.
La corruption a, comme on le sait, de nombreux effets négatifs aux plans économique et social mais c’est au niveau politique qu’elle favorise le recours à la violence et peut conduire certains groupes à utiliser le terrorisme comme moyen de lutte politique en l’absence de toute possibilité d’alternance pacifique.
La corruption a pour conséquences de : (i) limiter le jeu politique aux riches et exclure les pauvres; (ii) diminuer la transparence du processus décisionnel politique; (iii) inhiber la concurrence politique; (iv) miner la confiance du public envers les politiciens, la politique et les institutions; (v) créer des difficultés pour faire appliquer les lois et les politiques publiques; (vi) substituer les principes et idéologies par l’égoïsme et l’intérêt personnel; (vi) miner la crédibilité internationale du gouvernement; (vii) pervertir les processus électoraux; (viii) favoriser les activités politiques basées sur le favoritisme, le clientélisme et l’argent sale.
6) Les iniquités en matière d’accès aux ressources naturelles
L’accès aux ressources, principalement aux terres de culture, à l’eau et aux pâturages, a toujours été l’une des sources majeures de conflits entre communautés tribales et depuis peu, entre anciens maîtres et anciens esclaves. Le caractère ambigu de la propriété tribale et les faiblesses de l’appareil administratif et judiciaire ont souvent été à l’origine de la plupart des conflits en milieu rural.
En général, les documents juridiques sont rares ou d’authenticité douteuse. S’ils ne sont pas enregistrés au nom du chef tribal, il est implicite que les descendants d’esclaves ne sont pas concernés par la propriété, même s’ils peuvent bénéficier, sous certaines conditions, de l’usufruit.
Plusieurs conflits récents combinent le droit d’accès aux ressources (terres et eau) à l’acceptation d’un clientélisme politique: «obéissance aux consignes tribales ou personnelles contre droit de jouissance». Ce que nombre de villageois, notamment ‘Adwabas’ reprouvent ou refusent. Dans ce dernier cas, le conflit s’ouvre devant les administrations et les tribunaux avec ses interférences sociales et politiques16.
La non application des dispositions de l’ordonnance 83-127 du 5 juin 1983 et du décret 84-009 du 19 janvier 1984, n’a pas permis, loin s’en faut, à «ceux qui ont jadis travaillé la terre au profit d’autres, d’accéder à la propriété et partant, d’acquérir leur indépendance économique, base de toute émancipation réelle17». La propriété tribale est restée la règle et les méthodes traditionnelles demeurent les seules en vigueur dans le contexte d’un Etat fragile.
15 Isselmou Ould Mohamed, «Compétitivité et coûts des facteurs de production en Mauritanie : Etat des lieux et perspectives», CMAP, novembre 2009).
16 Des cas (2006) ont été signalés dans la Moughataa d’Ould Yengé ainsi qu’au Trarza (El Bezoul, Ain Salama, Houbeira et Amara). SOS Esclaves avait publié un document intitulé: «Des fils d’esclaves menacés d’expropriations pour délit d’opinion» (24/09/2008).
17 Mohamed Khouna Ould Haïdalla, alors chef de l’Etat, «Chaab» du 05 Juillet 1983.
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Cette situation est exacerbée par la rareté des ressources et leur précarité dans un environnement physique et naturel en constante dégradation. La pression démographique, la pauvreté souvent partagée avec les anciens maîtres comme l’analphabétisme ou l’ignorance, viennent amplifier des tensions que les conflits d’ordre ‘politique’ ont déjà attisé depuis fort longtemps.
L’accès aux ressources halieutiques, aux terrains en milieu urbain ou à certains emplois et son caractère sélectif voire discriminatoire à certaines époques et lieux est aussi un motif de griefs pouvant pousser certains jeunes, notamment des milieux défavorisés vers l’extrémisme, surtout quand ils n’ont pas bénéficié d’une éducation ouverte et citoyenne comme cela est souvent le cas.
Il en est de même pour l’accès au crédit bancaire et aux différentes ‘facilités pour faire des affaires’ (accès aux marchés publics, égalité devant l’application des lois et des règlements douaniers et fiscaux et… à la justice).
En tout état de cause, la paupérisation de certains groupes sociaux, aussi bien en milieu rural qu’urbain, constitue un risque de violence qui pourra s’exprimer à certaines occasions. Mais il semble que ce qui menace le plus la cohésion sociale, c’est le sentiment de frustration et la pratique du clientélisme que certaines élites dénoncent non sans raison, et entretiennent dans le contexte général d’un Etat fragile (de droit). Ce malaise s’exprime sur le Net mais aussi au sein de la société civile18.
Certains écrits ressemblent étrangement à ceux des mouvements ‘négro-mauritaniens’ dits étroits des années 80 et antérieures19.
7) Conclusions et pistes de réflexion
Le raisonnement en termes d’indicateurs et de moyennes ne rend pas compte des inégalités d’accès aux ressources halieutiques, financières, foncières et à l’emploi ainsi qu’aux services sociaux essentiels. Peu ou pas de données sont disponibles pour évaluer les niveaux d’équité. Aussi est-il nécessaire que les opérations de collecte des données intègrent la dimension ‘équité’ pour déterminer toutes les caractéristiques des individus, des ménages et des communautés les plus vulnérables et de mettre en place les mécanismes de renforcement de la protection sociale.
Il s’agit aussi de trouver des réponses consensuelles et efficientes aux principales questions qui concernent avant tout la pauvreté, la marginalisation et l’exclusion comme étant autant d’insuffisances et de sujets de préoccupation de nature à interpeller les consciences et de prévenir le recours à la violence.
Au-delà des déclarations d’intention et de proclamation des principes de justice et d’égalité entre les citoyens, les efforts des pouvoirs publics doivent être concentrés en pratique sur : (i) la mise en place d’une administration dépolitisée dont les responsables comme les agents sont recrutés, promus, rémunérés et protégés sur des bases objectives et qui fonctionne suivant les règles de neutralité et d’application des principes professionnels de la récompense et de la sanction; (ii) le respect de l’égalité des citoyens, notamment en matière d’accès aux ressources, à l’emploi et aux ‘facilités’ pour faire des affaires (amélioration du climat des affaires) et (iii) la mise en œuvre d’une véritable stratégie nationale de protection sociale.
18 FUAH : «50 ans de marginalisation et d’exclusion systématique des Haratines », Mars 2008.
19 « Le manifeste du négro-africain opprimé », tract largement diffusé en 1986 et qui avait, en son temps, fait couler beaucoup d’encre…
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Au plan extérieur, sachant que lorsqu’un conflit éclate dans un pays, le taux de croissance annuel des pays voisins se retrouve amputé de 0,5 point de pourcentage (Collier et al. 2003), il est nécessaire d’avoir une vision ouverte sur l’environnement géographique qui est le nôtre (population de réfugiés, échanges commerciaux perturbés, course à l’armement, refuge aux insurgés et risque de création d’un nouveau théâtre d’affrontement) dans le cadre d’une approche prospective.
IOMT
Commentaires des intervenants
Le Mali : entre les défis du terrorisme et les impératifs de la sécurité
Dr. Mohamed Ould Sid’Ahmed Vall EL Wedany
Professeur d’université
Préambule
La Région du Sahel a vécu récemment des changements profonds, graves et à facettes multiples où interfèrent le terrorisme et les mouvements et groupes armés avec les conflits et qui causent beaucoup de problèmes transcendant les frontières nationales et dont les conséquences et les implications dépassent largement les frontières des pays d’origine.
De ce point de vue, et à travers la reconnaissance de l’accélération et l’acuité des problèmes de sécurité et leur complexité dans cette région, la causalité intime des causes et donc des conséquences jette et fonde les bases des problèmes que nous vivons aujourd’hui, ce qui aidera sans nul doute dans l’analyse et l’anticipation des éventuelles dérives des problèmes.
Malgré la pluridisciplinarité et les multiples causes et options théoriciennes et théoriques dans l’étude des soubassements et des causes des conflits africains en général, nous pouvons faire des indications qui se baseront sur les quatre variables suivantes :
- L’identité ethnique vis – à- vis de l’identité nationale
- Les politiques coloniales
- L’échec du projet de l’Etat national
- La mondialisation et le rôle des facteurs exogènes et externes.
Sans tarder nous pouvons conclure que les conflits en Afrique se subdivisent en plusieurs catégories suivant la typologie ci- après :
- Type de conflits ethniques graves, comme ce qui s’est produit dans la région des Grands Lacs.
- Type motivé par la violence politique liée à la démocratisation comme les cas de la Côte d’Ivoire, de l’Angola et du Burundi.
- Type de l’Etat en effondrement (état raté) : comme la Somalie et le Mali, un état qui comprend toutes les variables ci-dessus.
La région du Sahel a toujours constitué et formé un ruban fragile adhésif qui se trouve dépendant. Elle est souvent prisonnière de la réalisation et de la concrétisation de la paix et du développement, en plus de la nécessité de renforcer les infrastructures des pays la constituant. Pays qui ont besoin d’une redéfinition des stratégies, des priorités selon et suivent les conjonctures et agendas locaux d’un environnement marqué par la fragilité et la vulnérabilité économique et sociale structurelle.
Un environnement qui empêche l’Etat central de réussir une cohabitation citoyenne et de lier le citoyen à son Etat qui à échoué dans toutes les entreprises et essais de gérer les conflits identitaires et de fournir des réponses adéquates aux doléances, demandes et griefs nationalistes qui s’intensifient après chaque évolution d’ordre sécuritaire, ce que nous observerons actuellement au Mali.
La guerre récente au Mali a constitué une percée majeure, vu les résultats conjoncturels obtenus par le voisin malien lors de cette guerre, après avoir perdu son contrôle et sa souveraineté sur les deux tiers de son territoire, son gouvernement et son président mis à genoux et son système démocratique renversé, remplacé par un émirat islamique dans le Nord menaçant de contrôler le reste des centres du Sud, y compris les grandes villes maliennes.
Cette analyse rapide se basera sur le cheminement historique de la crise malienne avant la présentation des grandes conclusions, des résultats et des conséquences les plus importantes de la guerre au Mali aussi bien au niveau interne qu’au niveau des relations interétatiques ; donc il s’agit d’une analyse à la fois au niveau national ou au niveau des relations entre les pays de la région et les effets sur les efforts pour faire face à la lutte contre le terrorisme au niveau régional .
Indépendance minées :
La République du Mali a accédé à l’indépendance à l’époque du président Modibo Keita en 1960, son territoire incluait en ce moment les provinces et régions de Kidal et Tombouctou, qui représentent plus d’un tiers du territoire du pays.
Les habitants Touareg ont ressenti alors les dangers qui les menacent et ont aussitôt commencé leur révolte (révolution) en 1961 à partir de Kidal.
La République naissante faible et incapable de surmonter l’ignorance, la pauvreté, le sous développement et l’analphabétisme en raison d’un ensemble de facteurs dont la pauvreté d’une part et le déséquilibre en matière de développement régional, la répartition spatiale des efforts entre le centre qui est (le sud) et les départements qui constituent pour l’essentiel le nord du Mali, d’autre part.
Les gouvernants du Mali à cette l’époque d’indépendance n’ont rien financé depuis lors jusqu’à aujourd’hui dans cette région du pays désertique et enclavée, ce qui n’encourage pas l’existence d’un espoir ni la confiance mutuelle entre les deux parties (nord et sud), confiance nécessaire pour une patrie multiethnique, multiconfessionnelle et de nationalités multiples. Ils ont pris fait et cause pour développement de la capitale et des villes du sud.
Ce n’est pas par hasard, coïncidence ou malchance que la République du Mali, vaste pays situé en Afrique de l’Ouest, se transforme en refuge pour les gangs de contrebande, du crime organisé et les groupes terroristes radicaux, car la composition ethnique complexe du pays, sa grande et vaste superficie et ses potentialités économiques et naturelles modestes l’ont conduite à la situation où elle se trouve et ont favorisé l’émergence des conflits et différends.
Cependant, il faut rappeler que la faiblesse structurelle qui a marqué l’Etat central malien a compliqué les choses et les a rendues ridicules en plus de la gravité croissante et la dangerosité grandissante de la destruction et la faiblesse de l’Etat malien central caractérisé par la fragilité de son système sécuritaire et militaire, jusqu’à ce que ce pays devient incontestablement, le centre officiel du terrorisme, le focus du terrorisme dans la région du Sahel Africain.
Ce pays qui n’a même pas été en mesure de suivre le plan de sécurité régional de certains pays voisins pauvres et ne disposant pas de ressources comme le Niger à titre d’exemple.
Malgré cela, le pays a connu une certaine période de stabilité politique relative entre 1992 et 2012, (21 mars 2012 date du coup d’Etat) où les premières élections présidentielles libres furent organisées.
Les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette période n’ont pas réussi à imposer la sécurité dans la moitié nord du pays, la restauration de la sécurité et de l’ordre public dans le nord a été le grand absent dans ce nord où ont observe la présence du plus grand nombre de Touareg, de tribus Arabes, Songhaï et Peuhl.
L’Etat a été aussi incapable de mettre en place/ en œuvre un véritable programme de développement qui contribuera à l’allègement des souffrances de la population du territoire de l’Azawad, à barrer la route aux intentions scissionnistes des habitants et à satisfaire des doléances et revendications de justice et d’égalité qui ont évolué plus tard vers la demande de séparation et de création d’un Etat autonome.
Par souci de ne pas s’attarder beaucoup sur le récit chronologique des événements dans le nord du Mali, nous signalons au passage que le Mali a réussi de nouveau à conclure le deuxième traité de Tamanrasset (Avril 2011 / Avril 1992). Cette signature a contribué à limiter les ambitions des Touareg en termes de droits d’autonomie au profit d’une décentralisation et d’un développement socioéconomique régional qui profitera au Septentrion malien, en plus de la création à Bamako de l’Office de la gestion des affaires du Nord afin de concrétiser et d’activer les termes de l’accord avec pour objectif d’absorber, de drainer et d’assurer l’emploi et le travail pour les cadres touareg.
Cela a été largement suffisant pour faire apparaitre de profondes divergences, des convergences et des divisions qui étaient déjà latentes au sein du front touareg avant même la signature de l’accord, et peu de temps après, les leaders se sont mis à créer des mouvements et des structures pacifiques avec des ailes armées.
L’intervention étrangère ou la solution temporaire/ provisoire
En effet, la guerre du Mali contre les groupes salafistes a permis de stopper leur avance vers le sud pays, de les chasser et donc d’arrêter une éventuelle occupation des centres maliens du sud. Cette guerre a certes restauré l’intégrité territoriale du Mali et a permis de rogner les griffes d’Al-Qaeda et de limiter, voire de neutraliser son action.
Malgré les réussites et les succès fragiles et ponctuels, cette intervention militaire a fait semblant d’oublier les réels défis permanents ou latents du terrorisme, l’acte terroriste étant subordonné à cet aspect politique temporaire et chronique et donc il faudra trouver des solutions plutôt que venir avec des calmants qui ne touchent que des problèmes nouveaux et superficiels.
La source du problème est la question politique chronique résultant de l’indifférence totale et de la marginalisation délibérée des réalités objectives sur le terrain, ce qui a favorise le développement des groupuscules et a créé un champ fertile pour tout nouveau venu pour qu’il s’installe parmi une population vulnérable et pauvre prête à composer avec celui qui aidera à régler ou contribuera au règlement de leurs problèmes quotidiens, à satisfaire leurs revendications et à réaliser leurs rêves réels ou utopiques.
Le pouvoir central malien, qui était prêt à renoncer au nord au profit des groupes actifs issus du nord ou même à des groupuscules terroristes, est resté constant, faisant des concessions interminables en fonction de la trajectoire de la conspiration de renonciation pour abandonner petit à petit cette partie nord du Mali.
Le gouvernement malien n’a cessé de donner des condescendances conspiratrices à cause du manque de ressources, faute de solution, par manque de moyens, de compétence ou par négligence.
Le gouvernement préfère payer le tribut de sacrifier le fauteuil présidentiel plutôt que de sacrifier toute une nation blessée dans sa souveraineté, une nation n’ayant pas de politique dans certaines régions, ne contrôlant plus son armée, déchirée et dont certains territoires sont repris et contrôlés par des milices.
Un pays dont les deux tiers du territoire sont devenus un foyer et une zone de terrorisme, de terroristes, de narcotrafic drogue et de crime organisé.
La crise malienne a clairement révélé/montré le degré de l’enracinement, la complexité, la profondeur et le caractère multidimensionnel du conflit et la multiple structure de sa dimension régionale, même avec un recul, et la psychose qui hantait les maliens suite à tous ces événements : retour de l’intégrité territoriale du Mali, le retour de la légitimité avec l’organisation des élections et l’accession au pouvoir du président élu, Ibrahim Boubacar Keita.
Les défis restent de mise et demeurent des déterminants incontournables pour la redéfinition des options de futur ; c’est dans ce contexte qu’il faut fixer les priorités comme :
- La reconquête de l’entente, de la cohésion et de la réconciliation nationales, en plus de la nécessité de surmonter et de dépasser cette situation de guerre latente et silencieuse.
- Essayer de faire oublier les sentiments de marginalisation, de discrimination et de racisme odieux engendrés par cette guerre pour beaucoup de catégories de citoyens maliens
Après ce processus de recherche d’un interlocuteur légitime valable au Mali à travers l’organisation des élections présidentielles et le soutien international qui les a accompagnées pour limiter et freiner le terrorisme, voire le neutraliser et de rationaliser les exigences /revendications politiques des populations de l’Azawad.
L’heure a sonné pour instaurer une confiance, construire des ponts et nouer le contact pour entamer une période de reconstruction et de développement, constituant le grand jihad et la réelle lutte pour que le citoyen dispose de son avenir, construise et s’approprie sa nation, afin que le Mali et les maliens se consacrent à la solution et au règlement des problèmes politiques du Nord qui n’a que trop souffert des politiques accumulées depuis la nuit des temps.
La crise malienne- en réalité- a toujours été un reflet et un miroir qui montre la façon dont les pays défaillants traitent et abordent les grandes questions avec leurs populations ; il s’agit de l’une des manifestations, en effet, de la réaction directe des Etats incapables de satisfaire les besoins légitimes de leurs citoyens et de répondre aux exigences de leur peuple et axant toujours sur la marginalisation, l’exclusion systématique, l’injustice inhérente et continue et les alliances avec tout venu, nouveau ou ancien, même s’il s’agit des groupes terroristes ou de narcotrafiquants.
Les constantes et les variables
La guerre au Mali a réitéré et confirmé encore une fois quelques éléments et fondements essentiels dont :
- La bonne gouvernance et son impact sur la situation politique.
- La complexité de la lutte individuelle des pays contre le phénomène du
- la corrélation et la dépendance qui existe entre le développement économique et la stabilité politique.
- la corrélation entre l’existence et l’expansion du terrorisme et l’absence de développement.
Cette guerre au Mali a laissé de nombreuses difficultés en plus de son effet négatif sur le règlement de plusieurs autres problèmes dont notamment :
- La persistance et l’aggravement du problème par la crise humanitaire par le déplacement de centaines de milliers de refugies sans abris.
- La persistance du problème essentiel majeur (problème d’Azawad) avec les multiples dimensions politico-économiques)
- La résurgence de la question de cohabitation et de la coexistence entre les composantes ethniques et populaires.
- Le soulèvement de la question de l’ingérence et des interventions étrangères.
- La menace terroriste qui plane sur la région et qui demeure une menace récurrente imprévisible à éviter.
- La région du Sahel demeurera une zone d’influence des groupes du banditisme, du commerce illicite et d’expansion des économies criminelles, de trafic des stupéfiants et des armes et des passeurs d’immigrants illégaux, actifs dans le trafic de drogue et des armes.
Par conséquent, il serait légitime de se poser la question sur les réels acquis, les gains et les avantagés effectifs tirés de cette intervention militaire en plus des défis auxquels feront face demain l’Etat malien et les autorités maliennes.
Est-ce que tous les efforts /frais ont été payés et la facture est – elle réglée économiquement, politiquement, en matière de souveraineté et sur le plan humanitaire du seul retour à la normale partielle visible de la situation qui prévalait avant la guerre du nord, ou bien la situation demandait-elle un remède de cheval, un traitement au cas par cas et donc il faut nécessairement purifier la plateforme territoriale politique gouvernante pour neutraliser les groupes jihadistes, éliminer la menace terroriste et se focaliser sur le règlement des questions politico-économiques nationales.
Les effets sociaux et psychologiques de la guerre de l’AZAWAD
Les expériences ont montré que les effets psychologiques de la guerre varient selon les personnes qui ont vécu l’événement et ceux qui ont été à l’abri des dangers immédiats et directs de la guerre, par le sentiment du choc personnel de la gravité l’événement, de la réaction et de la mesure de l’interaction de l’individu avec les événements et les sentiments qu’il est concerné par cette guerre engagée, d’autant plus que la séquence des événements dans cette guerre a été très rapide, ce qui rend difficile de suivre les évolutions des choses.
En temps de guerre, la personne (victime) épuise toute son énergie pour survivre et éviter les risques et assurer sa vie. Certaines personnes expriment d’une façon directe leur état de choc par l’anxiété, l’insomnie, les pleurs et d’autres signes et symptômes, tandis que d’autres imaginent et adoptent des mécanismes de défense, de confrontation, de report, voire d’oubli, ce qui permet à la personne de vivre une période de latence presque normale, de sentir le choc après une période ; ce que nous appelons le cas de stress post-traumatique.
Par conséquent, nous constatons que les symptômes psychologiques causés par la peur et l’anxiété ne s’affichent pas dans l’immédiat, mais plutôt après beaucoup de temps, parfois après la disparition de la menace de guerre.
Ces symptômes prendront plusieurs formes, comme le mouvement supplémentaire, l’anxiété aiguë, la dégradation physique, les cauchemars et les perturbations nocturnes résultant de la résurgence et de la reconstitution des problèmes d’associations d’idées, de souvenirs et des préoccupations durant le jour pendant le sommeil jusqu’à parfois la dérive et le surmenage.
La souffrance des femmes et des enfants est l’élément stable, courant et généralisable dans toutes les guerres du monde. Il s’agit d’une marque de taille, car même s’ils ne participent pas directement aux combats, ils souffrent de la mort, des blessures, du viol, d’enlèvement et d’agression sexuelle et de la désintégration de la famille, des déplacements et de la perte de la propriété.
Ils souffrent encore de la peur, de troubles mentaux et des sentiments de désespoir et de vivre en tant que réfugiés dans les situations déplorables où nous observons l’absence de tous les services de base. Il s’agit d’une catégorie de la population ultra fragile et vulnérable, en l’occurrence la femme et ses enfants.
Généralement ce sont les femmes qui assument la responsabilité de la prise en charge des enfants et des personnes âgées ; en plus elles supportent la mort de leurs enfants et de leurs maris et parents parfois d’une façon très humiliante.
Conclusion :
La situation prévalant actuellement au Mali reflète le degré, la croissance et l’évolution de l’escalade des conflits au sein du système des Etats d’Afrique de l’Ouest et l’étendue des tensions dans la région à l’avenir, ce qui augmentera de plus en plus l’ampleur et la l’étendue de l’intervention étrangère dans la région, notamment de la part de la France qui travaille d’arrache- pieds pour réduire et limiter l’influence et l’affluence des Etats-Unis dans les régions de son influence traditionnelle.
Cette influence américaine qui lui coute cher, contribue au recul de ses investissements et lui fait perdre ses plus gros contrats dans la région pour l’extraction de l’uranium, tandis que l’intervention américaine vise et cherche à à changer la carte géopolitique en Afrique de l’Ouest.
Cette intervention, qui prend plusieurs formes et sens, sera souvent camouflée parfois avec la lutte contre le soi-disant terrorisme, ce qui permettra aux Etats- Unis de d’acquérir un grand inventaire de pétrole africain dans la région Afrique de l’Ouest, et l’uranium qui se trouve en grande quantité dans la région.
L’élimination par les Etats- Unis de la Chine, de la France et des autres pays émergents de la région, reste l’une des étapes importantes dans la direction de la conquête de la région dans son ensemble afin de servir les intérêts de sécurité nationale des États-Unis qui considèrent que toutes les régions du monde sont pour l’essentiel un champs d’action et d’intérêts pour la stabilité et la sécurité des Etat Unis.
Thème : la situation sécuritaire au Sahel et ses répercussions au Maghreb.
Colonel Mohamed El Mokhtar EL Aloui
Introduction
Un grand merci à la direction du Centre Maghrébin pour les Etudes Stratégiques de nous avoir convié à ce séminaire organisé à l’intension des chercheurs et des experts civils et militaires pour réfléchir ensemble sur les problèmes de sécurité qui se posent au Sahel et sur leurs incidences sur les pays du Maghreb .
Il ya là une initiative à encourager et à soutenir vivement.
Lorsque le Centre Maghrébin d’Etudes Stratégiques m’a fait l’honneur de me proposer une communication sur la situation d’insécurité au Sahel et ses répercutions sur les pays du Maghreb, j’ai hésité pour une multitude de raisons :
D’ abord, parce qu’il me parait impossible d’ajouter à la charge déjà très lourde que portent mes épaules puisque le sujet proposé, bien qu’il soit d’actualité, et relié par différents médias, n’est pas aussi simple à traiter, car il constitue l’une des préoccupations majeures des organisations internationales et régionales de sécurité (l’ONU, l’UA, la CEDEAO, l’Union du Maghreb Arabe …etc. )
– Ensuite, le temps qui m’est imparti ne me permet pas de traiter un thème aussi important que celui de la situation sécuritaire au Sahel et ses répercussions au Maghreb et encore moins d’effectuer des recherches pouvant apporter une contribution au moins sur le plan thématique.
Enfin, si nous voulons évoquer un thème aussi sensible comme celui – là, on est constamment appelé à la prudence, car on marche sur un terrain glissant, comportant bien des traquenards et des zones d’ombre.
Mais, en dépit de tout cela, je n’ai pas hésité longtemps, car vu l’importance de ce séminaire et ce qu’il peut apporter pour la sécurité de toute la zone, je pense qu’il est de mon devoir comme tout un chacun de répondre positivement, en apportant ma contribution modeste soit elle à ce colloque.
Jugé, digne d’y contribuer de ma part, je ne pouvais me récuser; d’ailleurs quelque chose comme une vocation m’appelait dans cette prestigieuse institution : certains de mes amis ont été à l’origine de l’idée même de création de cette institution, d’autres avaient contribué efficacement à sa mise en œuvre; j’étais moi-même destiné à venir ici et comme vous le voyez, j’arrive un peu plus tard.
La création de votre Centre Maghrébin où nous nous trouvons aujourd’hui pour débattre des problèmes de sécurité : notre propre sécurité, c’est-à-dire celle de nos populations, constitue un événement sans précédent dans l’histoire de notre société civile, mais aussi et plus particulièrement de celle nos forces armées dont d’éminents officiers sont invités à prendre part à ce débat.
En effet, pendant plusieurs décennies, nos institutions militaires et civiles s’ignoraient mutuellement : chacune est restée souvent repliée sur elle- même et les forces armées n’avaient aucune possibilité pour s’ouvrir sur cette société civile à laquelle elles devraient tirer sa source, sa force, sa substance.
Mais à une époque où la pente des choses tend à faire sortir les militaires de leurs casernes et à les fondre dans la cité où le problème est moins de les séparer des civils que de les intégrer dans les organes de l’Etat, existe t- il alors une institution mieux qualifiée que le Centre Maghrébin pour les Etudes Stratégiques pour jeter les bases d’un pont doctrinal entre l’armée et l’Université, la société civile et la société militaire.
Certes, ce rapprochement longtemps attendu ne pouvait que renforcer l’unité et la cohésion nationale au sein des Etats de la région et renforcer les capacités opérationnelles et morales des forces armées à lutter efficacement contre les multiples formes de menaces qui sévissent dans la zone à savoir les confits interétatiques et intra-étatiques, le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic des armes …etc.
Ceci dit, je voudrai traiter devant vous, si vous le voulez bien, le thème intitulé : « la situation sécuritaire au Sahel et ses répercussions au Maghreb »
Plusieurs questions se posent : En quoi le Sahel est-il une région gravement menacée ? De quel ordre se situent ces menaces ? Ces menaces sont- elles liées aux répercussions des conflits interétatiques et intra- étatiques qui émaillent la sous région depuis les années d’indépendance ?
Ces menaces sont elles provoquées par des opérations chroniques menées par des guérillas, ou des organisations terroristes dont les bases arrières sont stationnées aux confins de certains pays voisins ? Peut –on alors considérer ces menaces comme le produit des crises périodiques, crises d’ordre économiques, politiques, sociales ?
Ces questions sont de nature à entrainer d’autres questions encore plus complexes :
Quelles répercussions sur la sécurité des pays du Maghreb ? En quoi ces pays peuvent être affectés ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous allons, si vous le voulez bien, traiter dans une première partie les menaces qui pèsent sur les pays du Sahel, l’accent sera mis sur les réseaux mafieux qui traversent le Sahel dans tous les sens.
Dans une seconde partie, notre propos s’attache plus particulièrement à évoquer les répercussions de l’insécurité au Sahel sur les pays du Maghreb.
1ère partie : Les menaces qui pèsent sur les pays du Sahel :
- Les conflits interétatiques et intra-étatiques au Sahel
La persistance de ces conflits intra-étatiques et interétatiques qui durent depuis les années d’indépendances perturbe gravement la sécurité de la sous région :
- le problème des Touareg du Mali où le MNLA revendique toute la partie nord de ce pays où la sécurité des personnes et des biens n’a jamais été assurée depuis que l’Etat malien existe.
- le conflit en Casamance
- le conflit du Sahara Occidental qui dure depuis 78 et qui opposent les deux puissances régionales à savoir le Maroc et l’Algérie.
- les tensions au nord du Niger avec là aussi des revendications territoriales des groupes de Touareg qui menacent la toute jeune démocratie de ce pays.
- Les réseaux mafieux
- Le trafic des armes et le terrorisme
Bien avant l’apparition du terrorisme et ses actes barbares, le trafic des armes faisait l’objet d’un commerce florissant ;
En effet, ce trafic a pris racine, en Algérie depuis 1983, il y a de cela 30 ans, entre les villes de Ghardaia et de Ménéa
Dix ans plus tard : le réseau s’est développé avec Hadj Bettou, homme connu par les services secrets algériens.
- Plus tard, l’attaque de la caserne de police à Soumaa où un stock d’armes fut récupéré par le fondateur du Mouvement Islamique Armé (MIA) de Bouyali, idole d’Ali Benhadj
- La connexion entre le MIA et le GIA était destinée à gagner la confiance des réseaux mafieux de trafic des armes pour leur propre approvisionnement.
Selon des chiffres établis par des sources sécuritaires, des dizaines de milliers de kalachnikovs, de lance- roquettes et des explosifs circulent dans la région : aujourd’hui il a été établi avec précision que même certains officiers maliens sont directement liés à ce trafic
- La connexion entre les fractions armées et le GSPC, depuis que celui a fait allégeance à AL QAIDA en 2006, a renforcé le trafic des armes et les groupes terroristes.
- Cette connexion entre le GSPC et fractions armées a évidement changé la donne : certains officiers maliens assurent l’acheminement de ces armes : ils travaillent de concert avec le GSPC pour assurer ce trafic.
- La révolution libyenne
L’accumulation des stocks d’armes pendant plusieurs décennies par le régime de Kadhafi a fait de la Libye une réserve inépuisable d’armes de tout calibre à ciel ouvert.
Récemment Mr. James Turton, responsable de la réduction des violences armées à Handicap International, déclarait à France 24 : «je n’ai jamais vu autant d’armes légères en circulation en Libye.»
Les chiffres avancés sont très inquiétants : 800.000 à 1 million d’armes légères et quelques milliers d’armes lourdes.
Et si la Libye n’arrive pas à retrouver sa stabilité et sa sécurité c’est à cause de cet arsenal d’armement que l’Etat a du mal à contrôler.
III. Le trafic de drogue
Il s’agit d’une autre forme de menace qui non seulement détruit les économies déjà fragiles des Etats de la sous région, mais elle alimente les circuits de blanchiment d’argent et du financement du terrorisme.
En effet, le Sahel est jalonné de pistes de passage des caravanes, situées au carrefour d’activité de contre bande, d’abord de marchandises, puis d’armes, de cigarettes et de drogues.
Mr. Wolgram Lacer, chercheur à l’Institut Allemand pour les Affaires Internationales et de Sécurité déclare «le trafic des cigarettes vers les marchés de l’Afrique du nord, qui a commencé à se développer au début des années 1980, a largement contribué à l’émergence des pratiques et des réseaux qui ont permis au trafic de drogue de se mettre en place par la suite»
Au milieu de la dernière moitié du XXème siècle, plusieurs ports se sont servis par les narcotrafiquants sud américains de grandes quantités de cocaïne et de héroïne : il s’agit des ports de la Guinée, du Togo, du Benin …etc.).
Cette drogue est acheminée vers les pays de l’Europe via certains pays du Sahel: le cas du Boeing 727 qui transportait plus de 10 tonnes de cocaïne et qui s’est crashé à Gao en 2009.
La zone nord du Sahel est jalonnée de passage des caravanes, au carrefour d’activité de contre bande, d’abord de marchandises, puis d’armes et de cigarettes et de drogue.
Drogue repartant vers l’Europe par voie terrestre et aérienne
En 2009, de la poudre blanche est même arrivée de Caracas par Boeing dans la région de Gao, au nord du Mali avant d’être transportée au Maroc.
Les routes de la drogue (cocaïne et héroïne afghânes transitent aussi par la zone) se croisent dans le désert sahélo-sahélien. Elles passent notamment par le nord du Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye pour s’achever en Europe ou le produit est écoulé par des mafias des Balkans, Kosovares, ou Serbes.
: Trafic de drogue : Immigration clandestine
- L’immigration clandestine
Ajoutée aux menaces déjà décrites plus haut, l’immigration clandestine perturbe gravement la sécurité et la stabilité des Etats du Sahel.
Plus de 380 réseaux d’’immigration clandestine opèrent entre l’Afrique Subsaharienne et le Maroc, auxquels il faut ajouter un nombre beaucoup plus important si l’on regarde les autres réseaux qui agissent à partir des frontières des autres pays du Sahel
Deuxième partie : Les répercussions sur les pays du Maghreb
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
Face à cette situation, les pays du Maghreb ne sont pas à l’abri des multiples menaces déjà évoquées ci-haut, car leurs frontières avec les pays du Sahel sont immenses, poreuses et très mal contrôlées.
-Frontières poreuses entre le Sahel et les Maghreb : la contagion est inévitable.
– Extrapolation des réseaux mafieux et de leurs activités vers les pays du Maghreb et au-delà.
- Développement de la criminalité sous toutes ses formes avec les trafics de tout genre : trafic de drogue, trafic des armes, propagation des maladies transmissibles tout au long des frontières s’éparant le Sahel et les pays du Maghreb.
– Risque de déstabilisation, voire de sécession de certaines zones frontalières qui échappent en partie à l’autorité de l’Etat central.
Si rien n’est fait pour renforcer les contrôles le long des routes situées aux confins de certains Etats du Sahel, la sous région du Maghreb va connaitre à court terme les périodes les plus sombres de son histoire.
– Le Maghreb risque de devenir à moyen et court terme, une plaque tournante de trafic de drogue et du trafic des armes.
Conclusion
L’inventaire ainsi dressé demeure très certainement incomplet. Il faudrait au moins le compléter, et sans doute aussi le nuancer, par l’évocation de cet impondérable que constitue, pour chaque société, son dynamisme interne, son instinct de vie, sa volonté d’être et de durer.
L’étude de la sécurité d’un pays conduit donc forcement à l’étude de l’évolution générale de la société : problèmes de l’égalité des valeurs, des comportements de la vie globale de la société : « ce sont, dit Thucydide, les hommes et non les pierres qui ont fait la force des remparts protecteurs des cités».
La dimension politique de la crise du Sahel: sa nature et ses répercussions sur les pays du Maghreb Arabe.
Dr. Mohamed Lemine Ould Kettab
Professeur d’université
Ancien recteur de l’université de nouakchott
La crise sécuritaire qui prévaut aujourd’hui dans le Sahel, et qui ne peut qu’avoir des répercussions directes sur la situation sécuritaire au Maghreb, a des dimensions ethniques, socioculturelles, économiques et politiques.
La dimension politique de cette crise est celle qui nous intéresse le plus dans ce papier. Pour ce faire, nous avons adopté une approche qui se fixe l’objectif de dévoiler l’origine et les racines historiques de la crise, tout en essayant de jeter plus de lumière sur les facteurs qui ont contribué à sa complication et sa reproduction. Il en est de même des conséquences de la crise sur la situation sécuritaire dans les pays maghrébins limitrophes de l’espace saharo-sahélien. L’approche tentera, également, de définir les contours des voies et moyens à même de traiter adéquatement cet aspect de la crise dans une atmosphère d’entente, de consensus, de dialogue et de confiance mutuelle entre les différentes parties intéressées. Ceci pour éviter l’impasse et la confrontation, en surmontant les désaccords, les contradictions et l’esprit d’animosité.
- Nature et déterminants de la dimension politique de la crise.
La dimension politique de la crise qui secoue le Sahel aujourd’hui s’explique par le sentiment, largement répandu parmi les populations Touareg et Arabes, d’injustice à laquelle elles ont été assujetties par la colonisation française pour l’avoir combattue héroïquement et refusé de se soumettre à sa volonté. Cette dimension s’explique, aussi, par la méconnaissance, par la colonisation, des spécificités ethniques, socioculturelles et civilisationnelles de ces populations. A cela s’ajoute, bien entendu, le fait – très amer – que leur espace vital a été reparti entre des Etats fraîchement créés – pour servir l’intérêt du colonisateur – sur les ruines de l’espace homogène dans lequel elles ont vécu des siècles durant. Par la suite, ces populations autochtones – 4 millions d’arabes et de Touareg, environ – vont constituer des minorités rattachées à des pays dont elles portent la citoyenneté malgré elles.
Face à une telle situation, les populations ont choisi de dire non à une intégration forcée dans des entités avec lesquelles elles n’ont rien de commun. Au lieu que les gouvernements, qui se sont succédé au Mali et au Niger depuis l’indépendance, cherchent à séduire ces minorités – intégrées manu militari dans des tissus socioculturels différents – pour les aider et les encourager à faire partie intégrante du circuit économique et devenir des citoyens à part entière dans ces sociétés, ces mêmes gouvernements, ont, au contraire, exercé toutes sortes d’exclusion et de marginalisation à l’encontre de ces populations. Privés, alors, de leurs droits politiques, économiques et socioculturels, ces citoyens – de seconde zone – sont tout simplement restés à la marge de l’histoire de leurs régions. Il en va de même pour leurs spécificités sociales et leur identité culturelle mises à l’écart au profit d’autres composantes ethniques plus puissantes qui les ont dominés et marginalisés pour de bon.
Et, au lieu de chercher à trouver des solutions négociées aux problèmes posés, le mécontentement des minorités arabe et targui a été confronté par la violence, l’injustice et la répression. Les conséquences de ce comportement injuste envers ces populations ont été des soulèvements récurrents souvent réprimés dans le sang par les forces de sécurité au Mali comme au Niger. Les exactions et les atrocités commises à l’encontre de ces ethnies ont fini par contraindre des milliers de personnes à emprunter le chemin – la plupart du temps parsemé d’embuches – de l’exil dans les pays voisins.
Mais, l’avènement du ¨printemps arabe¨ leur a permis de se procurer des armes sophistiquées et d’acquérir de l’expérience dans le domaine de la guerre (le combat, le déploiement, le choix de la cible…). Compte tenu de cette nouvelle donne, les populations ont décidé, à nouveau, de reprendre les armes pour réaliser leur ambition inébranlable à jouir pleinement de tous leurs droits légitimes sur leurs propres territoires, profitant ainsi de la fragilité du régime nigérien et de la faiblesse du Mali au lendemain du coup d’état militaire qui a mis fin au régime de Toumani Touré.
Les objectifs de cette révolution consistent à créer un Etat indépendant dans la région d’Azawad, au Nord du Mali, où les Touareg et les Arabes peuvent jouir de leur liberté et de leur dignité et s’affirmer en mettant en évidence leur identité et leurs spécificités culturelles. Des aspirations rendues impossibles depuis l’occupation française de leur espace vital et son démembrement avant d’être rattaché au Mali et au Niger, deux entités dans lesquelles les azawadiens se sentent coupés de leurs racines.
- Les répercussions politiques de la crise sur la situation dans les pays maghrébins.
La dimension politique de la crise actuelle au Sahel ne peut qu’avoir des effets sur la cohésion, l’harmonie et la cohabitation des composantes du tissu social multiracial des pays du Maghreb. En effet, la séparation de la région d’Azawad du Mali et la création d’une entité politique indépendante sur des bases ethniques, pourrait constituer un précédent dangereux qui est de nature – s’il se produit dans les pays maghrébins – à porter préjudice à leur unité nationale, voire les balkaniser, inaugurant ainsi une spirale de conflits et de violences interminables. La conséquence en sera, sans nul doute, le démembrement, puis la disparition pure et simple de ces Etats.
Faut – il noter, également, la diversité voire la contradiction des appartenances idéologiques et la différence des allégeances politiques des différentes factions révolutionnaires du Nord du Mali. Cet état de fait ne peut qu’envenimer les rapports entre les différentes composantes sociales des populations de l’Azawad, des populations qui ont des ramifications et des liens de parenté au sein des sociétés maghrébines avoisinantes.
Evidemment, le soutien apporté par les maghrébins aux revendications des mouvements touareg et arabes, indépendamment de la recevabilité et de la justesse desdites revendications, devrait provoquer une réaction hostile chez les populations négro-africaines des pays sahéliens. C’est dire le risque grandissime que pourront ainsi courir les rapports entre les pays du Sahel et les Etats maghrébins, voire les relations entre les arabes et les africains, d’une manière générale.
On peut, donc, en déduire que la crise actuelle dans la région du Sahel aura certainement des conséquences politiques de grande envergure sur les pays du Maghreb Arabe. Ce qui rend impératif d’agir avec sagesse et clairvoyance pour en limiter la portée et faire en sorte que ces risques soient évités coûte que coûte.
- Comment traiter l’aspect politique de la crise ?
A notre avis, il faudrait éviter de regarder la crise qui prévaut au Sahel comme étant un choix difficile et unilatéral consistant, soit à soutenir les revendications légitimes des Arabes et des Touareg au Mali et au Niger, en ignorant le souci de ces deux Etats à préserver leur unité nationale et leur intégrité territoriale, soit à rallier les deux Etats dans leur volonté manifeste de privilégier leurs intérêts au détriment des droits fondamentaux des populations de l’Azawad.
En réalité, il peut y avoir un compromis susceptible de satisfaire toutes les parties. Il consiste à amorcer un dialogue responsable et constructif afin de trouver une formule consensuelle garantissant aux Arabes et aux Touareg leurs droits au respect de leur identité et de leurs spécificités socioculturelles. Cela doit se traduire par leur association à la gestion de leurs propres affaires et leur accès aux centres de prise de décision. Ainsi, prennent – ils part, de façon concrète, à la confection de leur avenir et à la définition des traits saillants de la vie politique, économique et institutionnelle dans leurs régions, tout en préservant la souveraineté et l’intégrité territoriale des deux Etats concernés à travers le respect du principe sacrosaint de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Dans cet ordre d’idées, il est fort probable que la formule la plus à même de respecter les conditions posées par les populations de l’Azawad consiste à agir de façon consensuelle afin de garantir à cette région une autonomie interne. L’objectif d’une telle démarche est de confier à ces populations la gestion de leurs propres affaires et d’assurer elles – mêmes l’organisation des divers aspects de leur vie dans le cadre d’un Etat unifié et souverain qui contrôle l’intégrité de son territoire.
Mais, un tel projet ne peut être envisageable que si les autorités centrales sont décidées à mettre en place de nouvelles politiques prévoyant des investissements utilement réels en vue d’améliorer le niveau de vie des populations de ces régions. De tels investissements doivent permettre la mise en place d’infrastructures capables de relancer la vie économique de manière à résorber le chômage afin d’améliorer les conditions de vie des populations. Ceci dit, il est inconcevable de retrouver la confiance nécessaire pour engager un dialogue constructif si une telle démarche n’est pas entreprise.
Crise Sécuritaire au Sahel: Causes et Répercussions
Localisation Géographique du Sahel
Commissaire Divisionnaire Mohamed Abdallahi OULD TALEB ABEIDY
- Nord au Sud : du Sahara à la Savane
- Est-Ouest : de la Mer Rouge à l’Océan Atlantique
Principales causes de la crise sécuritaire
- Faiblesse des Etats: manque de moyens pour la sécurisation du territoire
- Problèmes des frontières
- Vulnérabilité des populations
- Enjeux économiques
- Le terrorisme international
- Le trafic de la drogue
GSPC: développement
- Présence au nord du Mali à caractère logistique à partir de 2003
- Groupe restreint dirigé par MBM : Mission
- Fourniture d’armes
- et de vivres grâce à la participation au trafic (cigarettes, produits alimentaires)
- Première prise d’otages Autrichiens et Allemands (15 millions d’euros)
- Implantation de la Katiba Tarek ben Ziyad reprise par Abdelhamid Abou Zeid après capture d’ Abderrezzagh le para
- Groupe restreint dirigé par MBM : Mission
GSPC: développement
- Renforcement quantitatif et qualitatif des groupes armés
- 2004 : arrivée du premier groupe des Mauritaniens
- 2005 : deuxième vague de Mauritaniens
- Changement de stratégie
- Renforcement des capacités militaires par l’acquisition d’armes dans les zones chaudes (Cote d’Ivoire, Libéria)
- Infiltration du tissu social en suppléant à la défaillance de l’Etat à travers des appuis sociaux (aide financière, soins, mariage,…)
- Action militaire d’envergure: attaque de la caserne de Lemgheiti
- Autres opérations déjouées
- Allégeance à Al Qaeda (Le GSPC devient AQMI)
- Augmentation du nombre des Katibas : El Anssar + El Forkan (assassinat des colonels Lemane OULD BOUH et Hamma)
- Présence de combattants libyens (GICL)
- Liberté totale de mouvement dans tout le nord libyen
- Nouvelles opérations contre la Mauritanie
- Riposte Mauritanienne en territoire Malien (plusieurs opérations)
Nouvelle donne géopolitique
- Révoltes en Tunisie, Egypte et Libye
- Participation active du GICL
- Pillage de l’arsenal militaire libyen
- Déstructuration de l’Etat: la Libye devient un lieu d’entrainement, de préparation d’actions terroristes et d’appui logistique
- Conséquences: Crise au Mali: effondrement de l’Etat
- Apparition du MUJAO, MNLA et Ansarddine
- Division de l’espace occupé : Tombouctou – Gao
- Pour la première fois gestion directe des populations (Appui « humanitaire » d’Etat)
- Opération Serval:
- Conséquences: libération des villes, retrait d’AQMI et du MUJAO au nord et nord-ouest du Mali (Taghaghart – Wagadu – Laekel)
- Réorganisation
- Fusion MUJAO – Signataires par le sang
- Retrait en arrière plan de MBM et Ahmed OULD AMER
- Raisons: tactique sécuritaire
- Ouverture des fronts en Tunisie
- Implantation au mont Chambi – Sidi Bouzid: 53 morts depuis fin 2011
- Attaque suicide le 30 octobre contre le mausolée Bourguiba
- Nouvelle carte de l’AQMI et groupes alliés
- Financement depuis 2012
- Rançons : plus de 65 millions d’euros
- Taxe du trafic de la drogue
Trafic de drogue
Routes ancestrales
Hachich venant du nord : remonte vers le Moyen Orient et l’Europe
Valeur estimée : 7,5 milliards d’euros
Golfe de Guinée : location d’îles en Guinée Bissau
Atterrissage d’un avion venant d’Amérique du Sud à Tarkent
Charge : 30 tonnes
Valeur estimée: 27 milliards d’euros
Trafic de cocaïne vers l’Europe
Estimation : 40 tonnes environ 34 milliards d’euros
Le Sahel et Maghreb, terrains d’action des groupes armés
Conclusion
- Renforcement des moyens humains et financiers des groupes terroristes dans la zone maghrébine et sahélienne (Tunisie, Nigéria et apparition au nord Cameroun).
- Risque important pour la stabilité et le développement:
- Fuite des capitaux
- Crise du tourisme: principale source de devises pour certains Etats
La lutte contre le terrorisme au Sahel : Les leçons de Serval
Hamma Ag Mahmoud,
Ancien Ministre, Consultant
- Introduction :
Le terrorisme est un phénomène nouveau au Sahel, dont les contours sont difficiles à cerner dans le contexte actuel.
On peut distinguer deux périodes dans son existence au Sahel.
- Période 2003-2011 : a vu AQMI s’implanter au Mali à partir de l’Algérie.
Ses activités ont été essentiellement :
- des prises d’otages;
- des trafics divers;
- des convoyages de drogues ;
- des attaques armées en Mauritanie.
Il a fondé une base militaire à 200 km à vol d’oiseau de Bamako.
Il s’est illustré par l’absence de prosélytisme.
Par contre, il a réussi à tisser une trame de relations avec des acteurs étatiques dans la région et hors de la région, ce qui a endormi d’ailleurs la méfiance des populations.
- Période 2011-2013:
Pendant la guerre le MNLA et les terroristes ont été plutôt des alliés occasionnels.
A partir d’avril 2012 on a constaté un revirement de l’attitude des terroristes, ce qui reflète les prises de position de leurs alliés vis-à-vis du MNLA :
- Rejet de l’indépendance de l’Azawad;
- Concertation avec le gouvernement de transition, le capitaine Sanogo, des partis politiques Maliens, des acteurs étatiques du champ et hors du champ ;
- Une couverture médiatique très forte par des organes de presse réputés antiterroristes ;
- Hostilités ouvertes vis-à-vis du MNLA ;
- Application de la Charia, avec beaucoup d’ostentation, comme pour donner prétexte à une réplique.
- Opération Serval :
La France est intervenue seule, sans appui militaire de ses alliés traditionnels.
Le prétexte, l’attaque de Konna, n’en est pas un ; en tout cas l’attaque jihadiste pouvait être enrayée en appliquant une stratégie de containment, permettant de respecter la Résolution 2085 du Conseil de Sécurité.
Cette intervention militaire a révélé beaucoup d’incohérences et d’ambigüités :
- volonté de s’opposer au règlement politique de la question de l’Azawad, pour quelles fins!
- utilisation exclusive des troupes noires, comme pour accentuer la déchirure Nord/Sud, Blancs/Noirs ;
- Exactions sélectives sur les populations Touareg et Arabes;
- Exclusion de la Mauritanie de Serval et de la MINUSMA ;
- Censure de l’information, des exactions à caractère racial (plus de 500 morts), pillages, n’ont pas été rapportés à l’opinion publique ;
- Fébrilité de l’agenda politique ;
- Exhibition au 14 juillet à Paris des troupes maliennes responsables des crimes;
- Aujourd’hui tout le monde est persuadé que l’attaque de Konna, la survivance des otages aux balles et aux bombes de Serval et l’absence d’attaques jihadistes contre les casernes françaises à Tombouctu, Gao, Kidal, Tessalit, ne sont pas fortuites.
Serval a-t-il atteint ses objectifs de lutte contre le terrorisme ?
- Objectifs militaires : Les terroristes sont présents et commettent encore des attentats et enlèvements au Mali et dans les pays voisins.
- Objectifs politiques :
- L’intégrité territoriale du Mali est loin d’être rétablie ;
- L’armée, l’administration et la sécurité sont absentes sur l’ensemble du nord Mali ;
- Les élections ont été bâclées : beaucoup d’électeurs n’ont pas voté ;
- Les textes législatifs (constitution, code électoral, charte des partis, organisation administrative), à l’origine de nombreux disfonctionnements des Institutions, n’ont pas été révisés;
- L’utilisation exclusive des militaires noirs, les nombreuses exactions sur les populations Touareg et Arabes et l’exclusion de la Mauritanie de Serval et de la MUNISMA ont accrédité la thèse d’une guerre ethnique, au service d’une déchirure raciale.
- Conclusion :
Il ressort de ce qui précède que Serval comporte non seulement, beaucoup de lacunes, mais ne saurait être lisible qu’au regard de l’histoire des relations Mali- France des 50 dernières années.
A cet égard, il est important de se poser certaines questions.
- Pourquoi la France qui, a parrainé le coup d’état de 1991, s’est évertuée à présenter au monde entier le Mali, comme la vitrine de la démocratie, alors que le pays s’enfonçait inexorablement dans une crise jamais vue ?
- Pourquoi la France, qui a encouragé les rebellions Touareg en 1991 et en 2011, les a combattues aussitôt, pour se présenter en sauveur du Mali ?
- Pourquoi la France s’est-elle opposée au règlement politique de la question de l’Azawad, en déclenchant l’opération Serval, dans le dessein de bloquer la Résolution 2085 du Conseil de Sécurité ?
- Pourquoi Serval s’est- elle acharnée contre les populations civiles blanches de l’Azawad, à l’exclusion des autres ?
- Pourquoi la Mauritanie, le seul pays qui a montré sa volonté de lutter contre le terrorisme, est-elle absente de Serval et de la MINUSMA ?
- Pourquoi Serval ne compte que les troupes de la CEDEAO comme pour accréditer les thèses, chères à Bamako et Paris, d’une guerre ethnique ?
- Pourquoi les otages français, considérés comme bouclier, sont-ils indemnes?
- Pourquoi les otages Français ont-ils été miraculeusement libérés, en dépit des vifs ressentiments que nourrissent les terroristes à l’endroit de la France?
En élucident ces questions, on pourrait conclure que la France a fragilisé le Mali, pour jouer au sauveur, dans le but de légitimer une forte présence militaire et économique dans ce pays, probablement à matérialiser par des conventions minières et un accord de défense.
Ainsi par cette démarche, oh combien tortueuse, la France pourrait concrétiser ses visées sur toutes les régions minières qui composaient l’OCRS, telle que conçue en 1957.
[1] Henri LAOUST, Essai sur les doctrines sociales et politiques d’Ibn Taimiyya, Le Caire, 1939.
[2] J.H. ESCOVITTZ, 3He was the Muhammad Abduh of Syria”. A study of Tahir al Djazaïri and his influence, International Journal of Middle East Studies, XVIII, 1986, 293-310.
[3] Edmund BURKE, The Moroccan Ulama, 1860-1912, in Nikki KEDDIE, Scholars, Saints and Sufis: Muslim religious institutions in the Middle East, California: University of California Press, 382 pages.
[4] Djamil ABU NASR, The Salafiyya movement in Morocco, Saint Antony’s Papers, XVI, 1963, 90-105. A. LAROUI, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, 1980.
[5] Ali MERAD, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris : MOUTON, 1967.
[6] C.C. ADAMS, Islam and Modernism in Egypt, New York, 1933.
[7]Al Sayed YOUSSEF, Rachid Réda et le retour au dogme salafiste, Le Caire : Mîrît, 2000, p.35. Ouvrage en langue arabe.
[8] Le malékisme est le principal courant historique de la jurisprudence sunnite orthodoxe au Maghreb (9e siècle). Suivie par 20 % de musulmans, c’est la troisième école classique de droit musulman; en France, elle est la première.
[9]On retrouve cette analyse dans la publication de Samir Amghar qui qualifie le néo-salafisme de « a-politique » – ce dernier refuserait la violence politique et la stratégie putchiste révolutionnaire. Samir AMGHAR, Revue internationale et stratégique, 2007/3. « Le salafisme en France : de la révolution islamique à la révolution conservatrice ». Critique Internationale, 2008/3- n° 40.
[10]Les membres du collège figurent également au Conseil des Grands Ulémas, nommé en 1970 par le décret royal n° 138 pendant le règne du roi Fayçal Ibn Abdelaziz Al Saoud. Les « papes » du wahhabisme sont les cheikhs Ibn Baz, Abdallah Ibn H’meid, Suleiman Ibn Obeid, Abdallah Khayat, Saleh Ibn Luhaydan, Saleh Ibn Ghassoun, Mihdar Ibn Uqaîl, Abdelaziz Ibn Saleh, Mohammed Ibn Ali al Harkan, Mohammed Ibn Djubaïr, Abdallah Ibn Ghadyan, Abdallah Ibn Mani`, Rached Ibn Khanin, Abdelmadjd Hassan et Ibrahim Ibn Mohammed Al Cheikh. Deux imams non saoudiens figurent parmi les grands cheikhs : l’Egyptien Abdelrazak Afifi, converti au wahhabisme en 1947, et le Mauritanien Mohammed Al Chanqiti dont la nomination fut lapidaire. Anouar ABDALLAH (Dr.), Al Ulama wal ´arch, Les ulémas et la monarchie : la dualité du pouvoir en Arabie Saoudite, Paris : Maktabt al Charq, 2009, p. 85-86.
[11]Anouar ABDALLAH (Dr.), Ibid, p.53.
[12]L’institution du roi Fahd compte plus de 1 600 religieux et fonctionnaires. Ibid, p. 90.
[13] Ce voyage répondait à une première invitation lancée par les ulémas à des intellectuels catholiques via l’Association des amitiés franco-saoudiennes. La délégation invitée était présidée par Henry Laoust, islamologue et spécialiste du salafisme ; la rencontre eut lieu en mars 1982. Ibid, p. 86.
[14]Anouar ABDALLAH, op.cit, p.77.
[15] Mohammed al Madjdhub, Les Ulémas et les penseurs que j’ai connus, Le Caire : Dar al Itissam, 1986, 3.vol. Ouvrage en langue arabe.
[16] Mohammed QUTB, La Jahiliyya du XXe siècle, Le Caire : Dar al Shuruq, 1995, p. 45-47. Ouvrage en langue arabe.
[17] Ce dernier a été l’étudiant d’un célèbre uléma algérien, Cheikh Al Oqbi. Natifs tous deux de la palmeraie de Sidi-Oqba à Biskra, Al Djazaïri a côtoyé l’imam conservateur du réformisme algérien rejoindre pour autant membre de l’Association des ulémas algériens. Il est peu probable que ce pionnier du wahhabisme international ait été proche, avant son départ en Arabie, des idées libérales d’Ibn Badis.
[18]Aboubakr AL DJAZAIRI, L’Etat islamique, Beyrouth, Damas : al maktab al `arabi, 2nd édition, 1982, p. 12. Ouvrage en langue arabe.
[19]Ibid, p. 18.
[20]Ibid, p. 17.
[21] Ibid, p. 22-26.
[22]Le hanafisme est la principale école de droit musulman classique au Proche-Orient. Elle fait partie des quatre principales écoles de jurisprudences sunnites.
[23]Il est par ailleurs nommé par cette haute instance saoudienne à la tête de la prédication et la fatwa en En Egypte, Maroc et en Angleterre. Il obtient le prix mondial du Roi Fayçal d’Arabie en 1999.
[24]Fondée par Ibn Hanbal (780-855), le hanbalisme constitue une des quatre principales écoles du droit musulman sunnite classique.
[25]Voir à ce sujet un discours d’Al Albany dénonce également l’orthodoxie de Sayed Qutb dans un prêche public. Al Albany, Des conceptions qui doivent être corrigées. [document audio en langue arabe].
[26]Abdelmalek Ramadani, Observations Politiques, Beyrouth, 2004, p.110. Ouvrage en langue arabe.
[27]En 1928, Michaux Bellaire avait tenu une conférence à Salé intitulée : “Le wahhabisme au Maroc”, au cours de laquelle il exprimait sa crainte de voir l’expérience wahhabite y réussir.
[28]Certains journaux marocains comme La Gazette du Maroc écrivent Takyeddine
[29] Au sujet de Taquieddine Al Hilali, à l’origine de l’islamisme wahhabite au Maroc, Alaoui M’daghri, l’ex-ministre des Affaires islamiques, déclarait dans la presse marocaine : « Depuis les années 60, Taqieddine Al Hilali a été le premier théologien à percevoir un salaire mensuel de l’Arabie saoudite en vue de faire du prosélytisme (la da’wa islamique) au Maroc. Il a eu des adeptes et les autorités commençaient à être gênées par son action. La ligue des oulémas du Maroc l’a défendu auprès du roi Hassan II, puis les portes lui ont été rouvertes. Depuis, les services du ministère de l’Intérieur ont commencé à nourrir et à protéger cette mouvance. Le ministère des Affaires islamiques ne pouvait plus s’en approcher. » Tel Quel, n° 150.
[30] Tel Quel, 22 mars 2010.
[31]La Gazette du Maroc, 30 octobre 2006.
[32]Dr Abdelkbir Al Alaoui Al M’DAGHRI, Le gouvernement barbu. Etude critique et prospective. Rabat : Dâr al Amân, 2006. Ouvrage en langue arabe.
[33]Dans une interview à Tel Quel, n 150, l’ex-ministre des Habous déclare : « Qui pouvait empêcher un ministre de souveraineté d’intervenir? Je vous donne un exemple. Il y avait une école wahhabite à Marrakech et je voulais m’enquérir des manuels et curricula. J’ai alors dépêché un inspecteur général pour effectuer un rapport. Les responsables de l’école lui ont refusé l’accès. Un responsable sécuritaire local l’a contacté pour lui demander de laisser tomber. “Hadouk dialna », « ceux sont les nôtres » parlant des enseignants.
[34]Une copie de document figure dans la biographie de Mohammed Al Maghrawi, sur le site www.maghrawi.net.